mercredi 13 septembre 2017

Confiteor ★★★★★ de Jaume Cabré


Waouh, quel opus, et quel pavé ... exigeant, une lecture franchement pas simple, qui nécessite quelques efforts de concentration, des efforts qui s'avèrent payants. Car c'est un véritable petit chef d'oeuvre que nous offre Jaume Cabré.
La trame est intelligemment conçue, ce roman est le fruit d'un travail d'écriture immense, c'est indéniable. Il est dense, et je garde en mémoire une lecture ardue, une trame pas toujours évidente à suivre; l'auteur "s'amuse" à nous embarquer dans des chemins de traverses, dans de nombreuses digressions, complètement désarçonnantes au début mais qui rendent cette lecture si captivante et passionnante; dans une même phrase, l'auteur change de narrateur, et dans un même paragraphe, il nous fait voyager d'un siècle à un autre, d'une époque à une autre, d'une page de l'histoire à une autre. L'auteur balaye énormément d'événements qui ont marqué l'histoire, Inquisition, Holocauste, Franquisme, et nous livre des témoignages riches, parfois bouleversants, qui m'ont émue aux larmes. 
J'évoquais une trame compliquée à suivre parce qu'elle est foisonnante, foisonnante de personnages, de réflexions sur de nombreux thèmes comme l'art, l'amitié, les sentiments amoureux, la maladie, la filiation, la musique, l'apprentissage, la destinée ... Le personnage principal Adrià Ardèvol, au crépuscule de sa vie, Alzheimer guettant, se confie à sa bien aimée, dans une longue lettre. Il couche sur papier bien plus que les éléments de sa propre vie, c'est un regard sur notre monde qu'il porte et retransmet dans cet écrit, avec tant de précisions. Une lettre bien vivante, sensible...bouleversant d'humanité.

Cette oeuvre est un monument, et je conseillerai, à ceux qui souhaitent le lire, de tenter l'aventure à un moment propice à s'accorder un peu de temps.

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«...je me suis toujours beaucoup ennuyé, parce que ma maison n'était pas une maison pensée pour les enfants et que ma famille n'était pas une famille pensée pour les enfants. Maman ne comptait pas et papa ne vivait que pour ses achats et ses ventes, et moi j'étais rongé, j'étais dévoré par la jalousie quand je le voyais caresser une gravure ou un vase porcelaine fine. Et maman... eh bien maman m'avait toujours donné l'impression d'une femme qui était sur ses gardes, en état d'alerte, regardant de tous côtés... Maintenant je me rends compte que papa la faisait se sentir une étrangère dans la maison. C'était la maison de papa et il lui faisait la faveur de la laisser y vivre.
Oui, pour de multiples raisons ce fut une erreur de naître dans cette famille. Ce qui me pesait chez papa c'est qu'il savait seulement que j'étais son fils. Il n'avait pas encore compris que j'étais un enfant. Et maman regardait le carrelage, sans voir la parte que disputaient le père et le fils.
- Eh, Ardévol, personne ne dit qu'il veut être historien des idées.- Moi, si.- Tu es le premier que j'entends dire ça. Merde alors. L'histoire des idées et de la culture. - Il me regarda avec méfiance. - Tu te fiches de moi, c'est ça ?- Non ; je veux tout savoir. Ce qu'on sait maintenant et qu'on savait avant. Et comment ça se fait qu'on savait ou qu'on ne savait pas encore. Tu comprends ?
... être un enfant cela veut dire savoir respirer le parfum de la fleur qui brille dans la boue toxique. Et cela veut dire savoir être heureux avec un camion à cinq essieux qui était une boîte en carton pour emballer des chapeaux de femme.
Il n'existe aucune organisation qui puisse se protéger d'un grain de sable. (Michel Tournier, cité par l'auteur)
Le grain de sable, c'est d'abord une poussière dans l'oeil; ensuite, cela devient un agacement dans les doigts, une brûlure à l'estomac, une petite protubérance dans la poche et, si le mauvais sort s'en mêle, cela finit par devenir une lourde pierre sur la conscience. Tout commence comme ça, ma chère Sara, la vie comme les récits, par un grain de sable inoffensif, qui passe inaperçu.
- Si le mal peut être gratuit, nous sommes foutus.- Je ne comprends pas.- Si je peux te faire du mal, à toi, et qu'il ne se passe rien, l'humanité n'a pas d'avenir.- Tu veux dire le crime sans raison, juste comme ça;- Un crime juste comme ça, c'est la chose la plus inhumaine qu'on puisse imaginer. Je vois un homme en train d'attendre l'autobus et je le tue. Horrible.- La haine justifierait le crime ?- Non, mais elle l'explique. Et le crime gratuit est non seulement épouvantable, mais inexplicable.- Et un crime au nom de Dieu ? intervint Sara.- C'est un crime gratuit mais avec un alibi subjectif.- Et si c'est au nom de la liberté ? Ou du progrès ? Ou de l'avenir ?- Tuer au nom de Dieu ou au nom de l'avenir, cela revient au même. Quand la justification est idéologique, l'empathie et le sentiment de compassion disparaissent. On tue froidement, sans que la conscience en soit affectée. Comme dans le crime gratuit d'un psychopathe.  »

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Quatrième de couverture

Barcelone années cinquante, le jeune Adrià grandit dans un vaste appartement ombreux, entre un père qui veut faire de lui un humaniste polyglotte et une mère qui le destine à une carrière de violoniste virtuose. Brillant, solitaire et docile, le garçon essaie de satisfaire au mieux les ambitions démesurées dont il est dépositaire, jusqu’au jour où il entrevoit la provenance douteuse de la fortune familiale, issue d’un magasin d’antiquités extorquées sans vergogne. Un demi-siècle plus tard, juste avant que sa mémoire ne l’abandonne, Adrià tente de mettre en forme l’histoire familiale dont un violon d’exception, une médaille et un linge de table souillé constituent les tragiques emblèmes. De fait, la révélation progressive ressaisit la funeste histoire européenne et plonge ses racines aux sources du mal. De l’Inquisition à la dictature espagnole et à l’Allemagne nazie, d’Anvers à la Cité du Vatican, vies et destins se répondent pour converger vers Auschwitz-Birkenau, épicentre de l’abjection totale.
Confiteor défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral et emplir de musique une cathédrale profane. Sara, la femme tant aimée, est la destinataire de cet immense récit relayé par Bernat, l’ami envié et envieux dont la présence éclaire jusqu’à l’instant où s’anéantit toute conscience. Alors le lecteur peut embrasser l’itinéraire d’un enfant sans amour, puis l’affliction d’un adulte sans dieu, aux prises avec le Mal souverain qui, à travers les siècles, dépose en chacun la possibilité de l’inhumain – à quoi répond ici la soif de beauté, de connaissance et de pardon, seuls viatiques, peut-être, pour récuser si peu que ce soit l’enfer sur la terre.

Éditions Actes Sud, septembre 2013
784 pages
Traduit du catalan par Edmond Raillard
Prix Jean-Morer 2014
Prix du Courrier International du meilleur livre étranger 2013
Grand Prix SGDL de traduction - 2013

2 commentaires:

  1. Bonjour, ce roman magnifique avait été mon coup de coeur pour 2013. Il faut s'habituer au style et après, c'est un vrai plaisir de lecture. http://dasola.canalblog.com/archives/2013/12/03/28566813.html Bonne journée.

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  2. Bonjour, tu as tout à fait raison, une fois habituer au style, cette lecture se transforme en un véritable plaisir. Tu parles de roman vertigineux dans ta chronique, et c'est tout à fait ça. Très bon après-midi à toi, et merci pour ton passage !

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