mercredi 17 août 2016

Chanson douce de Leïla Slimani*****


Editions Gallimard, Collection Blanche, août 2016
240 pages
Prix Goncourt 2016

Quatrième de couverture


Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d'un cabinet d'avocats, le couple se met à la recherche d'une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l'affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu'au drame. 
À travers la description précise du jeune couple et celle du personnage fascinant et mystérieux de la nounou, c'est notre époque qui se révèle, avec sa conception de l'amour et de l'éducation, des rapports de domination et d'argent, des préjugés de classe ou de culture. Le style sec et tranchant de Leïla Slimani, où percent des éclats de poésie ténébreuse, instaure dès les premières pages un suspense envoûtant.

Mon avis ★★★★★


Touchée en plein coeur, un noeud à l'estomac, je termine ce conte moderne absolument bouleversant, poignant, glaçant.

Myriam et Paul, jeune couple contemporain, tous deux débordés depuis que Myriam a repris son activité professionnelle ont embauché une nounou pour garder leurs deux enfants.
Louise, la nounou, une femme solitaire, que la vie n'a pas épargnée, qui psychologiquement souffert , mais qui est devenue une adorable nounou, en quête de stabilité, d'une famille aimante.

La tension est palpable dès les premières lignes, Leïla Slimani ne nous ménage pas.
Le rythme, orchestré par des phrases courtes, est intense, le ton juste, le style incisif, l'écriture admirable, pour aborder un sujet aussi délicat que celui d'une nourrice meurtrière.
Sujet peu emballant, vous me direz; certes, mais il est extrêmement bien traité, à la manière d'un thriller psychologique, qui rend ce roman si prenant, qu'une fois ouvert, il est difficile de le refermer avant la fin, avant d'avoir les explications, avant de comprendre comment une nourrice si parfaite ,"Ma nounou est une fée", disait d'elle Myriam,  a pu sombrer dans cette folie meurtrière. Les pages se tournent vite, très vite ... on s'interroge beaucoup sur ce couple, devenu dépendant de Louise, sur le comportement de Louise devenue dépendante de Myriam et Paul ... qui est fautif ? Des actions, un geste auraient-ils pu permettre d'éviter ce drame ? 

Une "Chanson douce", oui parfois, car ce livre est aussi empreint d'amour et de bons sentiments, mais le titre est aussi trompeur ... c'est une chanson également bien amère qui vous attend.

Un grand merci à Babelio Masse critique ainsi qu'aux éditions Gallimard pour cette très belle découverte. J'ajoute dans ma PAL Dans le jardin de l'ogre, premier roman de cette auteure, auteure que je suis ravie d'avoir lu grâce à vous.


Extraits


Pas de sans-papiers, on est d'accord ? Pour la femme de ménage ou le peintre, ça ne me dérange pas. Il  faut bien que ces gens travaillent, mais pour garder les petits, c'est trop dangereux.[...] Pour le reste, pas trop vieille, pas voilée et pas fumeuse. L'important, c'est qu'elle soit vive et disponible. Quelle bosse pour qu'on puisse bosser. p.16
Sa femme paraissait s'épanouir dans cette maternité animale. Cette vie de cocon, loin du monde et des autres, les protégeait de tout. p.18
"En comptant les heures supplémentaires, la nounou et toi vous gagnerez à peu près la même chose. Mais enfin, si tu penses que ça peut t'épanouir ...". Elle a gardé de cet échange un goût amer. p.24
Paul et Myriam sont séduits par Louise, par ses traits lisses, son sourire franc, ses lèvres qui ne tremblent pas. Elle semble imperturbable. Elle a le regard d'une femme qui peut tout entendre et tout pardonner. Son visage est comme une mer paisible, dont personne ne pourrait soupçonner les abysses. p.29
Louise acquiesce, mutique et docile. Elle observe chaque pièce avec l'aplomb d'un général devant une terre à conquérir. p.34
Si vous saviez ! C'est le mal du siècle. Tous ces pauvres enfants sont livrés à eux-mêmes, pendant que les deux parents sont dévorés par la même ambition. C'est simple, ils courent tout le temps. Vous savez quelle est la phrase que les parents disent le plus souvent à leurs enfants ? "Dépêche-toi!".[...] Elle s'est retenue de jeter au visage de cette vieille harpie sa misogynie et ses leçons de morale. p.43
Nous ne serons heureux, se dit-elle alors, que lorsque nous n'aurons plus besoin les uns des autres. p.45
Louise est un soldat. Elle avance, coûte que coûte, comme une bête, comme un chien à qui de méchants enfants auraient brisé les pattes. p.91
Les enfants étaient là, aimés, adorés, jamais remis en cause, mais le doute s'était insinué partout. Les enfants, leur odeur, leurs gestes, leur désir de lui, tout cela l'émouvait à un point qu'il n'aurait pu décrire. Il avait envie, parfois, d'être un enfant avec eux, de se mettre à leur hauteur, de fondre dans l'enfance. Quelque chose était mort et ce n'était pas seulement la jeunesse ou l'insouciance. Il n'était plus inutile. On avait besoin de lui et il allait devoir faire avec ça. En devenant père, il a acquis des principes et des certitudes, ce qu'il s'était juré de ne jamais avoir. Sa générosité est devenue relative. Son univers s'est rétréci. p.122
Une haine monte en elle. Une haine qui vient contrarier ses élans serviles et son optimisme enfantin. Une haine qui brouille tout. Elle est absorbée dans un rêve triste et confus. Hantée par l'impression d'avoir trop vu, trop entendu de l'intimité des autres, une intimité à laquelle elle n'a jamais droit. p.159


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