jeudi 8 décembre 2016

Ravel **** de Jean Echenoz



Les Éditions de Minuit, janvier 2006
126 pages

Quatrième de couverture


Ravel fut grand comme un jockey, donc comme Faulkner. Son corps était si léger qu'en 1914, désireux de s'engager, il tenta de persuader les autorités militaires qu'un pareil poids serait justement idéal pour l'aviation. Cette incorporation lui fut refusée, d'ailleurs on l'exempta de toute obligation, mais comme il insistait, on l'affecta sans rire à la conduite des poids lourds.
C'est ainsi qu'on put voir un jour, descendant les Champs-Elysées, un énorme camion militaire contenant une petite forme en capote bleue trop grande agrippée tant bien que mal à un volant trop gros.
Ce roman retrace les dix dernières années de la vie du compositeur français Maurice Ravel.


Mon avis ★★★★☆


Première des trois fictions biographiques écrites par Jean Echenoz, celle-ci est consacrée à Maurice Ravel. Une nouvelle fois, l'écriture de Jean Echenoz m'a saisie, et c'est en peu plus d'une heure que j'ai avalé ces pages. Une écriture concise, avec toujours une petite d'ironie, de dérision, d'euphémisme qui ne le laisse pas indifférente.
Ravel était un génie, on le découvre dans ses dix dernières de vie, un homme élégant et très courtisé, un être carré qui se rassurait par le moyen de rituels précis et qui attachait une importance hors norme à ses vêtements et ses accessoires. mais aussi ... insomniaque, sous l'emprise du doute, de la maladie et de la solitude.
L'auteur s'est beaucoup documenté sur le célèbre musicien et le témoignage que nous livre Jean Echenoz est remarquable.
À l'instar de ce qu'il nous a proposé dans Des Éclairs, l'auteur nous dépeint la société de l'époque, ici celle de l'entre-guerre, à coup d'une multitude de détails (des marques de voitures en passant par les habits, les objets de cette période...). Beaucoup de petites précisions, que je n'ai pas toujours trouvées très pertinentes ... mais celà n'enlève rien au fait que cette bio fiction est très bien réalisée, à l'écriture fluide et que je trouve particulièrement agréable. 
Ravel, ce génie, ce héros malgré-lui, est bouleversant sous la plume de Jean Echenoz, nous marchons dans ses pas, partageons son intimité et ses rencontres avec les célébrités de l'époque, l'accompagnons dans sa traversée de l'Atlantique en 1927, assistons à sa tournée triomphale aux États-Unis, à la création de son célèbre "Boléro"et du "Concerto pour la main gauche", écrit pour le célèbre pianiste Wittgenstein, et devenons en fin de course, témoin de sa chute folle ...
Quel plaisir de découvrir la vie d'une personnalité mondialement connue avec Jean Echenoz. Mieux que Wikipedia, il n'y a pas à dire !

Ce roman a été adapté au théâtre, avec une mise en scène  de Anne-Marie Lazarini. Et me voici partie à la recherche de l'enregistrement de la pièce.
«Mais cette blessure n'est qu'une écharde mineure. Il voit bien ces temps-ci sa gloire se confire, qu'on le joue partout, qu'on ne parle que de lui dans les journaux. Il semble que l'on n'ait jamais rien vu de pareil - au point de faire s'exclamer le chroniqueur de Paris-Soir que l'auteur des Valses nobles et sentimentales peut se vanter légitimement d'avoir donné leur sens à tous les strapontins.
[...] chose qui s’auto-détruit, une partition sans musique, une fabrique orchestrale sans objet, un suicide dont l’arme est le seul élargissement du son [...] (à propos de son boléro, dont le succès étonna Maurice Ravel)
Il a toujours été fragile de toute façon. De péritonite en tuberculose et de grippe espagnole en bronchite chronique, son corps fatigué n'a jamais été vaillant même s'il se tient droit comme un i sanglé dans ses costumes parfaitement ajustés. Et son esprit non plus, noyé dans la tristesse et l'ennui bien qu'il n'en laisse rien paraître, sans jamais pouvoir s'oublier dans un sommeil interdit de séjour. Mais à présent c'est autre chose, il ne retrouve jamais son peigne posé devant lui sur la coiffeuse, ne sait plus nouer seul sa cravate, n'arrive pas à fixer sans aide ses boutons de manchette.»


Ravel: Frontispice (piano 5 hands)
«Voilà. Il a cinquante ans. Il a bouclé depuis treize ans son œuvre pour piano avec «Frontispice», pièce qui ne compte pas plus de quinze mesures, ne dure pas plus de deux minutes mais ne requiert pas moins de cinq mains.»

Maurice Ravel - Concerto pour piano pour la main gauche


1 commentaire:

  1. tout à fait d'accord avec vous . La fin tragique de ce grand musicien est racontée d'une façon bouleversante

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