Editions Liana Levi, mai 2016
309 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michelle Herpe-Voslinsky
Parution originale The Jazz Palace, 2015
4ème de couverture
Chicago, années folles. Les Noirs débarquent de La Nouvelle-Orléans, le jazz dans leurs bagages. La ville, besogneuse le jour, s’encanaille la nuit dans les quartiers sud, où Louis Armstrong et King Oliver font naître des vocations. C’est là que Benny Lehrman, livreur de casquettes et pianiste doué, aime s’évader d’un morne quotidien et s’initier à cette nouvelle musique. Un soir, dans un club noir, il rencontre Napoleon Hill, trompettiste inspiré, prêt à braver les préjugés racistes et la mafia pour se faire connaître. Tous deux se produisent bientôt sur la scène du Jazz Palace, un speakeasy tenu par Pearl, jeune femme secrète. Silencieuse, elle observe les doigts de Benny courir sur le clavier pendant qu’Opal, sa jeune soeur, danse sans tabous… Une saga musicale et rythmée.
Mary MORRIS est née et a grandi à Chicago, une ville dont elle connaît l'âme par transmission familiale. Elle est l'auteur de trois recueils de nouvelles et de six romans. Jazz Palace est son premier roman publié en France, où elle réside souvent.
« Mes parents, Rosalie et Sol Morris, qui ont tous les deux vécu jusqu’à l’âge de cent ans, ont fait revivre cette époque à mes yeux en me racontant des anecdotes et en me faisant partager leurs penchants musicaux. Le sens des expressions pittoresques qu’ils employaient n’est vraiment devenu clair pour moi qu’au moment où j’ai fait des lectures et des recherches pour la rédaction de ce livre. Leur monde me manquera comme ils me manquent… » Mary Morris
«Le récit de Mary Morris marquera longtemps nos mémoires.» Publishers Weekly
«Ce roman fait revivre la ruine et la reconstruction de familles d’immigrants, les défaites et les triomphes de quelques laissés-pour-compte.» Washington Post
Mon avis ★★★★★
"Car, tandis que le récit de nos souffrances et de nos joies, celui de nos possibles triomphes, n'est jamais nouveau, il doit toujours être entendu.
C'est la seule histoire à raconter, la seule lumière que nous ayons dans toute cette obscurité."
James Baldwin, Sonny's Blues
Amateurs de Jazz, blues, de balades musicales, d'envolées rythmées, de notes endiablées, ne passez pas votre chemin, ce livre est pour vous, poussez la porte du Jazz Palace, venez vous immerger dans le Chicago des twenties !
Vous y croiserez Louis Armstrong, Bennie Goodman, King Oliver, Al Capone (dans une autre registre), vous ferez la connaissance d'un génie, Benny Lehrman, un jeune juif blanc, virtuose de la musique, qui la ressent jusqu'au plus profond de lui-même.
"Partout où il allait, il percevait sa propre musique.
Elle était dans le mouvement de ses pieds sur les trottoirs de bois, dans le claquement des sabots de chevaux, dans le ferraillement du métro aérien, le "El".
Il la tapait sur le couvercle des poubelles et sur son bureau à l'école.
Le matin, il la fredonnait dans son bain.
Au dîner il marquait la cadence avec son couteau et sa fourchette, jusqu'à ce que son père le somme d'arrêter.
Et le soir, il la jouait sur ses draps en s'endormant.
La musique qui venait de ses mains était différente du ragtime qu'il écoutait maintenant. [...]
Elle venait de derrière les portes, elle sortait par les fenêtres isolées où des hommes en tricot de corps blanc jouaient de la trompette, les soirs d'été."
Autour de Benny, gravitent ses parents qui ne partagent pas sa passion de la musique noire, Pearl, une jeune femme courageuse et entreprenante, Opal, une jeune fille sensuelle, belle et fragile, danseuse hors pair, avide de liberté, Napoleon Hill, très grand trompettiste noir, qui deviendra son ami ...
Jazz Palace est une mélodie puissante aux résonances multiples, qui fait vibrer le corps tout entier.
De notes tragiques en notes plus joyeuses, Jazz Palace nous entraîne dans une folle époque qui respire la vie et la musique, évoque la pauvreté, la misère, le racisme, la prohibition (le Volstead Act, oct. 1919), la lutte pour s'élever et gagner sa vie, l'amour, la passion, le sexe, l'art musical, l'amitié et la solidarité, un drame survenu dans la rivière Chicago en juillet 1915 (la catastrophe de l'Eastland), les destins exceptionnels des immigrés venus du Sud ...
Une très belle composition d'une très grande richesse !
Extraits
"Il y avait quelque chose dans cette musique de la rue qu'il n'avait jamais entendu. Il ne voyait pas où elle le menait. C'était comme s'il n'y avait pas de règles, sauf celles qu'elle inventait. Ça n'avait ni commencement ni fin. [...] Cette musique, elle poursuivait sa route, le piano parlait et le cornet écoutait, puis le cornet répondait, le piano riait, comme si deux inconnus, penchés sur leurs verres, avaient une conversation jusqu'au bout de la nuit. En laissant traîner ses oreilles, Benny attrapait ce qu'il pouvait." p.16
"Benny pouvait nommer les notes comme un peintre peut nommer les couleurs. [...] Il savait dans quelle tonalité le vent hurlait ou le cristal chantait." p.37
"Honey Boy égrenait ses airs de ragtime et de blues, mais soudain ils s'envolèrent, et Benny n'avait aucun moyen de les suivre. [...] Ces mains coururent pendant une heure, un jour: combine de temps, Benny l'ignorait. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il ne pouvait pas suivre les airs rien qu'en restant assis là. Et que cet homme, o, ne l'appelait pas Honey Boy à cause de la couleur mordorée de sa peau. Il était Honey Boy parce qu'il jouait, ce qui émanait de lui n'était que douceur." p.58
"On l'appelait le Stroll, cette parti de South State Street où la musique vivait. Le Dahomey Stroll pour certains. Une succession d'ampoules clignotantes, bleues, rouges et jaunes, où minuit était pareil à midi. De la musique en jaillissait vint-quatre heures par jour. De l'Elite et du Vendome. Du Grand et du Deluxe. On racontait que si on tenait une trompette e, l'air, elle jouait toute seule. C'était la bohème des gens de couleur. Rome Street, Athens Street, Jerusalem Street et South State Street étaient devenus l'épicentre du monde." p.58
"M. Marcopolis se leva et passa ses doigts le long du clavier pour montrer à Benny la succession de quintes. "La musique, ce n'est pas qu'une question de sons, de plaisir, de distraction. Il s'agit aussi d'ordre." [...] "Il faut que tu comprennes comment le monde a débuté. Moi je crois, vois-tu, que l'Univers a commencé par une collection de molécules, et dans ces molécules est venue une vague qui s'est réverbérée comme un son, et ce son a tout mis en mouvement. Tout a commencé par la musique". p.90
"Tout ce qu'il avait toujours su sur le monde - que la gravité vous fait tenir debout, que les mères sont toujours là quand vous rentrez à la maison, qu'il y a neuf tours de batte au baseball et que le sommeil vous attend à la fin de la journée - était soudain renversé. Il oublia son frère perdu dans la neige et la petite morte avec qui il avait dansé lorsque l'Eastland avait coulé. Il oublia l'enfant de Marta, seule à la maison et malade. Il oubliait même qu'il n'était qu'un individu au milieu de la foule [...]. Il n'était plus nulle part, sauf à l'intérieur de la musique qu'il entendait. Elle l'emmenait où il voulait être. Dans un train, qui sortait de la ville : loin; c'était là qu'elle l'emmenait. Loin." p.101
"Elle y trouvait ce qu'elle avait cherché dans les armoires, sous les lits, et sous les marches dans le bar. Dans les eaux froides et turbulentes du lac Michigan, Pearl avait découvert le silence." p.109
"Ce garçon jouait comme un noir. Les noirs n'avaient rien à perdre et ils le savaient. C'est pourquoi ils jouaient du blues. Ils lui donnent leur corps et leur âme. Mais les jeunes blancs ont toujours possédé quelque chose, et s'ils jouent du blues, c'est parce qu'ils l'ont perdu. [...] Ils ne savent pas que la tristesse réside au fond d'un puits profind. Ni que si vous creusez autour, vous pourrez faire jaillir autant de beauté." p.157-158
"Il ne faut jamais montrer à un Blanc qu'on a peur." p.170
" "Tout noir qui a vu un lynchage dans sa ville prendra un jour le train pour le Nord", avait-il [Napoleon Hill] dit un soir à Pearl..." p.181
"La seule chose qu'il avait à perdre était la vie, pensait-il [Napoleon Hill]; sa musique était plus importante." p.191
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