Un court roman très personnel, très émouvant. Une lettre, deux récits qui s'entrecroisent et qui nous font passer tour à tour, au gré des pages du XVIIIe au XXe siècle. L'auteure s'adresse à Marion du Faouët, cette jeune brigande bretonne, rebelle, libre et insolente, qui se battit contre les inégalités, une force de résistance immense, une voleuse pour les pauvres et une amoureuse de la vie, qui a refusé «la misère impitoyable et choisi les chevauchées folles et joyeuses, faisant fi des dangers que [la] guettaient.»
Une lettre qui va entraîner l'auteure dans son propre passé : ses premières manifestations contre la Guerre d'Algérie, ces moments de sa vie portés par les utopies. «La jeune femme révoltée et rebelle que tu es, dont la vie est un palimpseste que le temps colporte, après des générations de conteurs que se la sont appropriée comme je me l'approprie, me rappelle mes propres colères, mes propres engagements, les blessures que laisse l'Histoire.» ... des blessures comme cette horrible nuit d'octobre 1961 à Paris, où plus de deux-cents Algériens furent assassinés par la police dans le mensonge et l'indifférence...
Elle nous fait part de son désespoir face à la misère humaine, face à l'isolement qui se heurtent à l'indifférence du monde qui nous entoure. «Je t'écris parce qu'un monde est en train de disparaître, faisant naître en moi une immense tristesse, inutile et vaine.» «La misère toujours encombrante pour le pouvoir, se banalise.»
Les messages sont forts. «Je dois te dire qu'aujourd'hui le corps des femmes est toujours en proie à tous les affronts sexuels, à toutes les violences, et parfois, dans certains pays, elles sont brûlées lors de mensongers accidents domestiques, lapidées, partout prisonnières des fantasmes masculins.»
Elle célèbre le féminisme. «Vos parcours sont bien différents, mais au moins ont-ils un point commun, le choix de la liberté à une époque où les femmes étaient sous l'autorité masculine (sans aucun droit civique puisqu'elles n'étaient pas considérées comme des citoyennes, ne le furent qu'après la Révolution de 1789), et puis votre mort précoce, toi au gibet, elle à l'échafaud». Elle évoque aussi la courageuse et regrettée Simone Veil. «Il faut sans cesse veiller sur nos conquêtes, elles sont fragiles.»
Merci Michèle Lesbre pour ce voyage sublime et lumineux.
«Dors tranquille, chère brigande, tu m’as sauvée pendant quelques jours de notre démocratie malade, des grands voleurs qui, eux, ne sont presque jamais punis parce qu’ils sont puissants, de ce monde en péril. Tu n’étais pas un ange, mais les anges n’existent pas.»
**********************
«[..] en écrivant cette lettre j'ai l'impression de sauver quelque chose d'intime, quelque chose qui m'a toujours portée, l'Histoire, celle qui a jalonné ma vie et qui l'a construite, nourrie, engagée aussi, en un temps où il était encore possible d'imaginer un autre monde. Une Histoire bien différente de celle que l'on m'avait enseignée, parce que chargée d'émotions, de vie, de ma propre expérience, elle était au coeur de nos existences et non dans une sorte de récit désincarnée. Victor D. et toi, chacun à votre façon, tissez un lien avec elle, vos vies sont entrées dans la mienne, au hasard, comme toutes ces belles rencontres.
Je voulais sans doute me défaire de ce sentiment de culpabilité qui me taraudait lorsque je la voyais ainsi, démunie, un naufrage dans un océan d'indifférence. Je voulais aussi un peu de rapport humain. [...] Une discrète radio, enfouie dans son désordre, diffusait les soubresauts d'un monde dont elle était hors frontières. [...] Elle me refusait le confort de la bonne conscience, et je lisais dans son regard une ironie désabusée contre laquelle j'étais sans armes. La dignité de cette femme était inflexible. (à propos d'une jeune femme prénommée Marion, SDF.)
Bien sûr, tu n'as jamais su que ton siècle allait s'appeler le "siècle des Lumières", et qu'en aurais-tu pensé au fond de ta dernière prison infestée de rats, rue Obscure à Quimper, quelques jours avant ta mort ? Tu n'as pas non plus franchi la porte d'une école, elles étaient rares dans ce contexte de misère. Et puis la ville est l'espace privilégié des Lumière, et les écoles sont fréquentées par les garçons, sans oublier que l'Eglise contrôle ces institutions, surtout en Bretagne. [...] Les salons parisiens sont un autre monde, et Diderot, Voltaire, Rousseau, un univers fort éloigné du tien. Ton éducation, c'est la vie de tous les jours et ton observation perspicace de la société dans laquelle tu grandis.
Chaque époque a ses tortionnaires, ses pouvoirs usurpés et criminels, ses sacrifiés, ses espoirs évanouis, et heureusement, ses rebelles.
J’ai d’autres frontières, une autre patrie, celle des belles utopies auxquelles je n’ai pas renoncé et qui excluent le racisme, la xénophobie, la violence, l’irrespect de tout être humain. Je n’ai aucun goût pour les chants guerriers, je ne chante pas la Marseillaise. […]La foi, c’est croire que quelque chose qui ne peut être vrai est vrai. La réalité est impuissante devant la foi. Quand le moi et la société n’ont plus de signification idéologique plausible ni pratique, même pour un âne bâté, la foi se change en fanatisme.»
**********************
La silhouette libre et rebelle de Marion du Faouët, « Robin des bois » bretonne qui, dans les premières années du XVIIIesiècle, prenait aux riches pour redistribuer aux pauvres, a toujours fasciné Michèle Lesbre.
Parce qu’une femme aux cheveux roux prénommée Marion, qui avait élu domicile dans une boutique désaffectée en bas de chez elle, a soudain disparu, les traits de l’autre Marion, la « chère brigande », se superposent à ceux de la SDF parisienne. L’écrivain décide alors de partir sur les traces de l’insoumise bretonne, qui mourut sur le gibet à trente-huit ans, lui adressant, pour conjurer l’injustice du monde et sa propre impuissance, une longue lettre.
À la faveur du trajet en train vers Quimper, les souvenirs d’une autre époque de sa vie resurgissent, quand, jeune militante, elle manifestait contre la guerre d’Algérie ou, institutrice, elle apprenait à lire aux enfants. La vie de Marion agit comme un miroir tendu à ses utopies et à ses révoltes passées : à dix-huit ans, Marion, elle, créait une bande de brigands. Avec des comparses recrutés parmi ses proches, elle allait écumer les bois et redresser les torts. Le Faouët, les monts d’Arrée, Quimper : tous ces lieux, où Marion a vécu et que l’enquêteuse arpente, ravivent la vaillance et l’impétueuse générosité de son héroïne.
Michèle Lesbre, dans ce texte lumineux, laisse sonner le rire frondeur d’une gamine formée à l’école de la vie, d’une grande amoureuse et d’une femme qui a lutté à sa façon contre une misère choquante. Une belle manière de nous parler d’elle, de nous, du monde dans lequel nous vivons.
Sa lettre s’achève ainsi : Dors tranquille, chère brigande, tu m’as sauvée pendant quelques jours de notre démocratie malade, des grands voleurs qui, eux, ne sont presque jamais punis parce qu’ils sont puissants, de ce monde en péril. Tu n’étais pas un ange, mais les anges n’existent pas.
Sabine Wespieser Éditeur, février 2017
77 pages
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire