samedi 31 mars 2018

Le gang de la clef à molette ★★★★★ de Edward Abbey

Eh bien, eh bien, eh bien nom de Dieu que c'était bon - bordel de Dieu ! pour rester dans le ton du cher Abbey. Un régal ce bouquin, et ravie de savoir que ce n'est pas fini, le retour du gang est prévu incessamment sous peu pour moi, ouf !
Un road-story écologiste, un véritable manifeste écologique. Davantage encore que dans ses autre livres, Edward Abbey, dans le Gang de la clef à molette invite clairement à la prise de conscience et à la rébellion ! Il provoque et il fait rire aussi; il nous entraîne dans un plaidoyer écologiste, à la limite du polar burlesque. Et c'est très bon !! Son écriture est exceptionnelle, précise et lyrique; la traduction est d'ailleurs remarquable
« ... s’enveloppaient dans les flammes avec la volupté folle des amants qui s’accouplent. Incendie rédempteur, brasier purificateur devant lequel les pyromanes maniaques du plutonium au coeur ininflammable ne peuvent que s’agenouiller et prier.»
Et quel gang ! Drôle et charismatique. Quatre intrépides insoumis amoureux de la nature se révoltant et partant à l'assaut des machines et autres constructions qui défigurent les légendaires paysages de l'Ouest Américain, violent la terre, engloutissent tout sur leur passages. 
« L'ennemi auquel l'entrepreneur ne penserait pas et ne pensait pas était la bande de quatre idéalistes allongés à plat ventre sur une roche dans le ciel du désert. En bas les monstres de métal mugissaient, traversaient la saignée ouverte dans la crête, rebondissaient sur leurs roues de caoutchouc, déchargeaient leurs déblais puis remontaient la pente en tonnant pour s'en aller chercher du rab. Monstres verts de Bucyrus, brutes jaunes de Caterpillar soufflant comme des dragons, crachant leur fumée noire dans la brume de poussière jaune.»
Un superbe quatuor, aux répliques mémorables et qui devient très vite très attachant, grâce aux riches, réalistes et vibrantes descriptions offertes par Abbey. 

Edward Abbey était un utopique amoureux de la Nature, des grands espaces de l'Ouest américain, et  ce roman est un parfait témoignage de toute la haine, de toutes les rancoeurs accumulées face à l'impact dévastateur de la civilisation sur les territoires sauvages.


Bien que fictif dans sa forme, ce livre se fonde sur des faits strictement authentiques. Tout ce qu'il contient est réel ou s'est vraiment passé. Et tout a commencé il y a exactement un an de cela. 
E.A 
Wolf Hole, Arizona
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«... surveillées par les motards de la police d'Etat, hommes mornes et pondéreux, crissant dans leurs tenues de cuir, raidis par leur casque antiémeute, leur badge, leur lacrymo, leur matraque, leur radio. Fiers, rudes et sensibles défenseurs latéraux des riches et des puissants. Armés et dangereux.
La ville de Tucson, d'où il venait, où il revint, était désormais cernée par une ceinture de silos à missiles balistiques intercontinentaux Titan. Le désert vaste et libre se faisait excorier de toute végétation, de toute vie, par des bulldozers D-9 géants qui lui rappelaient les modèles Rome Plows utilisés pour araser le Vietnam. Ces terres mortes créées par les machines évoluaient en zone où proliféraient buissons roulants et lotissements immobiliers, sinistres furoncles de taudis à venir, construits en planches vertes de dix centimètres sur cinq, cloisons d'aggloméré et toits préfabriqués qui s'envoleraient au premier vrai vent. Et tout sur les terres de créatures libres : le crapaud cornu, le rat du désert, le monstre de Gila, le coyote. Même le ciel, ce dôme de bleu délirant qu'il avait jadis cru hors d'atteinte, était en train de se transformer en une décharge pour les rebuts gazeux des hauts fourneaux, pour toute cette crasse que Kennecott, Anaconda, Phelps-Dodge et American Smelting & Refining Co. pulsaient dans le ciel public. Un vomi d'air vicié sur sa patrie.Hayduke humait l'odeur du très sale coup derrière tout ça. Une cuisante amertume lui réchauffait le coeur, lui échauffait les nerfs. Le feu couvant de la colère lui gardait les boules ardentes et le poil hérissé. 
Là-bas, dans le vaste Sud-Ouest, Hayduke et ses amis mesuraient les temps de route en packs de six. L.A-Phoenix, quatre packs; Tucson-Flagstaff, trois packs; Phoenix-New York, trente-cinq packs. (Le temps est relatif, avait dit Héraclite dans un passé lointain, et la distance dépend de la célérité. Le but ultime de la technologie des transports étant l'anéantissement de l'espace, la compression de tous les êtres en un unique point idéal, il s'ensuit que les packs de six sont d'un secours précieux. La vitesse est la drogue ultime et les fusées carburent à l'alcool. Hayduke avait bâti cette théorie tout seul, sans aucune aide extérieure.)
Il y avait un camp spécial des forces spéciales. Il y avait un écriteau spécial pendu sous le porche du camp spécial, à côté des drapeaux des confédérés. Cet écriteau disait :
SI TU TUES POUR L'ARGENT TU ES UN MERCENAIRE
SI TU TUES POUR LE PLAISIR TU ES UN SADIQUE
SI TU FAIS CES DEUX CHOSES TU ES UN BÉRET VERT.
BIENVENUE A TOI
Au-dessus des montagnes, le ciel était vide de tout nuage, bleu sombre comme un désir sans fin. 
- La fourmilière, dit Doc, est à la fois le signe, le symbole et le symptôme de ce que nous sommes en train de vivre, à errer en trébuchant dans la pénombre comme des vrais empotés. Je veux dire que c'est un modèle en microcosme de ce que nous devons trouver moyen d'arrêter, d'éradiquer. La fourmilière, comme les réseaux fongiques de Fuller, est le stigmate d'une maladie sociale. Les fourmilières abondent dans les espaces surpâturés. Le dôme en plastique suit le fléau de l'industrialisme déchaîné, préfigure la tyrannie technologique et révèle l'authentique qualité de nos vies, qui s'effondre en proportion inverse de la croissance du produit intérieur brut. Fin de la mini-conférence du bon Dr Sarvis.
Quand les villes auront disparu, [...] quand les tournesols repousseront par les failles du béton et du bitume des autoroutes désaffectées, quand le Kremlin et le Pentagone auront été transformés en maison de retraite pour généraux présidents et autres têtes de nœuds du même genre, [...] eh bien nom de Dieu peut-être que des hommes libres et des femmes farouches, des femmes libres et des hommes farouches pourront chevaucher en liberté dans le pays des canyons et des buissons de sauge - bordel de Dieu ! - , pourront pousser les hordes de bétail sauvage dans les culs-de-sac des gorges, et se repaître de viande saignante et de putains d'abats, et danser jusqu'au matin aux accents des violons ! des banjos ! des bottlenecks ! à la lueur d'une lune en renaissance !
... s'enfoncer dans le pays du roc rouge du fleuve Colorado, saint des saints de l'Ouest américain. C'est le genre de terrain qui fait naître l'horreur et l'abomination dans le coeur du cultivateur, de l'éleveur et de l'entrepreneur. Il n'y a pas d'eau; il n'y a pas de sol; il n'y a pas d'herbes; il n'y a pas d'arbres à l'exception de quelques braves peupliers tout au fond des canyons. Rien qu'un squelette rocheux, une peau de sable et de poussière, le silence, l'espace et les montagnes au loin.
Regarde-moi toutes ces bagnoles ... Regarde-moi tous ces types qui roulent sur leurs roues de caoutchouc dans leurs engins entropiques de deux tonnes, à polluer l'air qu'on respire, à violer la terre pour offrir un tour gratis à leurs gros culs d'Américains avachis. Six pour cent de la population mondiale engloutissent 40% du pétrole de la planète. Bande de porcs !
Un succès fulgurant ce barbelé. Aujourd'hui, les antilopes meurent par milliers, les mouflons périssent par centaines chaque hiver du haut de l'Alberta au bas de l'Arizona, parce que les clôtures les empêchent d'échapper au blizzard et à la sécheresse. Et les coyotes aussi meurent et restent pendus aux pointes d'acier tétanosées, et les aigles royaux ... tous victimes de la même engeance partout sur la planète.»
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Quatrième de couverture

Révoltés de voir le somptueux désert de l'Ouest défiguré par les grandes firmes industrielles, quatre insoumis décident d'entrer en lutte contre la “Machine”. Un vétéran du Vietnam accro à la bière et aux armes à feu, un chirurgien incendiaire entre deux âges, sa superbe maîtresse et un mormon nostalgique et polygame commencent à détruire ponts, routes et voies ferrées qui balafrent le désert. Armés de simples clefs à molette – et de quelques bâtons de dynamite –, ils doivent affronter les représentants de l'ordre et de la morale lancés à leur poursuite. Commence alors une longue traque dans le désert.

Dénonciation cinglante du monde industriel, hommage à la nature et hymne à la désobéissance civile, Le Gang de la clef à molette est un livre subversif à la verve tragi-comique sans égale.

Editions Gallmeister, avril 2013
544 pages
Traduit de l'anglais par Jacques Mailhos 
Parution originale The Monkey Wrench Gang, 1975

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