Éditions Albin Michel, août 2016
299 pages
Quatrième de couverture
Auvers-sur-Oise, été 1890. Marguerite Gachet est une jeune fille qui étouffe dans le carcan imposé aux femmes de cette fin de siècle. Elle sera le dernier amour de Van Gogh. Leur rencontre va bouleverser définitivement leurs vies.
Jean-Michel Guenassia nous révèle une version stupéfiante de ces derniers jours.
Et si le docteur Gachet n’avait pas été l’ami fidèle des impressionnistes mais plutôt un opportuniste cupide et vaniteux ? Et si sa fille avait été une personne trop passionnée et trop amoureuse ? Et si Van Gogh ne s’était pas suicidé ? Et si une partie de ses toiles exposées à Orsay étaient des faux ?…
Autant de questions passionnantes que Jean-Michel Guenassia aborde au regard des plus récentes découvertes sur la vie de l’artiste. Il trouve des réponses insoupçonnées, qu’il nous transmet avec la puissance romanesque et la vérité documentaire qu’on lui connaît depuis Le Club des incorrigibles optimistes.
Mon avis ★★★★★
Quel plaisir de lire à nouveau Jean-Michel Guenassia; après "Le club des incorrigibles optimistes" et "La vie rêvée d'Ernesto G." me voilà une nouvelle fois séduite. Dans cet opus, l'auteur imagine les dernières semaines de la vie de Vincent Van Gogh et sous sa plume, naît une histoire d'amour chaotique, désespérée entre Marguerite Gachet, qui n'est autre que la fille du Dr Gachet, qui assurait le suivi de Vincent alors convalescent après son internement en Provence.
Marguerite est la narratrice; elle raconte, soixante ans après, sa rencontre et son idylle avec Vincent. Elle est passionnée de peinture, et cherche en lui un mentor, qui, à l'instar d'Edward Munch dans "Car si l'on nous sépare" (Lisa Stromme) pour Johanna, lui prodiguera de précieux conseils : «Va dans ton jardin, dans la rue, et travaille sans te préoccuper du cadre, de la lumière ou des couleurs, et je te l'ai déjà dit, ne peins pas ce que tu vois mais ce que tu ressens. Et si tu ne ressens rien, ne peins pas.» «N'aie pas peur de te mettre en danger, de te casser la figure et de souffrir. Trouve ton chemin seule, tu n'as besoin de personne pour être peintre, regarde ce que tu as devant toi, ferme les paupières, et peins ce que tu vois à l'intérieur de toi. Et si tu ne vois rien, s'il n'y a rien, arrête de peindre.»
Au-delà de la romance, Jean-Michel Guenassia entremêle petite et Grande histoire; il évoque un lieu, Auvers-sur-Oise, qui a inspiré de nombreux peintres impressionnistes; il illustre une époque sexiste, où la violence était le quotidien des femmes et dont le rôle dans la société était de faire un bon mariage, où l'attirance du Nouveau Monde, territoire de la liberté donnait tant d'espoir; il décrit l'atavisme social de l'époque qui voit l'antisémitisme resurgir «Comme une majorité de leurs concitoyens, un nombre considérable de personnalités : Gustave Flaubert, Edgar Degas, Auguste Renoir, Jules et Edmond Goncourt, Auguste Rodin, Jules Verne, Guy de Maupassant, Ernest Renan, Jules Michelet, Stéphane Mallarmé, Maurice Barrès, Jean Jaurès, Alphonse Daudet, Maurice Denis, Toulouse Lautrec, Pierre Loti, etc. affichent ouvertement leur antisémitisme. En 1890, La Croix se proclame le journal catholique le plus anti-juif de France. Cette vaque antisémite culminera avec l'affaire Dreyfus en 1895.»; et l'on perçoit, aussi, sous sa plume, les conditions de la vie à Paris «Environ 70 000 chevaux sont utilisés à Paris, générant une pollution considérable, un nombre d'accidents important et des encombrements effrayants, dus aux livraisons et aux attelages publics et privés, qui paralysent souvent le centre-ville. La détérioration des conditions de circulation entraînera la décision de créer le métro parisien.»
Il fait référence à des auteurs, comme l'illustre Victor Hugo, le Sublime, notre grand-père à tous et son monumental recueil de poèmes "La légende des siècles", ou encore James William Buel (que je découvre), romancier américain, qui était l'auteur le plus vendu Outre-Atlantique en 1890. Ses oeuvres les plus populaires à l'époque : "Une belle histoire", "Le Monde vivant" et l'"Histoire d'un homme", ont été tirés à des centaines de milliers d'exemplaires. Je n'ai trouvé aucune trace de traduction française ...
L'écriture est belle, poétique, émouvante «Et c'est de mon perchoir, au milieu de ce maudit mois de mai, que je l'aperçois, il se déhanche d'un pas de promenade sur le chemin qui vient de Pontoise, comme s'il avait l'éternité devant lui, son chapeau en feutre enfoncé sur l'arrière de son crâne. Il pénètre de dix pas dans le champ de blé meurtri. Il se met à genoux, la tête enfouie dans les épis courts et secs, il reste un moment dans cette curieuse position, puis il se redresse et sa main caresse la surface des tiges comme si c'était une étole de soie...», et sert une lecture agréable, entraînante, rafraîchissante.
Très beau portrait de Van Gogh, et sa grande force de caractère, totalement habité par sa peinture, «c'était la seule chose qui l'intéressait et rien d'autre ne l'atteignait. Il savait la valeur de son art, que c'était d'une force jusque là inconnue. Ses tableaux n'étaient pas forcément beaux au sens où on l'entendait à cette époque, mais ils étaient d'une puissance et d'une nouveauté qui allaient créer une autre beauté et renvoyer les autres dans les poubelles de l'art.», un Van Gogh qui écrit beaucoup, raconte sa vie, ses travaux, à sa famille, à son frère qui le supportait financièrement car ses tableaux ne se vendaient pas à l'époque, à ses amis peintres, Gauguin, Pissarro et bien d'autres.
«S'il avait été connu, je ne me serais pas permis de le juger. C'est ainsi qu'on agit en ce monde. Vous n'existez pas pour ce que vous faites, mais pour la place que vous occupez dans la société. Et j'étais, comme les autres, un mouton de Panurge, incapable d'exprimer un peu d'originalité et de sortir de l'ornière. On excuse souvent les bêtises en raison de l'âge, et c'est vrai, je n'étais qu'une péronnelle; son talent aurait dû me sauter aux yeux, mais j'étais aveugle, comme tous mes contemporains, et j'aurais dû me taire. Me taire et admirer. Profiter du bonheur qui m'était donné de côtoyer un génie pareil, de vivre à ses côtés, de l'entendre s'exprimer, et de la chance inouïe de le voir peindre.»
Jean-Michel Guenassia s'est beaucoup documenté, il nous livre sa propre version des faits, une version romancée que j'ai trouvée puissante, troublante, passionnante....
Il me tarde de lire "Vincent qu'on assassine" de Marianne Jaeglé salué par les critiques, et de parcourir l' ouvrage sur la vie du peintre, écrit par les biographes Steven Naifeh et Gregory White Smith.
«Dans ma mémoire, je n'ai gardé que les moments joyeux, Vincent ,'était pas triste ou sombre, il était comme un enfant qui découvre le monde, on avait des millions de choses à se dire. Mais lui savait que notre temps était compté. Pas moi. Il savait, d'instinct, bien avant que je ne l'admette, que nous sommes seuls sur cette terre et que nous pouvons rien faire contre cela. Seuls face à nous-mêmes. Seuls au milieu des autres. Quoi que nous fassions pour donner le change. Et c'est la beauté de cette solitude profonde qu'il était arrivé à peindre.»
«Plus j'y réfléchis, plus je sens qu'il n'y a rien de plus artistique que d'aimer les gens.»
Lettre de Vincent à Théo
«Cent ans après la Révolution, dans notre société française, l'égalité des citoyens est un pur mensonge et la devise inscrite sur le fronton de nos monuments un leurre : les femmes restent des citoyennes de second rang.
En vérité, nos actions sont dictées non par la recherche de la vertu ou de la justice mais par le seul bénéfice que nous en escomptons, il en est de même de nos regrets.
En 1887, se souvient Jeanne Crouzet-Benaben, aux épreuves écrites, sur une centaine de candidats, on remarque deux robes : encore la seconde était-elle une soutane...
Mon frère avait fait sienne l'arme des faibles, il avait appris la ruse; le silence et le mensonge sont des défenses infranchissables.
Les impressionnistes règnent en maîtres aux Indépendants. [...] Toutes ces couleurs intenses, rouge, violet, indigo, frappent la rétine comme avec des aiguilles. La sensation qu'on éprouve peut du reste se comparer assez bien à celle que produisait sur une oreille délicate la musique du théâtre annamite, à l'esplanade des Invalides. On est aveuglé et ébaubi. La Lanterne, 21 mars 1890 "Les Indépendants. La sixième exposition annuelle".
Depuis quelques temps, le Parlement conjugue à tous les temps le verbe protéger. Il protège les villes, il protège les campagnes, il protège les ouvriers, les bourgeois, les paysans, il protège aussi le travail des femmes et des enfants. Après les vacances, il s'occupera de protéger les animaux...À quand la protection des coquelicots, des bleuets et des roses ?
...Prenons y garde. C'est ainsi que de protection en protection ... on arrivera bien vite à tout proscrire.
La Lanterne, 24 juillet 1890
Un instituteur vient d'être révoqué en Belgique, pour avoir tenu, au cabaret, des propos qui ont amené le conseil communal à constater ...qu'il ne croyait pas en l'Immaculée Conception !...
La Lanterne, 29 juin 1890
Les impressionnistes règnent en maîtres aux Indépendants. [...] Toutes ces couleurs intenses, rouge, violet, indigo, frappent la rétine comme avec des aiguilles. La sensation qu'on éprouve peut du reste se comparer assez bien à celle que produisait sur une oreille délicate la musique du théâtre annamite, à l'esplanade des Invalides. On est aveuglé et ébaubi. La Lanterne, 21 mars 1890 "Les Indépendants. La sixième exposition annuelle".
Depuis quelques temps, le Parlement conjugue à tous les temps le verbe protéger. Il protège les villes, il protège les campagnes, il protège les ouvriers, les bourgeois, les paysans, il protège aussi le travail des femmes et des enfants. Après les vacances, il s'occupera de protéger les animaux...À quand la protection des coquelicots, des bleuets et des roses ?
...Prenons y garde. C'est ainsi que de protection en protection ... on arrivera bien vite à tout proscrire.
La Lanterne, 24 juillet 1890
Un instituteur vient d'être révoqué en Belgique, pour avoir tenu, au cabaret, des propos qui ont amené le conseil communal à constater ...qu'il ne croyait pas en l'Immaculée Conception !...
La Lanterne, 29 juin 1890
L'auberge Ravoux en 1890,
année du séjour et du décès de Vincent Van Gogh
La chambre de Vincent Van Gogh
à l'auberge Ravoux, laissée intacte après sa mort.
Paul Cézanne, «Bouquet au petit Delft», 1873
Musée d’Orsay, Paris
«Je m'acharne sur monsieur Cézanne, qui a peint notre maison [...] et à qui mon père a acheté plusieurs toiles. L'une d'elles, avec ses pivoines blanches et bleues qui se détachent si habilement sur le fond noir d'un fauteuil, avec sa faïence de Delft un peu gondolée, me trouble par sa sincérité et sa simplicité. [...] Il a une manière de peindre les fleurs, au débotté, avec une touche griffonnée, sans ombre, ni contour, ni détail superflu, qui leur donne une vie qu'elles n'ont pas quand on s'acharne à vouloir les rendre ressemblantes, il nous donne à sentir leur odeur.»
Vincent Van Gogh, «Le champ de blé aux corbeaux»,
à Auvers sur Oise, à la croisée des chemins de l’église et des vallées, 1890, huile sur toile
Musée national Vincent van Gogh, Amsterdam
«Quel mot existe-t-il pour exprimer le choc que j'éprouve
en voyant pour la première fois un tableau de Vincent ?
Je reste interdite, muette, pétrifiée, comme si on venait d'ouvrir
l'Arche d'alliance et que je venais d'avoir la révélation, de découvrir
ce qui m'avait été caché depuis toujours.
Je suis passée mille fois devant ce paysage qui était pour moi semblable
à mille autres vallons paisibles, mais ce que je vois n'est ni banal ni paisible,
ce sont les blés et les arbres qui vibrent comme s'ils étaient vivants et passionnées de vivre,
avec le vent qui les bouleverse, le jaune qui s'agite de partout et le vert qui tremble.»
Vincent van Gogh, «Portrait du Docteur Gachet»,
rue du docteur Gachet à Auvers sur Oise, 1890, huile sur toile,
Musée d’Orsay, Paris
Vincent Van Gogh - «Mademoiselle Gachet au piano»
à Auvers-sur-Oise, 1890, huile sur toile,
Kunstmuseum, Bâle
Vincent Van Gogh - «Mademoiselle Gachet dans son jardin»
à Auvers-sur-Oise, 1890, huile sur toile,
Musée d'Orsay, Paris
«Cette peinture était sidérante de beauté. [...] La nature explosait, une vibration incroyable l'animait; pourtant il n'avait, par petites touches, utilisé que deux couleurs : le vert et le blanc se partageaient la toile, avec des pointes fugitives de jaune pour des fleurs incertaines et de bleu pour marquer son ciel chargé. Dans le fond, on reconnaissait le toit de notre maison plus qu'on ne le voyait; nos cyprès, bizarrement gonflés, semblaient soutenir la toile telles deux colonnes vertes un peu de guingois. Avec ses roses blanches et sa vigne, c'était notre jardin assurément, reconnaissable entre mille, mais métamorphosé, il avait perdu son ordonnancement sage et soigné, il bouillonnait de vitalité, d'allégresse même, et semblait fringant comme un jeune homme. Surtout, ce qui me bouleversa, c'est qu'au milieu de cette toile Vincent m'avait peinte, avec ma robe blanche qui flottait un peu et mon chapeau de paille jaune[...]. Je n'avais pas posé pour lui ... jamais je n'aurais imaginé qu'il m'avait saisie au passage.»
L'un des trois tableaux Les Tournesols de Vincent van Gogh.
«...ces tournesols qui dansaient à la chandelle, je ne me souvenais pas avoir jamais vu de fleurs peintes de façon si humaine.»
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