mercredi 4 janvier 2017

Petit Piment*** de Alain Mabanckou


Éditions Seuil, août 2015
274 pages


Quatrième de couverture


Jeune orphelin de Pointe-Noire, Petit Piment effectue sa scolarité dans une institution placée sous l’autorité abusive et corrompue de Dieudonné Ngoulmoumako. Arrive bientôt la révolution socialiste, les cartes sont redistribuées. L’aventure commence. Elle le conduira notamment chez Maman Fiat 500 et ses dix filles, et la vie semble enfin lui sourire dans la gaieté quotidienne de cette maison pas si close que ça, où il rend toutes sortes de services. Jusqu’à ce que ce bonheur s’écroule. Petit Piment finit par perdre la tête, mais pas le nord : il sait qu’il a une vengeance à prendre contre celui qui a brisé son destin.

Dans ce roman envoûté et envoûtant, l’auteur renoue avec le territoire de son enfance, et sait parfaitement allier la naïveté et la lucidité pour nous faire épouser le point de vue de ses personnages.

Finaliste du Man Booker Prize International 2015, Alain Mabanckou est l’auteur d’une dizaine de romans dont Verre Cassé (2005) et Mémoires de Porc-épic ( prix Renaudot 2006 ). Son œuvre est traduite dans une vingtaine de langues. Il enseigne la littérature francophone à l’Université de Californie-Los Angeles (UCLA).

Mon avis ★★★☆☆


« En hommage à ces errants de la Côte sauvage, qui , pendant mon séjour à Pointe Noire, me racontèrent quelques tranches de leur vie, et surtout à « Petit Piment » qui tenant à être un personnage de fiction parce qu’il en avait assez d’en être un dans la vie réelle »
Dépaysant, pimenté, joyeux...j'ai été embarquée dans cette lecture, un retour en enfance, dans l'orphelinat de Loango au Congo en compagnie de Moïse ou "Petit piment" qui "tenait à être un personnage de fiction parce qu'il en avait assez d'en être un dans la vie réelle", et d'une myriade d'autres personnages, un regard plein de tendresse porté sur ces enfants orphelins, souvent abandonnés par leurs parents, pour qui la vie n'est pas rose du tout, et nous suivons pas à pas leurs infortunes; il y a beaucoup de chaleur humaine dans la première moitié du roman. Grâce notamment au personnage du prêtre Papa Moupelo, qui amène gaieté et réconfort à ces jeunes enfants.
«Papa Moupelo était un personnage à part, sans doute l'un de ceux qui m'avaient marqué pendant les années que j'avais passées dans cet orphelinat. Haut comme trois pommes, il chaussait des Salamander à grosses semelles - nous les appelions des "chaussures à étages" - et portait de larges boubous blancs qu'il se procurait auprès des commerçants ouest-africains au du Grand Marché de Pointe-Noire. Il ressemblait alors à un épouvantail de champ de maïs, en particulier au moment où il traversait la cour centrale et que les vents secouaient les filaos qui entouraient l'enceinte de l'orphelinat.»
Malheureusement, il m'a manqué de la saveur dans la deuxième partie, j'ai été débarquée ;-) et c'est bien dommage. J'ai eu l'impression d'être passée à côté de cette deuxième moitié ... pas assez de descriptions, des événements trop brefs, la psychologie des personnages peu approfondie ont certainement été la cause de ce débarquement prématuré, alors que la première partie était si prometteuse, remplie de jolies tournures de phrases et d'images, mais aussi d'humour et de poésie qui allégeaient considérablement les tragédies qui se jouaient sous mes yeux ...
«Cela prit à peine une dizaine de minutes pour que le directeur redevienne l'homme que nous connaissions et que nous détestions le plus au monde : le visage verrouillé à double tour, les mâchoires serrées et la moustache en deuil»
Néanmoins, ce roman est riche, l'écriture y est vive, Alain Mabanckou dénonce les effets pervers de la Révolution, les conflits ethniques qui ont cours dans son pays, trop d'ethnies qui veulent toutes gouverner et créent tant de désordres en terre africaine; il est sans concession avec certains représentants politiques, notamment ceux du Parti Congolais du Travail, il évoque les rivalités du Congo avec le Zaïre, on apprend aussi que l'esclavage existait déjà en Afrique, bien avant l'arrivée des Blancs ... 
Une plongée vertigineuse dans la réalité dérangeante, brutale, fétichiste, révolutionnaire du Congo dans les années soixante-dix au moment de son passage au socialisme.
Une aventure humaine, joyeuse parfois, douloureuse souvent qui nous rappelle le triste sort des enfants abandonnés et condamnés à l'errance, à la débrouille et qui luttent misérablement pour survivre.
«Oh, c'était la belle époque, mon petit Moïse ! Rien à voir avec aujourd'hui où l'on mélange politique et éducation des enfants et où l'on considère que les orphelinats sont des laboratoires de la Révolution, et vous autres les cobayes sur lesquels ils font leurs expériences !»
Un sentiment mitigé en ce qui me concerne, et je m'en veux un peu d'avoir décroché en milieu de lecture ... mais à vous de vous faire votre propre avis !
Ma prochaine lecture de cet auteur sera "Verre Cassé" dont on m'a dit tant de bien.
«Papa Moupelo symbolisait la tolérance, l’absolution et la rédemption tandis de Dieudonné Ngoulmoumako incarnait la fourberie et le mépris. L’affection que nous manifestions pour notre prêtre venait du fond de notre cœur et la seule récompense que nous espérions en retour était son doux regard qui nous redonnait du courage là où la mine renfrognée du directeur nous ramenait à notre condition d’enfants qui n’avaient pas eu la chance d’emprunter le chemin normal de l’existence. Les regards qui se posaient sur nous ne mentaient pas : aux yeux des Ponténégrins, “orphelinat” rimait avec prison, et on n’entrait dans une prison que parce qu’on avait commis un délit grave, voire un crime…
Lorsque les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres et ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés : lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient la terre et nous la Bible.

Les cadavres, ça n’arrête pas ces derniers jours ! Ce matin j’ai encore reçu deux corps si cabossés que j’ai dû ramasser des morceaux de chair depuis la cour de l’hôpital jusqu’à l’entrée de ma morgue. Y a eu paraît-il un grave accident de voitures du côté du rond-point Albert-Moukila, et ces voyous roulaient à tombeau ouvert ! Eh bien, puisque chez moi on n’est pas pressé, ils vont désormais rouler à tombeau fermé !

Alors n’ouvre ta bouche que lorsque ce que tu dis est plus beau que le silence, merde !
[...] alors que les médecins de ce pays se font rémunérer par la sécurité sociale même s’ils ne guérissent pas le malade ! Tu trouves ça normal, toi. Est-ce que tu peux confier une voiture à un mécanicien de ce quartier et la payer alors qu’il n’a pas réussi à la réparer comme il faut ?»

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