vendredi 16 décembre 2016

Les portes du néant***** de Samar Yazbek


Éditions Stock, la cosmopolite, mars 2016
291 pages
Traduit de l'arabe par Rania Samara


Quatrième de couverture


Figure de l’opposition au régime de Bachar al-Assad, Samar Yazbek est contrainte de quitter son pays tant aimé en juin 2011. Depuis son exil, elle ressent l’urgence de témoigner. Au mépris du danger, elle retourne clandestinement dans son pays, en s’infiltrant par une brèche dans la frontière turque. Trois voyages en enfer dans la région d’Idlib où elle vit de l’intérieur l’horreur de la guerre civile, aux côtés des activistes. Des premières manifestations pacifiques pour la démocratie, à la formation de l’Armée Syrienne Libre, jusqu’à l’émergence de l’État islamique, Samar Yazbek livre un témoignage courageux sur le quotidien des combattants, des enfants, des hommes et des femmes ordinaires qui luttent pour survivre. Elle dit l’odeur de la terre après l’explosion d’une bombe, l’effroi dans le regard des mères, les corps mutilés ; elle dit l’une des plus grandes tragédies du XXIe siècle.


Prix du meilleur livre étranger pour Les portes du néant de Samar Yazbek. Un livre courageux et un discours poignant :


"Ce prix est un grand honneur pour moi. 
Je suis très heureuse d'avoir pu porter vers vous la voix de ces femmes, de ces enfants et ces hommes, victimes trop souvent invisibles et silencieuses. Leurs douleurs m'habitent. J'espère que mon livre servira à éclairer la réalité de la tragédie syrienne actuelle. La Vérité fait partie de la Justice. Les mots et l'écriture sont mes armes pour résister à la machine de guerre. Je crois en leur force. Je continue à rêver de la chute du dictateur, de la fin des extrémistes religieux, et de la venue d'une Syrie libre et démocratique."
Samar Yazbek  

Mon avis  ★★★★★


Attention, coup de coeur, mais un coup de coeur bouleversant, difficile. Âmes sensibles s'abstenir ! Si vous êtes plutôt, en ce moment, à la recherche d'une lecture plaisir, passez votre chemin.

Une lecture éprouvante, douloureuse, bouleversante, c'est certain, mais une lecture nécessaire, attachante aussi... J'ai eu l'impression d'écouter Christina Lamb, co-auteur de Nujeen et correspondante de guerre, que j'ai eu la chance de rencontrer grâce à Babelio, et qui nous raconté l'horreur des événements syriens.
L'horreur est dans ces pages, sensibles, presque insoutenables, formidablement bien écrites, émouvantes et empreintes d'une rude vérité, de détails et d'une analyse très poussée sur ce qui se passe en Syrie. Le printemps arabe n'a pas fonctionné en Syrie, et c'est une pluie de violences qui s'est abattue sur ce pays. Samar Yazbek est en exil à Paris depuis juin 2011. Dans ce récit, elle nous raconte ces trois retours en Syrie, de 2012 à 2015, clandestine dans son propre pays, trois retours pour lesquels elles risquent sa vie, trois retours qu'elle affronte courageusement, dans le but de reporter ce qu'il advient de son pays, de mener ses missions humanitaires auprès des femmes syriennes, de soutenir les radios locales pour que les choses continuent, parce que la vie continue, doit continuer, trois retours qui témoignent d'une montée en puissance dans l'horreur. 
L'émotion est présente dans chaque page. 
C'est une très belle leçon de courage, de force et de résilience que nous offre Samar Yazbek, pour révéler au monde ce qui se passe là-bas, où les morts se comptent par milliers et dénoncer l'absurdité et la douleur de la guerre. Elle écrit «au nom d'un peuple fantôme, d'un pays défunt», elle nous décrit de véritables champs de guerre, met à jour toutes les atrocités dont l'homme est capable en temps de guerre. Elle recueille des témoignages tous aussi difficiles à lire les uns que les autres, tous empreints d'une vive émotion, elle relate la tragédie que les syriens affronte chaque jour et de récits en récits, c'est en enfer que nous nous retrouvons, elle raconte le combat contre l'injustice et le despotisme d'Assad, les combats menés par les rebelles pour revendiquer un soupçon de libertés et de paix, pour que leur dignité ne soit pas écrasée, elle évoque les déserteurs des "unités spéciales", ceux qui refusent de violer, massacrer, pilonner, torturer ... elle raconte la vraie vie, celle de ceux qui ne veulent pas quitter leur pays et qui tentent d'y survivre...ce n'est pas un roman, la mort fait partie intégrante de la vie...là-bas «Il n'y a qu'un seul vainqueur en Syrie, la mort.»
«J'entrevis un nouveau cercle de l'enfer. Pas seulement un purgatoire où erraient des sans-abris, mais un endroit maudit créé par le diable en personne. [...] Des maisons détruites, rasées. Une volonté de destruction totale, telle une machine à remonter le temps, venait de renvoyer à l'âge de pierre.»
Son but est aussi de nous faire comprendre la situation d'injustice et de violence dans laquelle se trouve la Syrie aujourd'hui.
«On préférerait nous considérer comme des sauvages, sans le moindre entendement. Ils ramenaient tout à l'extrémisme islamiste. La conséquence, c'est que tous les gouvernements et les peuples laissaient se poursuivre ce conflit d'une dangereuse sauvagerie. [...] Je revenais [en Syrie] et chaque fois j'étais saisie d'un sentiment de colère et de découragement face à l'immense injustice dont notre cause et nous-mêmes étions victimes.» 
«L'ignorance est le fondement de l'extrémisme.»
Bravo Samar Yazbek pour votre engagement, votre témoignage.

Face à ces récits, à cette violence décrite, à ce chaos de l'absurdité et de la destruction, à ces meurtres quotidiens, il est difficile d'imaginer un futur optimiste pour ce pays en perdition.

Je remercie la "surprise" du café gourmand de décembre, organisé par ma ville, qui m'a permis de découvrir ce douloureux témoignage.
«À mesure que j'assimilais ce qui se passait autour de moi, je cessais d'être moi-même. Je devenais un personnage construit de toutes pièces, considérant les choix qui se présentaient, tout juste capable de continuer. Je mis de côté la femme que je suis dans la vraie vie pour devenir cet être imaginaire, j'adaptais mes réactions à ce pour quoi elle vivait. Que venait-elle faire ici ? Affronter la vie ? L'identité ? L'exil ? La justice ? La folie du bain de sang ?
Je tenais à leur montrer que la liberté d'une femme réside dans une vie responsable, contrairement aux préjugés de la société syrienne qui considérait la libération de la femme comme une violation désordonnée des coutumes et des traditions.
Où les combattants puisent-ils leur force ? Qui est le plus éloigné du sens de la vie ? Eux ou nous ? Qui s'approche le plus de l'essence de la vie  ? Ceux qui vivent leur vie en présence de la mort et lui rient au nez ?
Le silence permet de donner du sens à ce qui nous entoure, d'observer, de réfléchir. Il donne une chance aux choses de s'exprimer par elles-mêmes. S'il n'est pourtant pas sans ambiguïté, il crée souvent un espace pour que le sens émerge.
En arrivant au village de Jerada, je ne pus retenir une exclamation de surprise en découvrant les immenses mausolées romains millénaires et les hautes colonnes aux chapiteaux ornées. C'était l'un des nombreux sites antiques éparpillés dans la région du Jebel al-Zawiya. Tandis que j'admirais le site, je songeais à quel point les brigades djihadistes sont insensibles à la signification de ces ruines puisqu'à leurs yeux, la civilisation commence avec l'islam et que le pillage fait partie de leur idéologie.

Il faut simplement être capable de se retrouver devant des petits doigts et les ramasser sous les débris. Sortir le corps d'un enfant, les vêtements encore trempés de son urine chaude, puis passer au site suivant et continuer à chercher d'autres victimes. Il faut oublier leurs visages afin de pouvoir écrire plus tard, raconter leurs histoires, et dure au monde extérieur que leurs yeux brillaient en fixant le ciel qui nous inondait de cadeaux mortels.
Je faisais partie du fragile fil de la vérité qui avait été obscurci par l'histoire.
Voici ce que sont devenus les Syriens depuis quatre ans. Une révolte populaire pacifique contre un dictateur s'est muée en une mutinerie armée contre les militaires et l'État, avant que les islamistes ne s'emparent de la scène et ne transforment les Syriens en pantins dans une guerre par procuration. »

Des images qui parlent tristement d'elles-mêmes





Syrian refugees crossing the Syrian-Turkish border near Marea. Photograph: Leskovsek Matej/Sipa/Rex

Dans le village de Dar Al-Kabiré, près de Homs le 3 novembre 2011, l'enterrement d'un jeune homme se transforme en manifestation contre le pouvoir. MANI / ZEPPELINNETWORK

Ici, un très bel article sur Samar Yazbek.

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