samedi 27 octobre 2018

Tant bien que mal ★★★★★♥ de Arnaud Dudek

C'est une belle ivresse, la littérature, oui, une belle ivresse. J'ai tangué, oui, j'ai tangué, Arnaud Dudek.
Tangué sous le sujet : délicat.
Tangué sous le sujet délicat, abordé avec beaucoup de délicatesse.
Merci.
Quelques pages, pour évoquer le trou noir d'un enfant violé.
Temps suspendu. Souffle coupé. 
Quelques mots pour suggérer l’innommable, pour parler du fait de se sentir tout petit, d'avoir peur.
Quelques mots pour parler de la planche de salut. Quelques mots émouvants. J'ai aimé ces mots, j'ai aimé la pudeur de ce texte. 
Une fois encore, merci.

« Je lui dois le petit peuple de mes cauchemars. Je luis dois une myriade de troubles obsessionnels. Je luis dois mon inaptitude chronique à la décision. Je luis dois des litres de sueur. Je lui dois des idées noires et quelques crises de nerfs.Certains silences sont des libellules enfermées dans des sous-sols immenses.
J'écris un poème, le monde manque de lamantins de lézards du val d'Aran de caribous le monde manque de nous.
Pourquoi écrivez-vous ? me demande-t-on de temps en temps. C'est une question que je ne me pose jamais. Il n'y a pas de raisons, pas de réponse définitive, simplement un fait, c'est ma façon d'être là, d'occuper l'espace, d'y laisser quelques traces. Je peuple ma tête de curieux personnages. Je raconte leurs aventures. Je n'ai aucun message à délivrer. Je pense à l'enfant que j'étais à dix ans, j'éteins sa lampe de chevet, je me blottis contre lui, je lui raconte une histoire. J'écris pour cet enfant.
Choisir c'est renoncer, choisir me pétrifie.Je crois que je n'aime pas le changement.Je crois que je n'aime pas renoncer et cela n'est pas prêt de changer.
[...] je suis mort à sept ans, rue du Bout-du-Val. Mort, et puis ressuscité, avec un coeur en morceaux et des mains tremblantes.
J'aime quand elle me raconte des histoires du temps d'avant, l'époque de tous ses possibles, du vélo sans les mains et des pommes volées dans le verger des voisins. Je sais qu'elle tait beaucoup de choses, la guerre, les horreurs, elle ne raconte que ce qui fait sourire. Faire taire le monstre innommable qui nous ronge : nous avons cela en commun, à présent.
Un jour elle m'a fait comprendre qu'elle désirait un enfant. J'éprouve les pires difficultés, chaque matin, à choisir une paire de chaussettes. Alors un enfant... Une telle décision. J'ai éludé la conversation, elle est revenue à la charge. J'ai dit que je ne me sentais pas prêt, elle a baissé les yeux. J'ai cru que l'orage était passé, elle m'adit Il faut qu'on parle sérieusement - sous-entendu, de nous. Elle m'a fait cadeau de sa chaîne hi-fi et d'une poignée de livres de poche. 
Avec le temps, nous ne sommes plus les mêmes. Lorsque nous regardons en arrière nous nous reconnaissons à moitié, tandis que l'autre moitié nous laisse généralement perplexes. 
...il y a dans sa voix l'insouciance d'une main qui goûte le vent par la fenêtre d'une voiture lancée à cent trente sur l'autoroute.
À côté de moi, un enfant d'une dizaine d'années explique à sa mère que les fourmis tisserandes peuvent porter jusqu'à cent fois leur masse. Cent fois, fichtre ! Accidents de voiture, chats perdus, et puis tout, tout le reste : pour nous, les humains, c'est déjà une prouesse de nous porter tout seuls, et de nous porter bien. »

Quatrième de couverture

Un petit garçon rentre de l’école. Un homme portant une boucle d’oreille lui demande s’il peut l’aider à retrouver son chat. Il conduit une Ford Mondeo. La forêt est toute proche.
Le petit garçon de sept ans est mort en partie ce soir-là et n’en dira rien à personne.
Délicatement, Arnaud Dudek monte sur le ring. Il raconte comment vit et grandit un enfant violé. Comment il devient adulte, père. Et ce qu’il fait lorsque, vingt-trois ans après les faits, il reconnaît l’homme à sa voix.

Éditions Alma éditeur, avril 2018
86 pages

À PROPOS DE L'AUTEUR

@ Molly Benn
Arnaud Dudek déménage souvent (en ce moment, il vit et travaille à Paris). Selon des sources concordantes, ce garçon discret serait né à Nancy, en 1979. Dans ses nouvelles (pour la revue littéraire Les Refusés ou pour Décapage) et dans ses romans (tous publiés chez Alma), il raconte les gens ordinaires avec humour et tendresse. Son premier roman, Rester sage (2012) a fait partie de la sélection finale du Goncourt du premier roman et a été adapté au théâtre par la Compagnie Oculus. Le second, Les fuyants (2013), a été sélectionné pour le prix des lycéens et apprentis de Bourgogne. Le troisième, Une plage au pôle Nord (2015) est traduit en allemand. Les vérités provisoires (2017) est son quatrième roman. Tant bien que mal (2018), son dernier ouvrage est un texte épuré, un concentré brut des thèmes qui lui sont chers : l’enfance, l’identité, la fuite.
Il est par ailleurs co-organisateur des rencontres littéraires AlternaLivres, dont la dernière édition s’est tenue en octobre 2015 à Messey-sur- Grosne en Saône-et- Loire.

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