lundi 12 décembre 2016

Sur cette terre comme au ciel **** de Davide Enia


Éditions Albin Michel, août 2016
398 pages
Traduit de l'italien par Françoise Brun

Quatrième de couverture


   Palerme, années 1980. Comme tous les garçons de son âge, Davidù, neuf ans, fait l’apprentissage de la vie dans les rues de son quartier. Amitiés, rivalités, bagarres, premiers émois et désirs pour Nina, la fillette aux yeux noirs qui sent le citron et le sel, et pour laquelle il ira jusqu’à se battre sous le regard fier de son oncle Umbertino. Car si Pullara, Danilo, Gerruso rêvent de devenir ouvrier ou pompiste comme leurs pères, Davidù, qui n’a pas connu le sien, a hérité de son talent de boxeur.
   Entre les légendes du passé et les ambitions futures, le monde des adultes et la poésie de l’enfance, Davide Enia, finaliste du prix Strega, tisse le destin d’une famille italienne, de l’après-guerre aux années 90, à travers trois générations d’hommes dont le jeune Davidù incarne les rêves. Entremêlant leurs histoires avec brio, il dresse un portrait vibrant de sa terre, la Sicile, et de ceux qui l’habitent.


                      « Un premier roman remarquable, véritable phénomène littéraire. »

La Repubblica


Mon avis  ★★★★☆

«La boxe, ce n’est pas juste donner des coups de poing et en recevoir, c’est une discipline qui apprend le respect et le sacrifice. »
3 générations qui se racontent sous les yeux de ce jeune garçon, Davidu : Rosario «Le Néglia», le grand-père, Umbertino le grand oncle, bagarreur, bon vivant, amateur de prostituées, «Le Paladin», son père, un boxeur talentueux, décédé avant son combat pour le titre national et avant sa naissance, et enfin Davidu, ce jeune homme qui apprend au contact des hommes de sa famille mais aussi des femmes, Provvidenzia, la grand-mère, institutrice passionnée de latin, une femme bienveillante et Zina, sa mère. D'autres personnages gravitent autour de Davidu, Gerruso, un jeune garçon qui lui voue une fidélité sans faille, et puis la belle Nina, son amoureuse.
«Sur la Terre comme au ciel» est un très beau roman d'initiation, qui a toutefois un peu de mal à démarrer, et qui demande un peu de concentration; Davide Enia, opérant d'incessants flashbacks, passant d'une époque à l'autre, parfois dans un même paragraphe. La lecture s'avère intense, pas toujours très fluide  mais passionnante in fine. La boxe, les combats sont au premier plan de ce roman, les descriptions des combats sont superbes, on encaisse les coups, on accompagne ces hommes qui reçoivent en pleine face les mauvais coups que la vie parfois réserve, et on assiste avec beaucoup de plaisir aux victoires aussi, aux belles revanches sur la vie, et avec elles, la naissance de l'espoir.
Des passages assez drôles (de bonnes réparties de l'oncle, ou quand l'oncle encore raconte son stratagème pour fatiguer et faire perdre ses adversaires en louant les services de prostituées), des passages forts, durs et émouvants quand Rosario raconte à Davidu sa mobilisation en Afrique de 1942 à 1945, des passages violents quand l'auteur évoque notamment les attentats et les règlements de compte qui se jouent à Palerme, gangrenée par la Mafia, et les tragédies qui s'en suivent :
«Il y a la même atmosphère de misère que dans ma jeunesse. Mais en ce temps-là le monde entier était en guerre, alors que là le monde fait comme si de rien n’était, pendant qu’en ville on se tue entre frères. La Mafia a apporté le meurtre à l’intérieur des familles.»
Une belle histoire de famille, de transmission, d'amitié, d'amour, une belle leçon de vie, ne jamais renoncer à ses rêves, savoir se relever toujours peu importe la violence des coups du sort ou de poing. La fin est émouvante, les derniers mots sont inattendus, très beaux...oui, j'ai beaucoup aimé cette chute.
Beau premier roman, réussi, qui mérite d'être salué, à mon avis.
«et me voilà
dans toute ma splendeur
toujours debout
mes mains ensanglantées
devant le fruit noir de sa bouche
elle qui prend mes doigts couverts de sang
qui les porte à ses lèvres
et les baise
un à un
elle s'appelle Nina
c'est mon amoureuse
elle a neuf ans»

 «Les bombes ne détruisent pas seulement les gens, les maisons et l'espoir. Elles effacent la mémoire.
Grand-mère enseignait aussi les gros mots à ses élèves, en douce, pour mieux les préparer à la vie, «qui est faite de verbes et de calcul, mais aussi d'offenses et d'injures, et il vaut toujours mieux les connaître.»
- Et comment on apprend ?- En se trompant.
L'autre con, sans comprendre que le jeu n'était qu'un prétexte pour lui casser la gueule, s'y colla, sans protester. Il alla vers le mur, traînant les pieds. Une marche inexorable. Il savait qu'il allait vers une souffrance certaine, mais il tenait tellement à être avec nous que sa dignité semblait avoir laissé place depuis longtemps à la résignation. Pourquoi ne cherchait-il pas d'autres copains comme lui, des gros, des inutiles ? [...] C'était un faible. Les faibles ne méritent pas le respect.
Le tir fut d'abord perçu par mes oreilles, un son si pénétrant que mon corps pour l'absorber dut immédiatement contracter tous ses muscles. Ca ne dura qu'un instant. En vagues successives vinrent s'ajouter les conséquences physiques de la déflagration : l'écho déclencha une douleur aiguë dans mes tympans, la réalité sembla se dilater. Tout paraissait plus lent, comme quand on est sous l'eau. Quelques secondes, puis la bulle se dégonfla.
L'humiliation brûle plus fort que les coups reçus.
Davidu, regarde comme elle est belle, cette main, et grande aussi. Tu sais ce qui la tient sur le volant ? La patience. Voilà. Et si moi je perds patience, tu sais où elle va finir, cette main ? Tu as compris, face d'ange ?
La main apprend le mouvement pour dessiner la voyelle, et le corps, par la répétition, apprend les mouvements de frappe et d'esquive. Tu veux dire que la main apprend ?Le corps a sa propre intelligence. C'est une feuille sur laquelle on écrit.Mmm, si tu le dis.Tout est écriture.Tout ?Oui.Même la pasta con le sarde ?Oui.Et les hanches des filles ?Oui.Et les attentats à la bombe ?Oui.Et ils écrivent quoi, ces mots de coups de poing et de feintes ?
L'histoire de ma famille. 
Ne jamais frapper le sac quand il est immobile. On frappe ce qui bouge, pour déséquilibrer ou pour freiner. La vie est dans le mouvement, ce qui est immobile est mort. Frapper un sac qui ne bouge pas, ça ne fait que te bousiller les doigts.
Personne ne lui avait expliqué que plus l'objectif est élevé, plus dure est la chute. Le moment où la défaite fut proclamée trancha net le roseau à la racine, et le calme et la raison d' Umbertino partirent à la dérive.
Tu sais qui j'envie ? Randazzo. Il a appris le métier de paysan tout petit, il connaît les plantes et il sait à quel moment les cultiver. [...] depuis toujours, ses mains connaissent les arbres, les branches, les fruits. Un boulot, ça devrait s'apprendre quand on est enfant.
Sur le papier il y a des lois, du genre qu s'il pleut tu te mouilles. C'est des conneries. Les lois, c'est toi qui les fais. S'il pleut, tu prends un pépin et la saucée, rien à foutre. Il arrive toujours un moment où il faut se bagarrer sans se demander si l'adversaire est plus fort. Dans la vie, tu te bats jamais contre des types de la même catégorie. Alors, dans le doute, comme dit l'Évangile : d'abord tu cognes, après tu demandes.»

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