lundi 8 octobre 2018

Un monde à portée de main ★★☆☆☆ de Maylis de Kerangal

Un livre hybride, pas vraiment dans le roman, pas vraiment dans le documentaire. Bien trop froid à mon goût pour être passionnant, et une lutte à plusieurs reprises pour aller au bout. Désolé Mr Busnel, de vous contredire, ainsi qu'un très grands nombres de libraires à priori puisqu'un bandeau recouvre à présent le livre : "Le livre préféré des libraires",  mais j'ai lu des romans de cette rentrée littéraire bien plus impressionnant que celui-ci. D'ailleurs, comment pouvez-vous affirmer qu'il est le meilleur ... parmi les quelques six cents sorties de cette rentrée ? Il me semble humainement impossible que vous les ayez tous lus, mais bon, je dis ça, je dis rien...

J'avais eu un coup de coeur pour son précédent roman "Réparer les vivants". L'écriture ciselée, remarquable, lumineuse de Maylis de Kerangal m'avait emballée. Ici, avec "Un monde à portée de main", ce ne fut pas le cas, vous l'avez compris. Trop décousu. Trop de techniques, de matériaux, de couleurs...énumérés à outrance. Assommant. Trop peu d'émotions. Déçue.

Peut-être suis-je tout simplement passée à côté. Ou le sujet m'a t-il laissée de marbre ;-) ? Ce n'est pas le fait qu'il soit ardu qui m'ait dérangée, mais bien cette absence de sensations, de vertiges, de frissons, de poésie. Enfin, bref, je m'attendais à autre chose qu'un reportage extrêmement précis sur le métier très technique de faussaire, qui ne m'a point embarquée, hélas.
Les médias m'ont vendu du rêve, j'ai été dupée ;-) Ayant adoré "Réparer les vivants" j'aurais très certainement tourné les pages de cet ouvrage. La précipitation de côté, je lui aurais peut-être fait un meilleur accueil. 
Allez j'arrête de me justifier... À vous de vous faire votre propre idée.  
Offert à ma belle-mère qui aime la peinture. J'espère qu'elle appréciera davantage que moi cette lecture.

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« Il y a du monde ici, on ne s'entend pas quand pourtant ça parle partout, comme si le brouhaha était creusé d'alvéoles -une ruche-, comme si chaque table ménageant autour d'elle un espace acoustique propice à toute conversation clandestine.
La rage, pas encore. Peut-être simplement l'idée de secouer la vie.
De fait, elle avait chiadé sa palette - blanc de titane, ocre jaune, jaune de cadmium orange, terre de Sienne naturelle, ombre fumée, brun Van Dyck, vermillon, un peu de noir - et réalisé deux glaçages pour obtenir une surface à la fois obscure et transparente - obscurité, transparence : le secret du portor.  
Octobre, les bois. Sensation d'entrer dans une pénombre que trouent çà et là des puits de lumière, dans un espace acoustique que traversent, harmonieux ou dissonants, d'autres corps et d'autres voix. D'autres langues aussi, et celle que l'on parle dans l'atelier est une langue inconnue que Paula doit apprendre...elle engrange les mots tel un trésor de guerre, tel un vivier, troublée d'en deviner la profusion - comme une main plonge à l'aveugle dans un sac sans jamais en sentir le fond -, tandis qu'elle nomme les arbres et les pierres, les racines et les sols, les pigments et les poudres, les pollens, les poussières, tandis qu'elle apprend à distinguer, à spécifier puis à user de ces mots pour elle-même, si bien que ce carnet prendra progressivement valeur d'attelle et de boussole : à mesure que le monde glisse, se double, se reproduit, à mesure que la fabrique de l'illusion s'accomplit, c'est dans le langage que Paula situe ses points d'appui, ses points de contact avec la réalité.
[...] l'idée que le trompe-l'oeil est bien autre chose qu'un exercice technique, bien autre chose qu'une simple expérience optique, c'est une aventure sensible qui vient agiter la pensée, interroger la nature de l'illusion, et peut-être même - c'est le credo de l'école - l'essence de la peinture. [...] le trompe-l'oeil doit faire voir alors même qu'il occulte, et cela implique deux moments distincts et successifs : un temps où l'oeil se trompe, un temps où l'oeil se détrompe...
Chêne, pin, eucalyptus, palissandre, acajou moucheté, loupe de thuya, tulipier de Virginie ou catalpa, octobre passe et Paula s'en tire, elle est confuse, suante, échevelée, rêve une nuit que sa peau est devenue ligneuse, mais produit des images, même si son panneau se distingue des autres, laborieux, toujours un peu faiblard. Jusqu'au jour où elle entend pour la première fois parler de la vitesse du frêne, de la mélancolie de l'orme ou de la paresse du saule blanc, elle est submergée par l'émotion : tout est vivant.
[...] vient le temps des marbres...Les noms merveilleux se durcissent, ils imposent des codes de représentation stricts, un système de conventions, une syntaxe et un vocabulaire aussi rigoureux que ceux d'une langue.  [...] vert de Polcevera, mischio de San Siro, albâtre du mont Gazzo. Peindre les marbres, c'est se donner une géographie...
...elle se souviendrait avoir compris que peindre c'était d'abord ne pas peindre, mais sortir dans la rue et aller boire une bière.
...Paula commence à peindre, condense en un seul geste la somme des récits et la somme des images, un mouvement ample comme un lasso et précis comme une flèche, car l'écaille de la tortue contient à présent bien autre chose qu'elle-même, ramasse les genoux écorchés d'une fillette de cinq ans, le danger, une île au fond du Pacifique, le bruit d'un œuf qui se lézarde, la vanité d'un roi, un marin portugais qui croque un rat, la chevelure ondoyante d'une actrice de cinéma, un écrivain à la pêche, la masse du temps et sous des langes brodés, un bébé royal endormi au fond d'une carapace comme dans un nid fabuleux. 
Anna Karénine est un bon instrument d'optique pour regarder l'amour...
... imaginer un temps où les hommes ne seraient plus que des mythes, des légendes, des présences dans les récits des créatures qui habiteraient désormais la Terre - qui peut encore croire aux hommes, Paula ? »
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Quatrième de couverture

« Paula s’avance lentement vers les plaques de marbre, pose sa paume à plat sur la paroi, mais au lieu du froid glacial de la pierre, c’est le grain de la peinture qu’elle éprouve. Elle s’approche tout près, regarde : c’est bien une image. Étonnée, elle se tourne vers les boiseries et recommence, recule puis avance, touche, comme si elle jouait à faire disparaître puis à faire revenir l’illusion initiale, progresse le long du mur, de plus en plus troublée tandis qu’elle passe les colonnes de pierre, les arches sculptées, les chapiteaux et les moulures, les stucs, atteint la fenêtre, prête à se pencher au-dehors, certaine qu’un autre monde se tient là, juste derrière, à portée de main, et partout son tâtonnement lui renvoie de la peinture. Une fois parvenue devant la mésange arrêtée sur sa branche, elle s’immobilise, allonge le bras dans l’aube rose, glisse ses doigts entre les plumes de l’oiseau, et tend l’oreille dans le feuillage. »

Éditions Gallimard, collection Verticales, août 2018
285 pages

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