mercredi 13 juillet 2016

Bernadette a disparu de Maria Semple*****



Editions PLON, janvier 2013
369 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Carine Chichereau
Parution originale, Where'd you go, Bernadette, 2012


Résumé éditeur


Paralysée par son propre génie, associable, trop originale et trop angoissée pour la petite ville ou elle a atterri, Bernadette se sent de plus en plus enfermée. Alors elle fuit Seattle et ses mères de famille proprettes jamais à court de muffins, son mari gourou chez Microsoft dont l'esprit trop cartésien ne parvient plus à la comprendre, et son passé glorieux d'architecte visionnaire montée trop haut trop vite et que la chute a laissée bancale. Tout a commencé quand Bee, brandissant son bulletin de notes, a réclamé la récompense qu'on lui avait promise : un voyage en famille en Antarctique ! Mais, au moment de partir, les névroses de Bernadette la rattrapent. Au pied du mur, elle disparaît. Sur les traces de sa mère, Bee découvre dans son courrier une montagne de secrets. La part d'ombre que toute mère cache à sa fille. À chaque page, Bee la découvre un peu plus géniale et imparfaite. 
Rythmé, plein d'esprit, d'humour et de tendresse, et absolument impossible à lâcher, Bernadette a disparu est un bijou satirique à la composition parfaite.

Maria Semple

Maria Semple a passé son enfance entre l'Espagne et les États-Unis, son père était le scénariste de l'adaptation en série télévisée de Batman. Après des études qui la destinaient à devenir professeur ou écrivain, elle a reçu une proposition de Hollywood pour un scénario. Elle s'est alors consacrée à l'écriture pour la télévision à Los Angeles. Après son premier enfant, et un déménagement à Seattle, elle s'est lancée dans ce qui la taraudait depuis toujours, un roman. Bernadette a disparu est son deuxième roman, le premier publié en France.

Mon avis  ★★★★★


Jubilatoire, lu à une allure folle, rythmé par de nombreux rebondissements, une bouffée d'oxygène ce roman !

Avec beaucoup d' humour, un humour acerbe, cinglant, Maria Semple dresse le portrait d'une femme, d'une mère, architecte talentueuse, différente, devenue une individu agoraphobe, acariâtre, blasée, aux tendances antisociales, fuyant les "bestioles" et qui plonge dans une dépression, une douce folie ...incomprise par son mari, un geek ingénieur brillant de chez Microsoft, MS pour les intimes, "Microsoft, cette merveilleuse Utopie pour les gens qui possèdent un QI supérieur à 140 !" , qui passe totalement à côté de la souffrance de son épouse et qui est prêt à la faire interner.

Une femme/mère différente, qui ne rentre pas dans le moule d'une société conformiste, bien rangée, super organisée, une société tellement cadrée qu'elle en devient absurde.
Une femme/mère différente, admirée par sa fille Bee. 

La relation entre les deux femmes est très chouette, leur complicité est belle et les liens qui les unissent sont forts.

"Parce que c'est ça le truc. Peu importe ce que les gens disent sur elle aujourd'hui, elle savait vraiment rendre la vie amusante."

L'histoire du caca dans le plat est excellente, et le mouvement thérapeutique VCV (Victime de la Victimisation) est à mourir de rire !!

Une lecture détente, plaisir pétillante, une comédie satirique tendre, originale et agréable, qui fait un bien fou !

Attention, ce n'est pas de la grande littérature, et alors ?

Extraits


"Un jour, elle a pris l'avion pour aller chercher une maison. Elle m'a appelé pour me dire qu'elle avait trouvé l'endroit parfait, l'école pour jeunes filles de Straight Gate, sur la colline de Queen Anne. Pour n'importe qui d'autre, une ancienne école pour jeunes filles difficiles en ruine ferait un piètre foyer. Mais c'était Bernadette et elle était enthousiaste. Et ça, c'est comme un hippopotame face à de l'eau : si vous essayez de vous interposer entre les deux, vous finissez piétiné à mort." p.115

"Un matin, je me suis rendue en ville assez tôt et je me suis aperçue que les rues étaient pleines de gens traînant des valises à roulettes. J'ai pensé : Wouah, cette ville est remplie de personnes dynamiques. Et puis j'ai compris : c'étaient tous des sans-abri qui avaient passé la nuit dans l'entrée d'un immeuble et qui pliaient bagage avant de se faire vider des lieux. Seattle est la seule ville où, quand on marche dans la merde, on pris pour que ce soit de la merde de chien." p.152

"Faisons l'inventaire du coffre à jouets : honte, colère, envie, puérilité, apitoiement sur son propre sort, auto-flagellation". p.153

"Personne ne m'aime à Seattle. Le jour de mon arrivée, je suis allée chez Macy's acheter un matelas. J'ai demandé si quelqu'un pouvait m'aider. "Vous n'êtes pas d'ici, pas vrai ? Ça se voit à votre énergie.", m'a dit la vendeuse. De quoi parlait-elle ? De l'énergie nécessaire pour demander conseil à une vendeuse en vue d'acheter un matelas ? " p.156

"Me disputer avec les autres me donne des palpitations. Eviter les disputes avec les autres me donne des palpitations. Même dormir me donne des palpitations! Je suis dans mon lit et ça se met à cogner tout seul, comme un envahisseur ennemi. C'est une horrible masse sombre, comme le Monolithe de 2001, autosuffisante mais totalement impénétrable, qui entre dans mon corps et déclenche une montée d'adrénaline. Tel un trou noir, elle aspire toutes les pensées bénignes qui peuvent me traverser l'esprit pour les marquer du sceau de la panique. Ainsi par exemple, dans la journée, peut-être ai-je songé : "Tiens, je devrais mettre davantage de fruits dans la gamelle de Bee pour le déjeuner." La nuit arrive avec le Monolithe, et ça devient : "IL FAUT ABSOLUMENT QUE JE METTE PLUS DE FRUITS DANS LA GAMELLE DE BEE!!!". Je sens l'irrationnel, l'angoisse grignoter mon stock d'énergie, me la pomper comme si j'étais une voiture de course sur pile bloquée dans l'angle d'un mur. Or, c'est l'énergie dont j'aurai besoin pour passer la journée du lendemain. Mais je reste là, immobile, à la regarder de consumer, et elle s'envole en emportant tout espoir de journée productive." p.158

"La genèse de ce malheur remonte à la maternelle. L'école où Bee est inscrite est très à cheval sur l'implication des parents d'élèves. Ils cherchent tout le temps à te faire participer à des activités. Ce que je n'ai jamais fait bien sûr, pour leur propre bien comme pour le mien." p.158

"...le cerveau procède selon un mécanisme de décompte. [...]
Tu sais pourquoi le cerveau fait ça ?
Question de survie. Il faut être prêt pour affronter les expériences nouvelles car elles sont souvent synonymes de danger. Si tu vis dans une jungle pleine de fleurs parfumées, il ne faut pas que tu passes ton temps à te délecter de leur odeur, sinon tu risques de ne pas sentir celle d'un prédateur. Voilà pourquoi ton cerveau suit un mécanisme de décompte. C'est littéralement une question de survie." p.328-329

"Papa, je l'ai appelée Yoko Ono ce soir-là parce-que c'est elle qui a fait éclater les Beatles. Pas parce que Soo-Lin est coréenne. Je me sentais mal." p.333

"- Je crois que ce que je préfère en Antarctique, c'est regarder au loin, en fait.
 - Et tu sais pourquoi ? Quand tes yeux fixent l'horizon sans bouger pendant une longue période, ton cerveau sécrète des endorphines. C'est comme le bien-être qu'on ressent quand on court. De nos jours, on passe nos vies à scruter des écrans situés à trente centimètres devant nous. Ça fait un changement agréable." p.333

"Bee, ma chérie, tu es une enfant de la terre, des Etas-Unis, de l'Etat de Washington et de Seattle. Ces gosses pourris-gâtés de la côte Esr sont d'une autre espèce, ils foncent à une allure effrénée vers le néant. Tes amis de Seattle sont d'une gentillesse toute canadienne. Aucun n'a de téléphine portable, les filles portent des sweats à capuche, de grandes culottes en coton, elles se baladent avec les cheveux emmelés, leur grand sourire et leur sac à dos customisé. Sais-tu à quel point tu es absolument exotique du fait que tu n'as pas été contaminée ni par la mode ni par la cutlture pop ? Il y a un mois, j'ai parlé de Ben Stiller, et tu te souviens de ce que tu m'as répondu ? "C'est qui ?" J'étais raide dingue de toi." p.368



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