Étrange, étonnant, plein d'humour, un scénario très prenant, original, mêlant les genres, bien mené, avec des rebondissements assez inattendus. Une chouette découverte, un très bon moment de lecture, qui interpelle et qui suscite réflexions et interrogations sur notre société de consommation à outrance, décrite avec lucidité et tournée en dérision, et sur les flux de passagers clandestins prêts à tout pour se déplacer, fuir une situation en s'affranchissement de la légalité et des frontières.
«[...] le Black Friday. Les clients écrasés contre les vitres en attendant l'heure d'ouverture des magasins. Les gamins piétinés, les chevilles foulées, les côtes fêlées. Afin d'atteindre une pyramide de Xbox en solde, une femme de Los Angeles s'est frayé un chemin au poivre de Cayenne. L'an prochain, la mode sera au Taser. On verra ensuite apparaître le cocktail Molotov, la mitrailleuse, le bazooka. Rien n'arrête la marche du progrès.»
Les personnages sont assez loufoques, des solitaires dans l'âme, au penchant geek très prononcé pour certains, qui m'ont parfois laissé sur le bord de la route, j'ai pas toujours tout compris, mais j'ai passé un bon moment avec eux, un moment assez drôle et ludique. Je me suis vraiment amusée au point de ne pas lâcher ce livre et de le dérouler non-stop jusque la chute.
Une jolie fresque de notre société moderne, dont le héros est un container Papa Zoulou, plutôt original, non ?, un sujet donc aux abords très simples, mais que l'auteur rend passionnant !
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«[...] elle croit que la géographie est une construction abstraite que l'on peut très bien gérer à distance.
On vit une époque de cul où toutes les inventions extraordinaires finissent pas devenir insignifiantes. La technologie devrait, je sais pas, repousser les limites de l'expérience humaine, non?
Les grandes routes commerciales du vingtième siècle aboutissaient dans ce grenier, et tout en jouant de la fourche, Lisa se demande par quel délire géopolitique ces objets ont pu être désirés, achetés, amassés, utilisés, chéris, puis entassés strate après strate dans ce grenier insalubre jusqu'à former une masse indissociable, par endroits, de la masse de guano et de cadavres de chauves-souris.
Rien n'est plus banal qu'un conteneur fantôme: on en trouve à bord de tous les navires. Personne ne sait à qui ils appartiennent, d'où ils viennent, où ils vont. Ils circulent dans les interstices du système, et aussi longtemps qu'ils demeurent à bord, ils n'attirent pas l'attention. Même une fois débarqués à terre, ils restent dans les limbes administratifs jusqu'à ce qu'ils soient dédouanés. Si personne ne vient les réclamer, ils peuvent patienter des mois parmi les conteneurs abandonnés – et depuis la crise financière de 2007, il y a beaucoup, beaucoup de conteneurs abandonnés.
L'atmosphère de ruée fait partie intégrante de l'expérience. Entrer en relation avec ses contemporains ne suffit pas : il faut entrer en collision avec eux. Aller au IKEA constitue une activité intensément civilisationnelle - ou alors, au contraire, profondément enracinée dans ce que nous conservons de l'insecte. [...] Tous ces crayons, comme des balles dans un chargeur de mitrailleuse. Quelque part dans les tréfonds du IKEA, il existe des boîtes énormes contenant des millions de minuscules crayons HB bruns, aux mines impeccablement aiguisées. Le capitalisme est lubrifié au graphite.
Éternel retour à la case départ : tout le monde est similaire jusque dans la différence. Il a fallu vingt ans de GeoCities, de Tumblr et de Facebook pour en arriver à cette conclusion collective.
Les déchets ont toujours été un important marqueur de classes sociales. Autrefois, les tas de fumier témoignaient de la prospérité d'une ferme. Aujourd'hui, tout le monde craint secrètement de produire des ordures ennuyantes, qui témoigneraient d'une vie plate. La poubelle est le summum de l'expression personnelle et Mark Zuckerberg devrait en prendre acte : exit les statuts de bouffe et de musique, l'avenir consiste à publier le contenu de ses poubelles.»
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Quatrième de couverture
C’est l’histoire d’une jeune fille qui désire repousser les limites de l’expérience humaine, d’un hacker qui veut optimiser la circulation mondiale des bananes et des coussins, d’une employée de la gendarmerie qui rêve d’en finir une bonne fois pour toutes avec la géographie, d’un conteneur fantôme qui sillonne les mers et les écrans d’ordinateurs, d’un septuagénaire qui perd un boulon, d’une acheteuse compulsive bipolaire, de six perruches et d’un chat intermittent, tous unis dans un jeu de société à l’échelle planétaire dont personne ne connaît les règles. En somme l’histoire d’un voyage qui échappe aux lois de la gravité, au-delà, bien au-delà, de ces six degrés de liberté.
Nicolas Dickner nous offre ici le grand roman de la mondialisation, brillant et hilarant, une ode à la liberté qui mêle la construction savante à l’énergie fantasque d’un polar poétique.
Éditions Seuil, janvier 2017
318 pages
Prix littéraire du Gouverneur général en 2016
Nicolas Dickner est né à Rivière-du-Loup (Canada), a voyagé en Amérique latine et en Europe avant de jeter l’ancre à Montréal où il vit aujourd’hui avec sa famille. Il signe en 2005 Nikolski (Prix des libraires du Québec, Prix littéraire des collégiens, prix Anne-Hébert), puis Tarmac, en 2009. Six degrés de liberté (prix littéraire du Gouverneur général en 2016) est son troisième roman. Ses livres sont traduits dans une dizaine de langues.
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