dimanche 3 juillet 2016

Les saisons de Maurice Pons*****


Editions Christian Bourgois, 1995
214 pages
Première parution en 1965 aux Editions Julliard

Résumé Editeur


Depuis près de trente ans. les lecteurs des Saisons forment une sorte de confrérie d'initiés. Ils partagent un même univers, " plaqué " sur le nôtre comme l'or - ou la suie ; ils utilisent le même langage, les mêmes images de référence ; ils se connaissent et se reconnaissent entre eux, un peu comme les lecteurs de Malcolm Lowry ou de Julio Cortazar. Nous avons pensé qu'il ne fallait pas abolir ce privilège, mais le partager, en le multipliant. Et après les éditions Julliard (1965), Bourgois (1975.), 10/18 (1984), voici à nouveau ce " livre-culte " chez Christian Bourgois.


Mon avis ★★★★★


"Ne vous méprenez pas sur mes desseins qui sont périlleux. Ce que je dois écrire n'est pas beau en soi. Je puis bien vous l'avouer, ce sont des horreurs que je dois décrire, des horreurs et des souffrances surhumaines - comme par exemple la mort de ma soeur Enina - et c'est à travers cette horreur que je dois atteindre la beauté, une beauté qui purifiera le monde, qui en fera sortir tout le pus, mot à mot, goutte à goutte, comme d'une burette à huile. Après quoi le monde sera meilleur, et vous-mêmes vous serez meilleurs dans un monde plus heureux. Voilà quelle est ma science."  p.87

Maurice Pons nous a quitté, je me décide à ouvrir ce chef d'oeuvre qui dormait dans ma PAL depuis un certain temps déjà. J'en entendais parler et sa présence me revenait en mémoire.

Mais voilà, je n'ouvre pas facilement un livre dit "culte".

Des sensations m'habitent alors : peur d'être déçue, de ne pas adhérer, de ne pas partager les critiques dithyrambiques laissées par une foule de lecteurs sur la blogosphère, peur du rendez-vous manqué...inversement, c'est grisant d'avoir un livre culte dans sa PAL, savoir qu'une lecture hors du commun très certainement nous attend; qu'il est bon d'en retarder sa lecture, de garder ce soupçon de chance que l'on a par rapport à ceux qui l'on déjà lu, de faire durer cette attente encore un peu ...

Pourquoi j'ai décidé qu'il était tant cette semaine d'avoir rendez-vous avec "Les saisons" et de partager mon temps avec Simeon, je n'en sais rien, tout ce que je sais c'est que j'ai refermé cet opus hier en tout début de matinée et que j'en ai eu le souffle coupé !

"On vous a dit, je crois, que je suis écrivain et, à ce titre, j'ai droit à vos égards, car comme vous tous, je travaille à mains nues. Je façonne mes mots, avec des voyelles et des consonnes que j'accroche les unes aux autres, un peu à la façon du vannier. Mais avec mes petits paniers, mes corbeilles, j'essaye d'attraper la beauté." p.85

Oh Simeon, que je regrette pour toi que les paniers ne t'aient pas apporté la beauté, le réconfort. Aucune beauté (excepté Clara peut-être) présente dans cette vallée, aucun répit pour toi, toi, qui envisageais de coucher sur papier les horreurs dont tu as été témoin, de te lancer dans une écriture thérapeutique si nécessaire à tes yeux. Tu nourrissais tous les espoirs, en arrivant dans cette contrée, de pouvoir enfin trouver le répit, mais c'est dans un enfer que tu as posé les pieds, dépourvu d'humanité, où règnent en Maîtres la Pourriture, la violence, la déchéance et la bêtise.

J'ai partagé ton espoir, et puis les pages sont devenues plus lourdes, l'humour (âpre bien entendu) s'est détaché petit à petit, abandonnant la partie, t'abandonnant sur ce territoire hostile qui s'enfonce dans les ténèbres, plongeant le lecteur dans une atmosphère apocalyptique.

Ce livre m'a percutée, ébranlée, révulsée, déroutée, impressionnée, remuée, bousculée ...

Une lecture fascinante, effrayante et douloureuse à la fois, voilà ce qui vous attend. N'hésitez pas une seconde !!

Extraits


"Eût-il levé les yeux autour de son ombre, il n'aurait pas manqué d'être frappé par la sauvage laideur des lieux. Il arrive parfois que les constructions paysannes, par ce qu'elles ont de fruste et par les bienfaits de traditions artisanales séculaires, atteignent à une certaine beauté, simple et trapue." p.15
"Je vais ici pouvoir écrire, écrire, écrire. Je vais vider mon coeur de tout son pus. Il ne m'arrivera rien, j'en ai la conviction. Et pourtant, hier encore, j'ai été traversé par une image : lorsque ce crâne de mouton m'est tombé dans les pieds, je l'ai vu soudain multiplié par mile fois lui-même, j'ai revu l'amoncellement des charniers que je ne veux plus voir, et le sourire des dents humaines; j'ai senti à nouveau la brûlure de l'enfer. Oui, j'ai cédé encore à la tentation de l'image... En serai-je jamais délivré ? C'est mon livre qui m'en délivrera" p.25
"Les misérables ! Ah, les misérables ! Il a fallu qu'ils me donnent une fonction !Que leur demandais-je pourtant ? Le droit de partager leur refuge et la caresse bienfaisante de leur pluie. A peine, une assiette de lentilles..." p.94
"Je n'aime pas me plaindre, mais j'ai le sentiment que je vais au-devant de dures épreuves. Ce ne sera donc jamais fini ! Mais dans quel monde vivons-nous ?" p.95
"Pourquoi m'appelaient-ils Mathusalem, ces brutes qui me poussaient à boire - qui ont fait de moi, bon gré mal gré, un resquilleur, un griveleur, un soiffard, une épave ! Ah ! je commence à les haïr, moi qui venais vers eux plein d'innocence, plein d'espérance !" p.121
"On t'l'avait dit pourtant, petit agneau, on t'l'avait dit...Tu voulais inventer des saisons, du beau temps pour tout le monde...Tu voulais quoi ? Enrichir le monde avec tes monuments, avec tes petits paniers de voyelles et d'consonnes...Et pis quoi encore ? ... L'amour au bord des fontaines, des papillons pour les collectionneurs ? Ça s'peut pas, par chez nous...Et je m'suis battu pour toi...Rien à faire...C'est Pourriture qui gagne, et qui fait la loi ! On t'l'avait dit, petit agneau...C'est pas habitable,c'te putain de terre..." p.174 
"Grain de riz, grain d'amour. Un grain pour le Roi, deux grains pour la Tour. Le fou et le cavalier en auront plein leurs souliers. Si la Reine est en peine. On remplira ses greniers. Si son coeur est en peine. Il faudra la marier. Il faudra la marier..." p.184
"Quand un monde est inhabitable, on le change, ou on en change. Adieu ! Il me reste une main pour écrire, un pied pour marcher. J'irai enrichir un autre monde puisque je sais maintenant qu'un autre monde existe." p.195


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