mercredi 16 juin 2021

Frakas ★★★★☆ de Thomas Cantaloube

Une découverte pour moi grâce à Babelio. J'ai eu la chance d'assister à une rencontre en visio avec l'auteur le mois dernier. Un beau moment d'échanges avec Thomas Cantaloube autour de son dernier livre : Frakas. 
Frakas, c'est un mot valise pour France / Kameroun et qui sonne comme le fracas du monde. En couverture, une des rares photos de l'époque (les années 50)  Ruben Um Nyobè et à ses côtés, Félix Moumié assassiné au début du roman, tous deux upcistes (de l'Union des populations du Cameroun (UPC), le parti indépendantiste du Cameroun). 
Frakas, c'est un polar géopolitique très intéressant. L'auteur a opéré un juste dosage entre le docu-fiction sur les travers scandaleux cautionnés par l'Etat français et qui sont "malencontreusement" tombés dans l'oubli et le récit d'aventures aux rebondissements appréciables.  
La guerre franco-camerounaise des années 1960 est peu connue. Une guerre sale. Au Cameroun, l'école coloniale française a fait régner la terreur  et perpétré des atrocités ; elle a laissé des traces qui perdurent encore aujourd'hui. 
Luc Blanchard, ancien inspecteur devenu journaliste, enquête sur la Main Rouge, une organisation terroriste jusqu'au-boutiste, à l'origine de l'assassinat de leaders indépendantistes dans les anciennes colonies françaises. Cette enquête le mènera au Cameroun, sur des chemins chaotiques, où il retrouvera deux anciens compagnons. 

Une lecture instructive pour laquelle je remercie Babelio, ainsi que les éditions Gallimard Série Noire. Et merci à vous Thomas Cantaloube. 

Le premier roman de l'auteur "Requiem pour une République" qui a reçu le prix 20 Minutes/Quai du polar ainsi que le prix Mystère en 2020, me tente bien ! 

« [...] le journaliste le relançait déjà sur les rumeurs d'opérations militaires françaises dans les provinces camerounaises rétives au nouveau pouvoir du président Ahmadou Ahidjo.
Des opérations militaires ?
Mais c'étaient de véritables crimes de guerre, des villages entiers dévastés, des champs brûlés, les femmes et les enfants séparés, les hommes envoyés dans des baraquements cernés de barbelés et de miradors ! Des camps de concentration oui, voilà ce dont il s'agissait. Il n'y avait pas que les Allemands pour faire cela, non Monsieur ! Mais comme ça se déroulait chez les nègres, tout le monde s'en balançait ! »

« [...] une troche braquée sur le passé éclaire le présent et dégage les ombres de l'avenir. »

« Un beau jour, ils avaient réalisé qu'ils vivaient côte à côte et non plus l'un pour l'autre. »

« La France gaulliste n'aimait pas les perturbateurs qui déviaient du cap fixé par le Général. À se demander si c'étaient bien les mêmes types qui avaient combattu un certain maréchal depuis Londres sur la base de principes d'indépendance et de liberté. »

« [Cameroun] Pays divisé depuis la Première Guerre mondiale entre les puissances française et britanniques, quatre cinquièmes pour les premiers, le reste pour Sa Majesté, il avait été décidé au sortir de la Seconde Guerre que les populations autochtones n'étaient pas mûrs pour l'indépendance. Un classique de la période. La piétaille coloniale, Algériens, Marocains, Sénégalais, Malgaches et compagnie... s'était avérée précieuse pour libérer l'Europe du joug nazi, mais elle n'allait tout de même pas diriger ses affaires chez elle ! Et ce en dépit de la Charte des Nations unies de 1945 qui reconnaissait  « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ».
[...] 
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'ONU avait donc accordé une « tutelle » à Paris et à Londres pour administrer le Cameroun. En théorie, ses habitants bénéficiaient de tous les droits garantis par les Nations unies. En pratique, rien ne distinguait le pays des autres dépendances tricolores : le colon était roi, l'autochtone son serf. »
« J'ai fait mes études à Paris et j'ai appris que ce n'est pas en travestissant les mots qu'on écrit la véritable histoire. Si l'on ne nomme pas les choses correctement, on rédige des fables. Les camps de concentration ne sont pas une invention allemande, contrairement à ce qu'on raconte aujourd'hui. Ils ont émergé lors de la guerre que les Britanniques ont faite aux populations boers au tout début de notre siècle, dans le sud de l'Afrique. Ensuite plusieurs belligérants  de la Première Guerre mondiale en ont fait usage dont la France. Il me chagrine de vous apprendre que les Français ont aussi construit de tels endroits en dehors de toute période de conflit, lorsqu'ils ont décidé d'y regrouper les réfugiés républicains espagnols qui fuyaient la guerre civile dans leur pays en 1938. À l'époque, le terme était employé couramment dans les documents administratifs rédigés par les fonctionnaires français. »

« Personne ne se précipitait pour lui parler, et il se voyait mal briser la glace avec tous ces notables en les interrogeant, un verre de pétillant à la main, sur Moumié et la guerre qui se déroulait en brousse à coups de napalm, de camps de concentration et de charniers. »

« Ton monde piétine les autres pour survivre. Il ne sait pas faire autrement car c'est ce qu'il a toujours fait. »

Quatrième de couverture

Paris, 1962. Luc Blanchard enquête sur un groupuscule soupçonné d’être un faux nez des services secrets, impliqué dans l’assassinat à Genève, deux ans plus tôt, d’un leader de l’Union des populations du Cameroun. Une piste conduit le jeune journaliste à Yaoundé, mais il met son nez où il ne devrait pas et devient la cible du gouvernement local et de ses conseillers de l’ombre français.
Avec l’aide de son ami Antoine et d’un ancien barbouze, il va tenter de s’extraire de ce bourbier pour faire éclater la vérité.
Frakas nous plonge dans un événement méconnu du début de la Ve République : la guerre du Cameroun, qui a fait des dizaines de milliers de morts dans la quasi-indifférence générale et donné naissance à ce qu’on appellera plus tard la « Françafrique ».

Thomas Cantaloube a été correspondant à l'étranger, puis grand reporter de presse écrite. Son premier roman, Requiem pour une République (2019), a obtenu de nombreuses récompenses dont le prix Landerneau 2019 et le prix 20 Minutes / Quais du polar 2020. Frakas est son deuxième roman à paraître à la « Série Noire ».

Éditions Gallimard, collection Série Noire, avril 2021
421 pages

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