vendredi 26 août 2016

Le canapé rouge de Michèle Lesbre*****


Editions Sabine Wespieser Editeur, août 2007
149 pages


Quatrième de couverture


Parce qu'elle était sans nouvelles de Gyl, qu'elle avait naguère aimé, la narratrice est partie sur ses traces. Dans le transsibérien qui la conduit à Irkoutsk, Anne s'interroge sur cet homme qui, plutôt que de renoncer aux utopies auxquelles ils avaient cru, tente de construire sur les bords du Baïkal un nouveau monde idéal. À la faveur des rencontres dans le train et sur les quais, des paysages qui défilent et aussi de ses lectures, elle laisse vagabonder ses pensées, qui la renvoient sans cesse à la vieille dame qu'elle a laissée à Paris. Clémence Barrot doit l'attendre sur son canapé rouge, au fond de l'appartement d'où elle ne sort plus guère. Elle brûle sans doute de connaître la suite des aventures d'Olympe de Gouges, auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, de Marion du Faouët qui, à la tête de sa troupe de brigands, redistribuait aux miséreux le fruit de ses rapines, et surtout de Milena Jesenskà qui avait traversé la Moldau à la nage pour ne pas laisser attendre son amant. Autour du destin de ces femmes libres, courageuses et rebelles, dont Anne lisait la vie à l'ancienne modiste, une belle complicité s'est tissée, faite de confidences et de souvenirs partagés. À mesure que se poursuit le voyage, les retrouvailles avec Gyl perdent de leur importance. Arrivée à son village, Anne ne cherchera même pas à le rencontrer... Dans le miroir que lui tend de son canapé rouge Clémence, l'éternelle amoureuse, elle a trouvé ce qui l'a entraînée si loin : les raisons de continuer, malgré les amours perdues, les révolutions ratées et le temps qui a passé. Le dixième livre de Michèle Lesbre est un roman lumineux sur le désir, un de ces textes dont les échos résonnent longtemps après que la lecture en est achevée.


Michèle Lesbre vit à Paris. Elle a commencé voici une quinzaine d'années à écrire des livres qui hantent la mémoire après avoir fait du théâtre dans des troupes régionales et enseigné dans les écoles. Le Canapé rouge,son dixième livre, paraît à la rentrée littéraire 2007 après La Petite trotteuse (Prix des libraires Initiales Automne 2005, prix Printemps du roman 2006, prix de la ville de Saint-Louis 2006), Un certain Felloni (2004) et Boléro(2003), tous publiés chez Sabine Wespieser éditeur.

Michèle Lesbre est aussi l'auteur de Nina par hasard(Seuil, 2001), Victor Dojlida, une vie dans l'ombre (Noésis, 2001), Que la nuit demeure (Actes Sud, Babel noir, 1999),Une simple chute (Actes Sud, Babel noir, 1997), Un homme assis (Manya, 1993 ; Librio, 2000) et La Belle Inutile (Le Rocher, 1991).


Mon avis  ★★★★★


Ce livre est sublime (mon humble avis), empreint d'une douce mélancolie, de nostalgie et de sérénité.
Une lecture paisible, un doux rêve éveillé, un voyage dans le temps, le temps qui passe et qu'il est bon de savourer.
Anne prend le temps de ce voyage, un lent et long voyage, afin de revoir son ancien amour, Gyl, devenu silencieux depuis bien trop longtemps. Alors que les paysages défilent, Anne nous raconte ses souvenirs avec beaucoup de délicatesse et de poésie, elle nous parle de Clémence, sa voisine du dessous, qu'elle a laissée derrière elle en entreprenant ce voyage, et avec qui elle partage de beaux moments de complicité, elle fait revivre certains moments passés avec Gyl, elle nous livre ses lectures, Jankélévitch, Dostoïevski, nous conte les destins de grandes femmes du monde, parsème ses pensées de très belles citations.
"Il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente", 
déclaration de Camille Claudel à Rodin
"J'aime la vie, mais je l'aime parce que j' espère qu'elle me donnera l'occasion de la jeter dignement par-dessus bord.", des mots de Robert Walser
Une petite gourmandise, une jolie prose poétique et un effet de style auquel j'ai pleinement adhéré.

Extraits


La vie bouge, voyage; et au-dessus des villages ou des campagnes perdues, alors que les convois du temps continuent à se poursuivre, au-dessus des villages déserts et des campagnes muettes, il reste l'admirable, la chère, la fidèle utopie.    Anna Maria Ortese. (épigraphe)
J'aimais ces réveils sans repères, subtil mélange de rêve et de réalité. Dans le compartiment, les souffles irréguliers de mes compagnons de voyage encore endormis ajoutaient à l'étrange impression de m'être égarée, mais j'étais plutôt dans un immense abandon où mon corps prenait toute sa place et devenait, au fil des jours, plus réceptif, plus présent.  p.17
Je ne courais pas après un vieil amour, mais c'était comme s'il représentait tous les autres, comme s'il les contenait tous en une seule histoire qui me ressemblait, plurielle et une à la fois. La vieille dame semblait me suivre dans ce train, je pensais à elle souvent. Nous allions, chacune à sa façon, vers ses instants de nos vies où tout avait commencé.  p.32
Si mes bagages apparents étaient sommaires, j'en avais d'autres en tête qui me débordaient parfois et me ramenaient souvent à mes inquiétudes.  p.33

[...] je lui avais lu la réponse qu'avait faite une certaine Mary Kervesten, dans la revue Le Miroir infidèle, e, 1946, à la question Qu'aimez-vous par-dessus tout ? Faire l'amour, la terre après la pluie, faire l'amour, les chats de gouttière, faire l'amour, les fleurs, faire l'amour, quelques enfants très rares, faire l'amour, les gens qui savent se juger, faire l'amour, les rivières, faire l'amour, les ports, faire l'amour, la propreté et la gentillesse, faire l'amour. [...]
Que redoutez-vous ? Beaucoup de responsabilités, devoir vivre dans un pays qui vénère les machines, la fatigue, les foules, les imbéciles, l'ennui, trop de travail, voir écraser les chiens, tomber les chevaux, vomir les hommes.    p.43
Les forêts devenaient l'image d'un paradis possible dont les hommes n'étaient pas dignes mais que les arbres, eux, savaient incarner. Ce paysage grandiose et dévasté, empreint d'une grande mélancolie, me parlait de tout ce que je savais déjà mais avec une force, une cruauté à laquelle je ne m'attendais pas. Il ne me quitterait plus pendant plusieurs mois après mon retour, s'installerait dans ma vie comme d'autres voyages l'avaient fait, bâtissant ainsi un monde singulier, imparfait, émotionnel, imaginaire parfois, le mien.  p.62
Voyager avait toujours signifié tenter un lien aussi ténu fût-il avec le monde, écarter ce qui se faufilait entre lui et moi, les distances, les langues, le racisme, les religions, des obstacles qui ne s'effaçaient pas toujours mais donnaient du sens. Ce qui rendait celui-là singulier, c'était l'impression de ne rien approcher, d'être dans l'effleurement, prisonnière de mes angoisses, étrangère dans le regard des autres. J'analysais ce sentiment en remplissant des feuilles que je froissais et jetais à la poubelle. Pour m'apaiser je lisais Jankélévitch, mais je sentais grandir en moi ce désenchantement que j'avais voulu fuir et combattre en retrouvant Gyl et la merveilleuse énergie qui nous portait autrefois.  p.90

Nous cherchions avec entêtement l'impossible équilibre et courions à notre perte. Mais j'avais aimé et j'aimais encore la certitude qu'il n'y a pas de belles idées sans amour, sans liberté, et que nos efforts désespérés pour le prouver n'avaient pas été vains.
C'était même tout ce qui nous animait. Au fond je n'y avais jamais renoncé, et ce qui me tourmentait, c'était l'impression que je ne savais plus être dans cette perpétuelle quête, c'était peut-être ça vieillir, ne plus chercher l'impossible équilibre. p.114-115

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