Éditions Philippe Picquier, septembre 2016
364 pages
Traduit du chinois par Yvonne André et Stéphane Lévêque
Prix Maodun, 2005
Quatrième de couverture
Écoutez la voix d’une femme qui n’a pas de nom car son histoire se fond avec celle de la forêt de l’extrême nord de la Chine. Elle partage avec son peuple une vie en totale harmonie avec la nature, au rythme des migrations des troupeaux de rennes et du tambour des Esprits frappé par les chamanes. On y rencontre des hommes vigoureux comme des arbres, à qui il arrive de mourir gelés sur leur renne aux sabots en fleur, un vieillard qui élève un autour pour se venger du loup qui l’a rendu infirme, un chamane qui tisse une mirifique robe en plumes pour prendre au piège la femme qu’il aime, et aussi les guerres et les convoitises extérieures qui viennent menacer ce monde fragile.
Sa voix coule comme l’eau, de sa venue au monde annoncée par un renne blanc à son grand âge qui n’attend plus que des funérailles dans le vent. Et lorsque sa voix se tait, elle continue à résonner en nous comme si quelqu’un de très lointain nous était devenu très proche et ne voulait plus nous quitter.
Tant que je vivrai dans la montagne, même si je suis la dernière, je ne me sentirai jamais seule. Ce feu sur lequel je veille est aussi vieux que moi. Je l’ai toujours protégé des vents violents, des tempêtes de neige et des grosses pluies. Jamais je ne l’ai laissé s’éteindre. Ce feu, c’est mon cœur qui bat.
Mon avis ★★★★★♥
Le soleil est allé dormir,
Dans la forêt, plus de lumière.
Les étoiles ne paraissent pas encore,
Le vent fait gémir les arbres.
Ah ! Ma fleur de lis,
Ce n'est pas encre l'automne,
Tu avais encore tant de beaux jours d'été,
Pourquoi avoir laissé tes pétales se faner ?
Tu es tombée,
Et le soleil est tombé avec toi,
Mais ton doux parfum demeure,
Et la lune se lèvera !
Magnifique et sensible ... une petite douceur tout droit venue de Sibérie qui pourtant réchauffe le coeur en cette période hivernale !
Un bel hommage à l'ethnie des Evenks, un peuple nomade de chasseurs en Yakoutie, au Kamtachaka et dans le Nord du lac Baïkal, un peuple qui fait corps avec la nature, observateurs des éléments, y puisant des informations (comme par exemple des écureuils qui accrochent les champignons ramassés en prévision de l'hiver et qu'ils suspendent dans les branches des arbres plus ou moins haut selon qu'il neigera peu ou beaucoup l'hiver prochain), capable de créer avec les simples ressources naturelles, un peuple menacé par les déforestations massives et la civilisation.
Chi Zijian donne la voix à une Evenk, au seuil de sa vie; celle-ci revient sur ses souvenirs, et nous conte le mode de vie traditionnel de son peuple, leurs coutumes et traditions, leurs rites spirituels, leurs croyances, leur organisation, l'élevage des rennes, et leur évolution inexorable jusqu'à leur sédentarisation plus ou moins forcée. Une ethnie où les enfants sont les piliers «Un campement sans enfants, c'est comme un arbre privé de pluie, il a moins de vitalité.». Elle nous parle des ces objets dont elle n'a pu se détacher, qui sont un lien avec des êtres aimés, comme ce miroir et du temps qui passe, à l'aube de son dernier quartier de lune : «Ce miroir avait contemplé nos montagnes, nos arbres, nos nuages, nos rivières, et maints visages de femme.... C'était un œil ouvert sur notre vie, comment aurais-je pu [la] laisser [...] le rendre aveugle ? J'ai conservé cet œil qui avait vu tant de paysages et d'êtres humains, mais comme mon regard, il a perdu de sa clarté.», on apprend beaucoup sur leur langage, plein de jolies métaphores comme celle-ci évoquant les rennes «Ils ont une tête de cheval, des bois de cerf, un corps d'âne et des sabots de bœuf. Ils tiennent de ces quatre animaux sans être vraiment aucun d'entre eux. Pour cette raison, les Chinois Han les appellent si bu xiang, les «quatre-pas-pareils».» Elle nous raconte de belles et émouvantes histoires.
Une lecture qui m'a remémoré des lectures passées, celle de M pour Mabel avec le passage sur le dressage d'un autour et le dernier lapon avec l'évocation de la technique de domestication des rennes.
Installez vous au près d'un feu, et laissez vous bercer par cette belle histoire de chasse, de légendes et de rituels ancestraux, laissez vous charmer par les esprits, laissez vous happer par cette belle échappée poétique, découvrez les histoires de ce peuple menacé, en sursis aujourd'hui, et qui doit s'accommoder de la civilisation ... et j'espère que vous ressentirez comme moi ce grand bol d'air revigorant, apaisant, qui nous fait sentir vivant.
Une lecture passionnante, riche, et si émouvante, un hymne à notre belle nature, de belles leçons de vie et d'humanité, et un constat effroyable aussi : celui des conséquences des actions dévastatrices de l'Homme, une sorte de remise à l'heure aussi des pendules, une pause bénéfique dans notre spirale infernale de consommation et de destruction, dans notre course après le temps...et dire que ma doudou se chaussera bientôt d'une paire de tennis à plus d'une centaine d'euros, si j'avais mis au sapin des bottes faites en peu de rennes tannées, elle m'aurait certainement ri au nez ;-) à nous de trouver le juste milieu, de transmettre nos valeurs en s'adaptant au mieux, ce qui n'est pas chose toujours aisée !
«Je n'ai jamais cru que l'on pouvait apprendre dans les livres un monde ouvert, un monde de bonheur.Je compris soudain que dans la lampe de ma vie brûlait encore l'huile que m'avait laissée Ladije. Les flammes s'étaient éteintes mais leur énergie demeurait. Valodia avait insufflé une huile nouvelle au feu de sa tendresse, mais ce qu'il avait rallumé n'était en vérité qu'une vieille lampe à demi consumée.Sachez-le, la vie d'une femme n'aura pas été vaine si la chance lui est donnée de s'évanouir de bonheur pour un homme.»
Représentation d'un Chamane
Lac Baïkal
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire