jeudi 20 juillet 2017

Bandini ★★★★★ de John Fante

Editions 10/18 
Préface de l'auteur 

Postface de Philippe Garnier (de 1983)

Traduction de Brice Matthieussent
266 pages
Editions originales Christian Bourgois Editeur, 1985
Parution originale Wait until Spring Bandini, 1938

Quatrième de couverture


Un sacré bonhomme sans doute que ce Fante-Bandini. Un sacré écrivain aussi. L'Arturo Bandini de Bandini est un gamin criblé de taches de son et couronné d'une tignasse en colère. Un râleur, désolé d'être fils d'une mère passivement amoureuse et bigote et d'un père maçon, violent, incertain et cavaleur. Amoureux d'une étoile filante et indifférente, sa petite camarade de classe à la santé fragile, haï par ses maîtres et pairs, Arturo passe son temps à détruire d'une main ce qu'il a construit de l'autre. Bon et méchant, généreux et voleur, il est à la fois la glace et le feu, la tendresse et la rancoeur.

Bandini, publié en 1938, est le premier volet d'une véritable saga familiale dont les thèmes et les personnages jalonnent toute l'oeuvre de John Fante.
Figure emblématique de ce premier roman, Svevo Bandini est maçon, comme l'était le père de l'auteur. Immigré italien de fraîche date, il s'est installé avec sa famille dans le Colorado. Durant tout l'hiver, Svevo cherche désespérément du travail et finit par trouver une riche maîtresse. Tout rentre dans l'ordre lorsque le printemps revenu, Svevo réintègre le foyer familial. Sa famille, c'est Maria, sa femme, une amoureuse lascive et surtout Arturo, le fils aîné. Rebelle et passionné, Arturo est l'élément moteur du récit. Un garnement qui porte sur ses parents un regard à la fois tendre et sans pitié. Il est d'une certaine manière le double de Fante, qui le suivra jusqu'à sa mort.
La grande force du roman réside dans son caractère quasi autobiographique et une écriture à la fois limpide, drôle et rageuse. À partir de 1940, Fante écrira peu, travaillant surtout pour Hollywood. Bandini est donc une oeuvre majeure, parce que rare et novatrice. Son influence, depuis Bukowski jusqu'à Coppola, a marqué plusieurs générations d'artistes et d'écrivains. --Stellio Paris

Préface


Le vieil homme que je suis ne peut aujourd'hui évoquer ce livre sans perdre sa trace dans le passé. Parfois, avant de m'endormir, une phrase, un paragraphe, un personnage de cette oeuvre de jeunesse m'obsède ; alors, dans une sorte de rêve les mots émergent et tissent autour de cette vision le souvenir mélodieux d'une lointaine chambre à coucher du Colorado, de ma mère, de mon père, ou de mes frères et sœur. Je ne peux imaginer que ce que j'ai écrit il y a si longtemps réussisse à m'apaiser dans ce rêve éveillé, mais je ne peux pas davantage retourner aussi loin en arrière, ouvrir ce premier roman pour le relire. Je redoute d'être mis à nu par mes propres œuvres. Je suis certain de ne jamais relire ce livre. Mais tout aussi certain que les personnages de mes romans ultérieurs trouvent leur origine dans ce texte de jeunesse. Pourtant, il s'est définitivement détaché de moi, et seuls demeurent le souvenir des anciennes chambres à coucher, le bruit des pantoufles de ma mère qui entre dans la cuisine.
John Fante

Mon avis ★★★★★


Un condensé de vie, une plongée brutale et vive dans l'intimité d'un jeune homme, Arturo Bandini, 14 ans, et celle de sa famille, italienne, échouée sur le sol américain, en pleine période de récession. Une famille pauvre, qui trime,et dont la mère de famille, Maria, alourdit chaque jour l'ardoise auprès de l'épicier du coin. Une écriture touchante et extrêmement vivante, qui décrit les sentiments humains, simplement, sans poésie ni fioriture. Quel talent ! On ressent une émotion intense tout au long de ce court récit, du chagrin à la rage en passant par la joie, la colère et l'amour. 
[Un] style qui fait péter les mots hors de leurs gongs et livre le bonhomme dans toutes sa pétulance, ses ridicules et sa grandeur, écrit Philippe Garnier en postface. C'est tout à fait ça, John Fante, qui redoute d'être mis à nu par ses propres œuvres, écrit son quotidien d'adolescent fougueux, celui de sa famille, ses peurs, ses doutes, ses désillusions, ses envies, ses excès de colère avec ses tripes et nous livre une histoire empreinte d' une profonde et belle humanité.
Je vous laisse, j'ai rendez-vous avec Demande à la poussière ! Je m'en réjouis d'avance !
«Lui [...] était cent pour cent italien, d'une race de paysans dont on suivait la lignée depuis maintes générations. Pourtant, depuis qu'il était citoyen américain, il ne se considérait jamais comme un Italien. Non, il était américain; parfois une bouffée de nationalisme lui montait à la tête, et il clamait bien haut la noblesse de son patrimoine; mais en pratique il était américain, et quand Maria lui parlait des activités ou des vêtements des "femmes américaines", ou quand elle mentionnait une voisine, "cette femme américaine au bout de la rue", il entrait dans une rage folle. Car il était extrêmement sensible aux distinctions de classe et de race, aux souffrances qu'elles impliquaient et qu'il jugeait inadmissibles.
Une belle journée, aussi belle qu'une fille. Il roula sur le dos et regarda les nuages filer vers le sud. Tout là-haut le vent soufflait en tempête ; il avait entendu dire qu'il venait du fin fond de l'Alaska et de la Russie, mais les hautes montagnes protégeaient la ville. Il pensa aux livres de Rosa, à leurs couvertures de toile cirée aussi bleue que le ciel ce matin. Une journée paisible, deux chiens en balade, s'arrêtant brièvement au pied de chaque arbre. Il colla son oreille contre le sol. Là-bas, au nord de la ville, dans le cimetière des hautes terres, on descendait Rosa dans sa tombe. Il souffla doucement sur le sol, l'embrassa, mit un peu de terre sur le bout de sa langue. Un jour, il demanderait à son père de tailler une stèle pour la tombe de Rosa.
Mais Maria, perdue dans le pays de conte de fées d’un magazine féminin, poussant des soupirs devant les fers à repasser électriques, les aspirateurs, les machines à laver automatiques et les cuisinières électriques, Maria devait clore les pages de cette contrée imaginaire et retrouver son décor familier : chaises dures, tapis usés, pièces froides.
Quels yeux pour une épouse ! Ils voyaient tout ce qu'il était, tout ce qu'il espérait être, mais ils ne voyaient jamais son âme.
...ça allait être un Noël minable. D'ailleurs, Arturo détestait cette période, car il pouvait oublier sa pauvreté si les autres ne la lui rappelaient pas...»

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