jeudi 30 mars 2017

En attendant demain★★★★☆ de Nathacha Appanah

Éditions Gallimard, collection Blanche, janvier 2015
193 pages

Quatrième de couverture


«Adam est debout, le visage collé à la petite fenêtre, les deux mains accrochées aux barreaux. Tout à l'heure, quand il a grimpé sur sa table pour atteindre l'ouverture, il s'est souvenu que les fenêtres en hauteur s'appellent des jours de souffrance. Adam attend l'aube, comme il attend sa sortie depuis quatre ans, cinq mois et treize jours. Il n'a pas dormi cette nuit, il a pensé à Anita, à Adèle, à toutes ces promesses non tenues, à ces dizaines de petites lâchetés qu'on sème derrière soi...» 
Adam et Anita rêvaient de vivre de leur art – la peinture, l'écriture. Ils pensaient accomplir quelque chose d'unique, se forger un destin. Mais le quotidien, lentement, a délité leurs rêves jusqu'à ce qu'ils rencontrent Adèle qui rallume un feu dangereux. 
En attendant demain est un roman qui raconte la jeunesse, la flamme puis la banalité, les mensonges et la folie d'un couple.

Mon avis ★★★★☆


Quand le quotidien, les désenchantements, les désillusions rattrapent un couple, quand mensonges et banalités s'immiscent dans la relation de ce couple, quand le désir s'amenuise, quand les rêves se heurtent à une réalité moins douce, comment ne pas renoncer à qui l'on est, comment ne pas perdre pied quand il ne reste plus d'espoir ? Adèle incarnera cet espoir, la renaissance du couple au travers d'un projet secret, lourd de conséquences.
Dès le début du livre, nous savons qu'un drame a eu lieu. Mais que s'est-il passé il y a quatre ans, cinq mois, et treize jours ? Natacha Appanah nous embarque dans une intrigue fascinante. Par petites touches, elle distille des instants de vies, des dialogues, des réflexions, des souvenirs et sans nous en rendre compte nous devenons témoins de l'existence des personnages, nous apprenons à les connaître, partageons leurs émotions, leurs désillusions, leurs renoncements...
Je me suis laissée happée par ce récit très dense, qui donne dans le thriller psychologique; de très belles séquences de vie, des personnages attachants confrontant leurs rêves à la dure réalité des choses. Ce livre aborde aussi le thème de l'exil, de l'intégration et de l'identité. «Il y a autre chose que l’amitié entre ces deux femmes, il y a un pays, des images qu’il ne faut pas légender, des gestes qu’il ne faut pas décortiquer, la petite mémoire des enfances, la petite mémoire des pays qu’on quitte.»
Une très belle écriture, captivante, saisissante, subtile, sensible...et extrêmement visuel, une plume affûtée qui ne me laisse pas indifférente.

Envie de poursuivre ma découverte de cette auteure avec Le Dernier Frère, écrit en 2007.
«Anita ne sait pas que, lentement,la petite mémoire de son pays pâlit-ces petites choses intimes qui se bichent non pas dans la tête mais sur la peau et au creux de l'estomac : la teinte exacte de la fleur de canne en juin, la sensation du grain de riz parfaitement cuit dan la bouche, le goût d'une glace à l'eau et au sirop, le bruit de la pluie sur un toit de tôle.
...un couple mixte Elle ne sait pas nager, il ne sait pas grimper aux arbres. Il aime le rugby, elle n'y comprend rien. Il lui parle des poilus, des résistants, d'André et de de Maurice, ses héros absolus; elle lui raconte l'histoire de son arrière-grand-père arrivé à l'île Maurice pour remplacer les esclaves sur les champs de canne. Elle trouve impensable qu'on puisse manger du museau, il trouve impensable qu'on mange des piments; il trouve jolie l'expression «femme de couleur», elle pense que c'est une expression colonialiste; il ne sait pas ce qu'est un multipliant, elle ne sait pas ce qu'est un pin parasol.[...] Ils ont chacun un coin pour travailler. Ici, un chevalet, un tabouret, des tubes de peinture, des palettes, des pinceaux, des toiles; là, un bureau, des cahiers, des livres, des stylos. Ils s'émerveillent de pouvoir travailler, et créer côte à côte. Ils sont persuadés que cette aisance rare est une des raisons pour lesquelles leur histoire est la bonne, celle qui va durer et s'épanouir.
Quand ils étaient plus jeunes (cela semble une éternité à Adam, ils dormaient sur un matelas par terre, ils discutaient des heures, ils faisaient l'amour tous les jours, ils ne mangeaient pas que des pâtes au beurre et du fromage industriel), ils avaient souvent parlé de travailler ensemble, être à l'origine d'un projet artistique original. Ils rêvaient d'incarner un couple d'artistes, mystérieux, talentueux et amoureux, ils espéraient trouver une nouvelle manière de rejoindre paroles, peinture, forme, couleur, histoire.
C'est ici que le poignard pénètre plus profondément en lui, ici que les deux mots Etranger et Menteur se font entendre clairement et qu'avec eux s'approchent une foule de détails : son accent qu'il essaie de gommer tant il a assez qu'on lui demande d'où il vient (Belgique ? Suisse ? Canada ?), l'attente de cette émotion qui ne se manifeste pas (oh, cette avenue! cette lumière! ce dôme!ce visage!ces jambes!toute cette énergie!), ces études où il se découvre moyen [...] ces efforts vains pour être comme tout le monde, à la page, à la mode, fumeur, buveur, palabreur, coureur, est-ce cela être jeune ? Est-ce cela grandir ? Adam pensait qu'ici il se transformerait en une version plus sophistiquée, plus intelligente et plus ambitieuse de lui-même. Il était persuadé qu'il serait inspiré par ces pavés millénaires, ces monuments, ces jardins, ces envolées de marches qui s'ouvrent sur des places romantiques, ces cabarets, ces chansons, ces brasseries, ces centaines de milliers de personnes qui descendent dans le métro le matin, cette voisine qui lui parle en posant légèrement une de ces mains sur sa poitrine, ce chapelier en bas de la rue, cette parfaite religieuse au chocolat dans la vitrine, ce manège blanc et or, ce ticket de métro plié au fond d'une poche.Dans son cerveau (cet animal aux mille lumières, portes, cachettes et couloirs) une pensée se forme et procure à Adam le soulagement de la vérité.Je ne suis pas à ma place ici.Je ne suis pas à ma place ici.Je ne suis pas à ma place ici.
Ils remarqueront sans rien dire les mains d’Adam, tâchées comme celles d’un peintre, rugueuses et larges comme celles d’un ouvrier. Les femmes s’arrêteront un instant sur les vêtements et les chaussures d’Anita – des couleurs passées, des coupes démodées, les vestes en laine râpeuse, les talons usés, toutes ces choses achetées sur les marchés, comme leur fromage, leur encens, leur pakol afghan. Ils penseront aux deux voitures garées dans l’allée, des voitures de la campagne, sales, bruyantes, tassées. Ils finiront par admirer sans envier, par aimer sans désirer.
Adam est devenu l'architecte des piscines, de centres de conférences, des gymnases et de la bourgeoisie locale. A quel moment a-t-il renoncé à ses rêves de concevoir une église, un musée, un mémorial? S'il ne peignait pas dans le secret de l'atelier, s'il ne pensait plus aux couleurs, aux textures, aux formes, s'il avait consacré son énergie et son ambition à son seul métier, serait-il devenu un autre homme, un autre architecte?
- On fera des cookies?- Oui, des grands cookies et des sablés en forme de cœur. Tiens, regarde, on arrive.
Combien de conversations comme celles-ci émaillent le monde, telles des petites lucioles dans la nuit? Ne devrions nous pas les emprisonner dans des bocaux en verre, les poser au bord des fenêtres pour profiter de leur lumière et entendre leurs bruissements?»

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