dimanche 31 juillet 2016

Debout-payé de Gauz****


Editions, Le Nouvel Attila, août 2014
172 pages


Quatrième de couverture


Debout-Payé est le roman d'Ossiri, étudiant ivoirien devenu vigile après avoir atterri sans papier en France en 1990.

C’est un chant en l’honneur d’une famille où, de père en fils, on devient vigile à Paris, en l’honneur d’une mère et plus globalement en l’honneur de la communauté africaine à Paris, avec ses travers, ses souffrances et ses différences. C’est aussi l’histoire politique d’un immigré et du regard qu’il porte sur notre pays, à travers l’évolution du métier de vigile depuis les années 1960 — la Françafrique triomphante — à l’après 11-Septembre.

Cette épopée familiale est ponctuée par des interludes : les choses vues et entendues par l’auteur lorsqu’il travaillait comme vigile au Camaïeu de Bastille et au Sephora des Champs-Élysées. Gauz est un fin satiriste, tant à l’endroit des patrons que des client(e)s, avec une fibre sociale et un regard très aigu sur les dérives du monde marchand contemporain, saisies dans ce qu’elles ont de plus anodin — mais aussi de plus universel.


Mon avis ★★★★☆


Une très belle découverte, percutante !

Le ton est ironique, incisif, caustique, efficace. 

Sans concession aucune, Gauz (nom d'auteur de Armand Patrick Gbaka-Brédé) dresse une satire de notre société de consommation à outrance, asservie par le capitalisme, observée par un homme Noir invisible, le vigile, Ossiri.

"Si elle se répétait aujourd’hui, la prise de la Bastille libérerait des milliers de prisonniers de la consommation."

Par ce procédé, il rend aussi un bel hommage à ces hommes invisibles.

"Ceux qui déjà ont une expérience du métier savent ce qui les attend les prochains jours : rester debout toute la journée dans un magasin, répéter cet ennuyeux exploit de l'ennui, tous les jours, jusqu'à être payé à la fin du mois. Debout-payé." 

"Une théorie lie l'altitude relative du coccyx par rapport à l'assise d'un siège et la qualité de la paie. Elle peut être énoncée comme suit : Dans un travail, plus le coccyx est éloignée de l'assise d'une chaise, moins le salaire est important.

Autrement dit, le salaire est inversement proportionnel au temps de station debout. Les fiches de salaire du vigile illustrent cette théorie."
"Ennui, sentiment d'inutilité et de gâchis, impossible créativité, agressivité surjouée, manque d'imagination, infantilisation, etc., sont les corollaires du métier de vigile. Or, militaire est une forme très exagérée de vigile."

L'auteur évoque aussi,  principalement d'ailleurs, les pages sombres de l'histoire Franco-Africaine de l'immigration. André, Ferdinand, Angela, Kassoum, Ossiri racontent l'immigration, leur immigration des Trente Glorieuses à nos jours, l'installation et la vie au MECI, Maison des Étudiants de Côte d'Ivoire qui se dégrade très vite et devient insalubre. un "cloaque vétuste, insalubre, miteux et surpeuplé en plein cœur de la capitale de la Gaule", et puis, le sort des immigrés face à la décision du gouvernement Giscard d'instaurer une "carte de séjour" "contre" les étrangers.


"Les élections qui suivirent la mort de Pompidou exhalèrent des relents aussi piquants et rances. A la course à la présidentielle se présentèrent dix hommes chauves, un borgne et une femme qui n'aurait pas été plus laide si elle avait été chauve et borgne. Ils avaient tous, bien évidemment, la solution pour sortir de "La Crise". Le grand slogan du moment : "On n'a pas de pétrole, mais on a des idées." 
Une de ces idées-là était que les étrangers étaient de venues trop nombreux en France. Dans "La Crise", ils arrachaient désormais leur travail aux vrais français et leur piquaient le bain de la douche ou le pain de la bouche. C'en était devenu intolérable, surtout de la part de gens qu'n avait gentiment invités pour partager le gros gâteau des Trente Glorieuses et du plein emploi. Intolérable."

Concision, maîtrise de la langue, instruction, lucidité et humour ! Un cocktail détonant !


Extraits
(et quelques exemples des observations d'Ossiri)

IPHONE. [...] Des filles essaient des tenues dans les cabines d'essayage, puis se photographient sous tous les angles avec leurs iPhones. Ensuite, c'est autour de l'écran qu'elles discutent de leurs choix. Le pixel a pis le pouvoir sur la rétine. p.30
"Tout est en soldes, y compris l'amour-propre." p.37
"En pensant à toutes leurs usines, leurs centrales thermiques, leur plastique, leurs voitures, leurs stations à essence, leurs habits, leurs perruques, leurs avions supersoniques, leurs fils à pêche, leurs canapés orange, leurs télés, etc., les occidentaux, Américains en t^te, ont pris peur. Une grande peur. La peur de ne plus avoir de frigidaire à la maison. Une très grande peur. Et comme souvent dans ces cas-là, les sphincters lâchent et boum...La Crise était née." p.49
CHAMPS-ELYSEES. Magasin, boutiques, supermarchés, galeries commerciales, hôtels, chaînes de restaurants... si cette avenue est la plus belle du monde, le vigile est alors fleuriste-frigoriste-thalassothérapeute chez les Inuits. p.61
GOLFE DE L'EMBONPOINT. Bahreïn, Qatar, Koweït, Emirats Arabes Unis, Arabie Saoudite, l'homme arabe du golfe Persique, quelle que soit sa physionomie, présente toujours au moins un signe extérieur d'embonpoint. Une fois sur deux, il est carrément obèse.Les corps de ce bédouins qui ont survécu des millénaires dans les conditions extrêmes du désert ont appris à garder le plus longtemps possible le très peu de nourriture qu'ils recevaient. Les organismes la stockaient sous forme de réserve de graisse destinée aux longs jours de disette. Ils n'étaient pas préparés à l'opulence et à la richesse que leur ont brusquement procurées le pétrole et son afflux massif de dollars. La nourriture, désormais abondante et riche, continue d'être rapidement transformée et longtemps stockée en graisse dans le corps. On ne défait pas en 30 ans ce que la nature a mis plus de 3000 ans à faire. p.67
D’UN CENTRE COMMERCIAL À L’AUTRE. Quitter Dubaï, la ville-centre-commercial, et venir en vacances à Paris pour faire des emplettes aux Champs-Élysées, l’avenue-centre-commercial. Le pétrole fait voyager loin, mais rétrécit l’horizon. p.68 
14 JUILLET 2. L'obélisque de la Concorde est la bite dressée, l'Arc de Triomphe est le trou du cul, et les Champs-Elysées la raie érogène qui relie les deux. Avec ces militaires et ces politiciens qui frétillent en tous ces points, on peut dire qu'aujourd'hui, la République se branle. p.116


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