Editions Christian Bourgois, mai 2015
416 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laurence Kiéfé
Les thèmes : racisme, violence, folie, croyances, ségrégation raciale, conditions de la femme, superstition, prostitution enfantine
4ème de couverture
Ephram Jennings n'a jamais oublié la petite fille aux longues nattes avec qui il s'était aventuré dans la forêt de pins de Liberty, à l'est du Texas. Mais la jeune Ruby a souffert plus qu'on ne saurait l'imaginer. Aussi s'échappe-t-elle dès qu'elle le peut pour aller vers les lumières du New York des années 1950. Si belle et si noire, Ruby se fait rapidement une place au coeur même de la ville, tout en ne cessant d'espérer croiser sa mère. Lorsqu'un télégramme de sa cousine la rappelle chez elle, Ruby Bell se retrouve, à trente ans, confrontée à l'extrême violence raciale de son enfance... Ephram décide de tout tenter pour l'arracher à la spirale de malheur qui la guette.
Les critiques presse
«Cynthia Bond prouve qu'elle est une force littéraire puissante, un écrivain dont l'écriture à la fois précise et lyrique rappelle celle de Toni Morrison.» Oprah Winfrey
«Puissant, indispensable, à peu près à l'image des personnages et des paysages décrits [...]. Un bijou littéraire que l'on n'est pas prêt d'oublier.» Edwige Danticat
Mon avis ★★★★☆
Dure, éprouvante, âpre ... cette lecture.
Elle révèle l'impensable, l'inacceptable, elle fait très mal.
Cynthia Bond décrit un monde d'une noirceur extrême dans lequel la honte, la prostitution, la violence, les abus sont le lot des femmes noires, celui de Ruby, un monde dans lequel les Blancs ne se mélangent pas aux Noirs, un monde dans lequel on a peur du Diable, un monde torturé où la folie n'est jamais loin, un monde sauvage, celui des Etats-Unis des années 60-70.
Certaines scènes soulèvent le coeur, deviennent insoutenables tant la douleur est palpable. Heureusement, l'espoir est présent, incarné notamment par le personnage d'Ephram et puis de l'humanité aussi, au travers des liens unissant les nombreux personnages de ce roman.
L'auteure manie les mots avec habileté et délicatesse, ce roman est un bijou de littérature, même si, je dois l'avouer, j'ai eu un peu de mal au début, à rentrer dans l'histoire, à comprendre où l'auteure voulait en venir, c'était confus, beaucoup de personnages sans évocation des liens qui les unissent ... et puis, les explications arrivent et là, l'auteure déroule ... et nous embarque littéralement dans ce monde quasi irréel.
Citations, Extraits
"Donc Liberty ne dépend ni de l'Amérique, ni de Dieu, de rien. Merde, un endroit qui n'a jamais été baptisé par la loi de personne. [...] Ce qui explique bien que le Diable l'ait inscrit dans son livre, il y a inscrit beaucoup d'hommes de Liberty, leur âme fait partie de la liste."
"Ils l’avaient tous observé avec constance, s'enfoncer dans la folie. Leur inquiétude, mêlée d'une secrète satisfaction, s'était résorbée dans les replis de leurs corps, comme de la vaseline. Au bout d'un certain temps, ils levaient à peine le nez de leurs journaux quand Ruby débarquait. Ils niaient sa présence en baillant ou saluaient sa présence en crachant un jet de jus de tabac."
"Puisqu'il n'y avait personne à qui demander des conseils, il inventa. Il commença par lui savonner la tête. D'emblée, ça tourna au noir. Il rinça avec une cruche en faisant couler l'eau dans un seau à part pour ne pas gâcher le bain chaud et propre. Il lui lava la tête une deuxième fois puis il recommença encore et encore. Au septième rinçage l'eau était presque claire. Ses cheveux ressemblaient maintenant à de la laine mouillée, lourde et noire.
"Ils commencèrent à chuchoter sous ses doigts. Ils lui montrèrent où les séparer et quoi laisser de côté. Ils lui apprirent à écraser du gingembre sauvage et à le mélanger avec l'huile d'arachide, à tiédir la mixture, à la glisser dans les galeries creusées sous cette effervescence tout en massant du bout des doigts la peau du crâne. Il prit soudain conscience que les cheveux s'étaient adressés à lui toute la journée pendant qu'il faisait le ménage, lui expliquant ce qu'il devait acheter, ce dont ils avaient besoin."
"Tu as été le trésor de ton père dès que tu es née et jusqu’à sa mort. Il disait souvent qu’il y avait des rubis enfouis au fond de toi. Souviens-toi, ma chérie, ne laisse jamais un homme extraire de toi ce qui fait ta richesse. Ne le laisse pas piocher dans le trésor de ton âme. Souviens-toi, tant que tu ne le donnes pas, il reste inaccessible. On pourra te mentir et chercher à te duper pour te l’arracher, ma chérie, et ils essaieront. On pourra lever la main sur toi, ou pire, on pourra te briser mais la seule façon d’obtenir ce qu’ils cherchent, c’est de te convaincre que tu n’as jamais possédé de trésor. De te convaincre qu’il n’y a là rien d’autre qu’un boulet de charbon."
"Elle le prépara dans cette poche de temps qui précède l’aube, quand la nuit vieillissante rassemble ses sombres jupons pour se figer dans l’immobilité. Elle le prépara avec douze œufs frais, encore tièdes et mouchetés de plumes. Elle les lava, elle les cassa, l’un après l’autre, retenant le jaune doré au creux de sa paume tandis que le blanc filait entre ses doigts écartés. Elle les mit dans son saladier de porcelaine à fleurs. Alors qu’on était en 1974, Celia Jennings faisait encore la cuisine sur un poêle à bois, elle montait encore ses blancs d’œuf en neige mousseuse avec un fouet, du muscle et de la patience. Elle utilisait de la vanille pure, le même liquide sucré qu’elle versait dans les bains du samedi soir quand leur père, le révérend Jennings, revenait en ville. Le beurre venait de sa propre baratte, le sucre glace du P & K. Et tandis qu’elle incorporait l’aube, la rosée d’une goutte de sueur vint saler le mélange. Le gâteau, dans le four, leva avec le soleil. Ephram dormait quand le gâteau glissa de son moule, si sucré qu’une croûte s’était formée sur les bords émiettés, si léger que des petits cratères s’étaient dessinés à la surface, si humide qu’à coup sûr, comme cela se passait toujours, il resterait collé entre les trois dents de la fourchette d’argent de sa sœur. Celia Jennings n’utilisait jamais de couteau pour couper son blanc gâteau des anges. « Ce serait comme prendre une hache pour écorcher un lapin », disait-elle toujours. Le gâteau refroidissait lorsque Ephram se réveilla. Il se fixa dans sa forme définitive pendant qu’Ephram se baignait et s’habillait pour démarrer la journée."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire