samedi 5 juin 2021

Le dernier enfant ★★★★☆ de Philippe Besson

🎶 Avec le temps, va, tout s'en va 🎶

Les enfants dans une maison, dans une vie, occupent souvent la première place ; l'attention des parents leur est toute consacrée. La vie s'organise autour d'eux, le couple se plie au rythme du bébé. Quand ils sont plus grands, c'est sensiblement la même, in fine, la fatigue en moins (ou pas ;-)) ; leurs activités, leurs devoirs guident les plannings. Honteusement, parfois, il vient à l'esprit des parents, l'envie d'être déjà à plus tard, quand ils auront quitté le foyer, que la vie se calculera de nouveau à deux (ou à un), et c'est le rêve éveillé ! Tout ce temps libre (et livres ;-)) ... 
Mais quand vient le moment fatidique, ce n'est plus la même limonade ! L'idée du vide peut paraître effroyable, de même que l'inquiétude qui cache peut-être, pour un couple, la peur de se retrouver à deux, de ne plus savoir faire, de ne pas retrouver de quoi remplir sa vie, de ne pas savoir repenser son rôle...

"Le dernier enfant", c'est le dernier qui quitte le nid, c'est une mère anéantie et nostalgique, c'est un père déconcerté et cafardeux, c'est la "dislocation" du cocon familial. Un sujet qui parlera aux parents indéniablement, ainsi qu'aux jeunes à même de quitter le foyer.
L'atmosphère y est saisissante, on est spectateurs de scénettes qui ont tout d'un arrêt sur image, comme si la mère, le père, avaient voulu ralentir le temps au maximum, pour mieux s'imprégner des ultimes instants communs du trio. Les étapes du jour fatidique se déroulent sous nos yeux, par à coup. Elles sont intenses. Elles questionnent. 
Un sujet sensible et universel, abordé ici avec délicatesse. Avec beaucoup de finesse et de tendresse.
Un texte court (un peu trop peut-être, le focus sur l'adolescent aurait mérité peut-être d'être un peu plus dense, à mon avis), qui, malgré le poids que l'on sent peser sur les épaules des parents au fur et à mesure que l'on avance dans le récit, se lit étrangement vite .

Quelle chance d'avoir eu une co-lectrice pour ce livre. Merci Emilie @emilielespetitsplaisirs pour nos échanges. Je m'interroge toujours sur un casting en vue d'une adaptation cinématographie... et ta vision du père et de la mère me font rire à chaque fois que j'y pense ;-). 

« La maison, c'est la maison de famille, c'est pour y mettre les enfants et les hommes, pour les retenir dans un endroit fait pour eux, pour y contenir leur égarement, les distraire de cette humeur d'aventure, de fuite qui est la leur depuis les commencements des âges. » Marguerite Duras, La Vie matérielle

« Et l'on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid » Léo Ferré, « Avec le temps »

« Elle fera griller le pain de mie au dernier moment. C'est moins bon quand c'est grillé depuis trop longtemps, ça durcit, ça devient sec, on perd tout le plaisir de la mie chaude, moelleuse. En attendant, elle dépose les tasses et le bol sur la table de la cuisine, une cuiller dans chaque, tout le monde prend du sucre à la maison, le paquet  de sucre tiens il ne faudrait pas l'oublier, elle ajoute le pot de confiture, de la confiture de fraises, la préférée de Théo, le paquet de céréales, la brique de lait, elle sort le beurre du frigo, ça le beurre il vaut mieux le sortir un peu en avance, sinon quelle plaie pour l'étaler après, et puis elle se recule légèrement pour contempler son œuvre. Elle veut être certaine que rien ne manque. »

« [...] s'arrimer aux détails lui évite de s'écrouler purement et simplement. »

« Théo est le petit dernier et perdre le petit dernier est tout bonnement une dévastation, un anéantissement. »

« [...] elle songe que son fils cloisonne naturellement son existence et que désormais elle se tient du mauvais côté de la cloison [...]. »

« Les mères n'oublient jamais quand elles ont cru, un jour, perdre leur enfant.
Elles ne se débarrassent jamais de la frayeur non plus.
Elles vivent chaque jour en redoutant qu'un autre accident survienne. »

« Alors, bien sûr, c'était le bonheur des gens ordinaires, qui savent d'emblée qu'ils n'auront pas droit à la munificence, à l'extravagance, qui ne tutoient pas les sommets, qui ne partent pas au bout du monde, qui ne côtoient pas les puissants, qui n'ont rien de fabuleux à raconter. C'était un bonheur simple, frugal, un bonheur du quotidien, des petites choses, des menues satisfactions. Mais ça leur suffisait, ça lui suffisait. »
« Elle s'est rendu compte, après coup, que chaque fois, en réalité, elle s'efforçait de garder son fils dans son giron, que chaque fois il s'employait à manifester son indépendance, à la forger. Au fond, elle ne supportait pas qu'il échappe à sa vigilance. Qu'allait-il devenir loin d'elle ? Et ce monde n'était-il pas trop dangereux pour lui ? Était-il suffisamment armé ? Elle, elle savait le protéger, elle le protégeait depuis sa naissance. Serait-il capable de se débrouiller sans elle, et même tout bêtement de prendre soin de lui ? Les agacements étaient à mettre sur le compte de la peur, il ne fallait pas s'y tromper, la peur ancestrale des mères. Et lui, en retour, en se détachant d'elle, de son emprise, il lui demandait simplement de lui faire confiance, mais c'était si difficile à entendre, si difficile à accepter. »
« Ça joue les matamores ou les indifférents et ça finit penché sur une table de travail, tapant comme un sourd pour fabriquer ou démolir je ne sais quoi. »

Quatrième de couverture

« Elle le détaille tandis qu’il va prendre sa place : les cheveux en broussaille, le visage encore ensommeillé, il porte juste un caleçon et un tee-shirt informe, marche pieds nus sur le carrelage. Pas à son avantage et pourtant d’une beauté qui continue de l’époustoufler, de la gonfler d’orgueil. Et aussitôt, elle songe, alors qu’elle s’était juré de se l’interdire, qu’elle s’était répété non il ne faut pas y songer, surtout pas, oui voici qu’elle songe, au risque de la souffrance, au risque de ne pas pouvoir réprimer un sanglot : c’est la dernière fois que mon fils apparaît ainsi, c’est le dernier matin. »

Un roman tout en nuances, sobre et déchirant, sur le vacillement d’une mère le jour où son dernier enfant quitte la maison. Au fil des heures, chaque petite chose du quotidien se transforme en vertige face à l’horizon inconnu qui s’ouvre devant elle.

Éditions Julliard, janvier 2021
206 pages

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