mercredi 23 juin 2021

Kerozene ★★★★☆ d'Adeline Dieudonné

Le multi-primé La vraie vie m'avait emballée. Trash. Mordant à souhait. 
Et pour ce qui est d'être mordant Kerozene, l'est aussi. 
Quel phénomène encore ce livre ! Surprenant et extrêmement prenant. Adeline Dieudonné nous convie dans des morceaux de vie d'une quinzaine de personnages, animaux et humains. Tous convergent, à un moment donné vers une station service ardennaise, le long de l'autoroute, une nuit d'été, et un bon nombre d'entre eux, vers une destinée commune.
En refermant ce livre, je me suis demandé où voulait nous amener l'auteure. Je n'arrivais pas à répondre à cette question, je l'ai donc relu une deuxième fois ! J'ai alors ressenti la colère qui je pense accompagne Adeline Dieudonné quand elle écrit. Les tranches de vie qu'elle déploie sont sans tabous. Brutes de fonderie. Certaines, empreintes d'une insoutenable détresse, d'autres imprégnées de rage. 
Des parcours rongés par l'existence, meurtris parfois, où la violence est omniprésente, mais une violence greffée d'humour qui semble étrangement presque légère...Des parcours qui nous rappellent la vraie vie in fine. 
Un livre détonnant, foisonnant de personnages grandioses et terrifiants à la fois
Une écriture visuelle efficace et déroutante. 
Toutefois, âme sensible et puritaine s'abstenir ! Ce livre puissamment divertissant et piquant, est aussi particulièrement craspec !


« Et pourtant...Alika se demande quel est ce monde tordu qui lui impose un choix aussi merdeux. Ça n'est pas une surprise, les signes qui démontrent la faillite de l'aventure humaine ne manquent pas. S'il existe un Dieu là-haut qui a contracté un emprunt pour lancer son entreprise de civilisation humaine, Alika se dit que la situation qu'elle est en train de vivre est exactement le genre de cas qui devrait le poussait à déposer le bilan. Mais elle n'est même plus en colère. Elle est triste et fatiguée. Elle se dit que c'est mauvais signe. Si la colère disparaît, elle se demande ce qui la fera encore tenir debout. » 

« Le cerveau de Victoire se laissait aller, bercé par la monotonie de la route et par la fatigue, et il ne remarquait pas le souvenir qui s'apprêtait à surgir, comme une bulle d'air saturé de soufre, remontant des abysses. Il se faufilait dans les méandres de son psychisme, déjouant les pièges et les mécanismes de défense, vers la lumière du jour. Il avait suffisamment attendu. Il était temps. »

« À un moment, Marie a demandé : « Julie, en attendant, est-ce que vous voulez voir votre utérus ? » Elle m'a posé cette question comme si elle me proposait un jus d'orange. »

« J’avais déjà voulu lui dire que je ne voulais plus qu’il vienne, que le plaisir de sentir un homme à l’intérieur de moi était trop court et trop faible pour compenser le temps passé à laver mon linge, à le sécher et à le repasser. Mais les mots ne voulaient pas se former dans ma bouche. [...] Je ne voulais pas donner l’image de quelqu’un qui dit non. »

« Un air qui vous soupèse, qui vous déshabille, qui calcule votre rapport taille/hanches et qui évalue votre potentiel reproductif. Un air qui vous transforme en jument. »

« L’origine de cette haine envers les dauphins restait floue pour Victoire. Elle savait que c’était lié à un souvenir. Ce souvenir n’avait pas disparu, mais elle l’évitait. Si le psychisme de Victoire avait été une maison, on aurait pu dire que ce souvenir y vivait, occupant tout l’espace la chambre, la cuisine, le salon, la salle de bains, le jardin. Et que Victoire se terrait, cachée dans une malle du grenier, sortant la nuit pour aller grignoter quelques restes dans la cuisine, faisant ses besoins dans un seau, pour être sûre de ne jamais, jamais croiser son souvenir. »


Quatrième de couverture

Une station-service, une nuit d’été, dans les Ardennes. Sous la lumière crue des néons, ils sont douze à se trouver là, en compagnie d’un cheval et d’un macchabée. Juliette, la caissière, et son collègue Sébastien, marié à Mauricio. Alika, la nounou philippine, Chelly, prof de pole dance, Joseph, représentant en acariens… Il est 23h12. Dans une minute tout va basculer. Chacun d’eux va devenir le héros d’une histoire, entre lesquelles vont se tisser parfois des liens. Un livre composite pour rire et pleurer ou pleurer de rire sur nos vies contemporaines.

Comme dans son premier roman, La Vraie Vie, l’autrice campe des destins délirants, avec humour et férocité. Elle ne nous épargne rien, Adeline Dieudonné : meurtres, scènes de baise, larmes et rires. Cependant, derrière le rire et l’inventivité débordante, Kerozene interroge le sens de l’existence et fustige ce que notre époque a d’absurde.

Adeline Dieudonné est née en 1982, elle habite Bruxelles. Elle a remporté avec son premier roman, La Vraie Vie, un immense succès. Multi-primé, traduit dans plus de 20 langues, ce livre a notamment reçu en 2018 le prix FNAC, le prix Renaudot des lycéens, le prix Russell et le prix Filigranes en Belgique ainsi que le Grand Prix des lectrices de ELLE en 2019. Il s’est vendu à 250 000 exemplaires.

Éditions L'Iconoclaste, avril 2021
258 pages

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