lundi 29 mai 2023

Le lièvre de Vatanen ★★★★☆ d'Arto Paasilinna

Génial ce livre ! Il m'a fait voyager hier matin. J'ai été totalement embarquée dans les aventures parfois rocambolesques de Vatanen et de son lièvre, du Sud  de la Finlande au Nord de la Laponie, avec un petit détour par la Mer Blanche.

Vatanen a pris la tangente, tout plaqué, tiré un trait sur sa vie d'avant, une vie ordinaire ordonné ; il est parti sur les routes, de par les forêts, les sentiers plus ou moins escarpés. Pour redonner du sens à sa vie, vivre en symbiose avec Dame nature, au gré de rencontres totalement fortuites. Les rencontres fortuites, ne sont-elles pas d'ailleurs les plus délicieuses ? Vatanen en fera de très belles, certaines plus loufoques que d'autres et quelques-unes franchement désagréables.

Une belle personne ce Vatanen. Et une belle réflexion, ce livre, sur les choix de vie, de société, sur l'impact de l'homme sur la nature. 

Un livre qui se dévore sans faim et que j'aurais souhaité sans fin. 

N'hésitez pas à vous lancer dans l'aventure, à poser vos pas dans ceux de Vatanen et de son lièvre, fouler ce petit bout de monde, prendre cette chouette et apaisante bouffée d'oxygène, mettre votre vie entre parenthèse le temps d'accompagner ces deux acolytes dans leurs palpitantes péripéties, savourer ces moments de liberté.  

Avez-vous déjà lu Paasilinna ? Quel titre pour continuer ma découverte de l'auteur me conseillerez-vous ? 

« Deux hommes accablés roulaient en voiture. Le soleil couchant agaçait leurs yeux à travers le pare-brise poussiéreux. C'était l'été de la Saint-Jean. Sur la petite route de sable, le paysage finlandais défilait sous le regard las des deux hommes ; aucun d'eux ne prêtait la moindre attention à la beauté du soir.
C'étaient un journaliste et un photographe en en service commandé, deux êtres cyniques, malheureux. Ils approchaient de la quarantaine et les espoirs qu'ils avaient nourris dans leur jeunesse étaient loin, très loin de s'être réalisés. Ils s'étaient mariés, trompés, déçus, et avaient chacun un début d'ulcère à l'estomac et bien d'autres soucis quotidiens.
Ils venaient de se quereller pour savoir s'ils devaient rentrer à Helsinki ou s'il valait mieux passer la nuit à Heinola. depuis ils ne se parlaient plus.
Ils traversaient en crabe la splendeur du soir, la tête rentrée, butés, l'esprit tendu, sans même s'apercevoir de tout ce que leur course avait de misérable. Ils voyageaient blasés, fatigués. »

« Il fallait sans doute retourner à Helsinki, se dit Vatanen. Que pouvait-on bien penser au bureau de sa disparition ?

Mais quel bureau, aussi, quel emploi! Un magazine qui dénonçait les abus notoires mais se taisait obstinément sur toutes les tares fondamentales de notre société. Sur la couverture du journal s'étalaient semaine après semaine des visages oisifs, miss, mannequins, nouveaux bébés de familles de musiqueux. Plus jeune, Vatanen avait été content de son travail de reporter d'un grand journal, très content d'avoir l'occasion d'interviewer des individus incompris, dans le meilleur des cas victimes d'une oppression étatique. Il avait eu l'impression de faire du bon travail: certains excès au moins étaient révélés au public. Mais avec les années il n'avait même plus l'illusion de faire quelque chose d'utile. Il se contentait de faire ce que l'on exigeait de lui, se satisfaisait de ne jamais ajouter de commentaire critique. Ses collègues, frustrés et cyniques, faisaient de même. Le plus vain des spécialistes en marketing pouvait dire aux rédacteurs quel genre d'articles attendait le commanditaire, et on les écrivait. Le journal se portait bien, mais l'information n'était pas divulguée, elle était diluée, camouflée, transformée en un divertissement superficiel. Foutu métier. »

« Sa femme aurait bien aussi échangé Vatanen si elle avait pu le faire aussi facilement qu'elle changeait de vêtements. »

« Certificat.
Je soussigné certifie que le porteur de la présente autorisation est officiellement en droit de garder et d'élever un lièvre sauvage, étant donné de l'autorisation a recueilli ledit animal. que le porteur sauvage alors que ce dernier était blessé à la patte gauche et risquait donc de mourir. À Mikkeli, U. Kärkkäinen, Administration des chasses du district du SavoSud.
« Donnez-lui des jeunes pousses de trèfle, à cette époque-ci on en trouve presque partout. Et comme boisson, de l'eau pure, inutile de lui faire ingurgiter du lait. En plus du trèfle, il peut manger du fourrage vert, et du regain d'orge... il adore les agrostides, il apprécie les gesses des prés et toutes les vesces, et le trèfle hybride lui convient aussi. En hiver, donnez-lui de l'aubier de feuillus et des branches de myrtille surgelées si vous le gardez en ville. 
- À quoi ressemble la gesse des prés, je ne vois pas très bien. 
- Vous connaissez les vesces?
- Je crois, oui, ce sont des espèces de légumineuses, avec des vrilles comme les pois.
- La gesse des prés ressemble beaucoup aux vesces. Elle a des fleurs jaunes, c'est le meilleur moyen de la reconnaître. Je vais vous faire un dessin, vous pourrez comparer. »»

« « La vie est parfois bien dure, quand on aime les bêtes », marmotta Vatanen ...»

« Quand Vatanen eut terminé son histoire, le professeur déclara emphatiquement : « Mon brave homme, je ne peux pas en croire un mot. Mais l'histoire est belle ; pourtant, c'est étrange que vous ayez besoin de raconter des choses pareilles. Retournez maintenant à l'institut, j'y téléphonerai demain matin.
- Très bien, si vous ne me croyez pas, téléphonez. Ces histoires n'ont pas tellement d'importance. »»

« Vatanen accomplissait son travail de force sans se préoccuper de l'heure, s'endurcissait, oubliait de plus en plus sa vie mollassonne dans la capitale [...]
N'importe qui peut mener ce genre de vie, à condition de savoir renoncer d'abord à son autre vie. »

« Une nuit encore, Kurko se soûla, et l'aventure faillit mal tourner: quand Kurko voulu prouver son adresse de flotteur de bois et courut sur la chaîne de rondins de la rive, il tomba dans le fleuve et manqua de se noyer, car il ne savait pas nager. Vatanen tira le vieillard ivre du fleuve glacé et le porta dans la tente. Au matin, l'homme rudement éprouvé s'éveilla le crâne emperlé de douleur, ouvrit la bouche pour laisser échapper une plainte. On constata alors que son dentier était tombé le soir précédent dans le fleuve. La vie est parfois bien déprimante. »

«« Voilà ce que font les gars de la coopérative », cria l'un des hommes hilare à Vatanen.
« Ou plus simplement, voilà ce que font le commerce et l'industrie, ce que l'argent n'obtient pas, on le prend par la force. »»

Quatrième de couverture

Vatanen est journaliste à Helsinki. Alors qu'il revient de la campagne, un dimanche soir de juin, avec un ami, ce dernier heurte un lièvre sur la route. Vatanen descend de voiture et s'enfonce dans les fourrés. Il récupère le lièvre blessé, lui fabrique une grossière attelle et s'enfonce délibérément dans la nature.
Ce roman culte dans les pays nordiques conte les multiples et extravagantes aventures de Vatanen remontant au fil des saisons vers le cercle polaire avec son lièvre fétiche en guise de sésame. Il invente un genre : le roman d'humour écologique.

Les Éditions Denoël,  1989 - Nouvelle édition en 2018
240 pages
Traduit du finnois par Anne Colin Du Terrail 

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