samedi 21 septembre 2019

George Sand à Nohant ★★★★★ de Michelle Perrot

« Nohant vu, voulu et vécu par Sand : tel est notre propos. 
Dans ses dimensions matérielles et symbolique, affectives et politiques, réelles et idéelles, côté chambres et côté jardin. 
Dans sa folle ambition de projet communautaire, d'atelier d'artiste, de lieu de création, de modèle égalitaire. 
Dans sa tragédie de papillon brûlé à la lampe nocturne. 
Dans sa beauté de fleur condamné au squelette de l'herbier. » 

Nohant, une demeure d'artiste, témoin d'une époque, que Michelle Perrot nous raconte avec précision. 
En été  2016, de passage dans le Berry, un détour par ces lieux étaient une évidence (à mes yeux !...un peu moins à ceux de mes loulous ;-)). Nous avons eu donc la chance de visiter cette grande et belle maison ainsi que son beau et apaisant jardin attenant. Un souvenir inoubliable pour ma part; au fond de ma petite mémoire, des instantanés ceux de l'immense et si fonctionnelle cuisine, du majestueux escalier de l'entrée, de la pièce de réception si chaleureuse et accueillante, et de son théâtre, le clou d'une visite riche en découvertes.
Alors c'est avec un grand plaisir que je me suis laissée happer par ces pages, pour une visite tout aussi intéressante, dense, enrichissante de ce "monde enchanté".

« Nohant est une thébaïde [...]. L'art y établit la communion des coeurs et des esprits. C'est aussi une cellule politique, inspirée un temps par le socialisme de Pierre Leroux, noyau républicain support de journaux et fervent subversif des manières de vivre et de penser. Nohant est le creuset d'une utopie, 
spatialisée comme elles le sont toutes, pénétrée par l'ardent désir de changer le monde par son existence même. »

Nohant, « un refuge, un lieu stable, où s'enracinent les souvenirs et la vie, où reposer un jour dans une terre familière. »

     Nohant, « une oasis, un sanctuaire»

            Nohant, « le chemin et la quête d'une vie. [la] nôtre en ce livre. »

George Sand, la passionnée, la voyageuse, une femme toujours en mouvement qui voyait dans le chemin la métaphore et la réalité de la vie. « Qu'y a-t-il de plus beau qu'un chemin [...] le chemin sans maître [...], route de l'univers ? » 
En même temps qu'une femme hantée par le désir de l'éternel retour. « Arriver pour moi, c'est toujours revenir. »

Un beau voyage dans le temps, instructif, émouvant, enrichissant, dépaysant, merci Michelle Perrot ! 

Merci également aux cafés littéraires et gourmands ;-) de Pontault et aux bibliothécaires qui placent en nos mains des œuvres que nous n'aurions probablement jamais saisies.

« La vie est un voyage qui a la vie pour but. » 
Maison de George Sand
Nohant Le Vic_juillet 2016 
                                      


« Un grand portail ouvre sur la demeure d'Aurore Dupin (alias George Sand), qui y mourut en 1876. Plutôt qu'un château, c'est une sobre et harmonieuse maison de maître de la fin du XVIIIème siècle, avec de vastes communs attestant de l'importance de l'exploitation rurale, entourée d'un jardin, ordonné et fou à la fois. Un cimetière privé jouxte le cimetière communal. Il y a une magie de cet endroit préservé.
Ce lieu, Sand l'a investi. Il établit un contact privilégié avec la nature, « de toutes mes passions, la seule qui n'ait rien perdu. » Il offre la possibilité d'une vie en commun, frugale et simple. « Fort peu de besoins ; rien pour la gloriole, tout pour le plaisir de vivre. »  À « l'affreux brouillard de Paris », Sand compare « celui de Nohant [...] qui est couleur de rose et donne envie de travailler. » Refuge, retrait, Nohant est une oasis qui permet de se retrancher d'une mondanité dont elle connaît les ravages, et de créer. Il combine solitude nécessaire à « la pioche », et mise en commun par les soirées musicales, littéraires et, de plus en plus, scéniques, le théâtre étant devenu au fil du temps le moyen privilégié de constitution d'un groupe. Ascèse et plaisir sont indissolubles.
À Delacroix, cafardeux après un séjour mélancolique à Nohant, elle conseille : « Ce qui vous manque, c'est de la liberté, et peut-être de la famille, un entourage forcé, qui donne bien de l'anxiété parfois mais auquel on s'habitue si bien [...]. Vous avez trop d'imagination et d'émotion à dépenser pour vous tout seul. Vous devriez avoir dix enfants, tout grouillant autour de vous et vivant du trop-plein de votre vie. »
Par instants, il vous arrive par la fenêtre ouverte sur le jardin des bouffées de la musique de Chopin qui travaille de son côté ; cela se même au chant des rossignols et à l'odeur des roses. (cité par Marie-Paule Rambeau, Chopin dans la vie et l'oeuvre de George Sand, 1985, Correspondance de Delacroix à Pierret, 7 juin 1842)
[...] elle chante partout les louanges de Pauline [Viardot], fulminant contre la médiocrité qui contrarie son ascension. « Vous êtes ma jeunesse, ma gloire et mon avenir. » Pauline est Consuelo, la plus grande, la plus prophétique des ses héroïnes. Lorsqu'en 1848, Pauline est enfin engagée à l'Opéra, Sand rêve d'en faire la cantatrice de la République. « Je compte sur vous pour faire dans l'art la Révolution que le peuple vient de faire dans la politique. Il ne s'agit plus de s'user pour les bourgeois, mais de conquérir le peuple et le pouvoir. » L'effondrement de la République, le retour de l'Empire dictatorial marquent la fin de ces rêves. Les Viardot, sans être chassés, sont pratiquement condamnés à l'exil. Entre 1849 et 1859, Pauline chante surtout à Londres et en Allemagne, où le couple réside quelque temps à Baden-Baden. Lorsqu'en 1859, son triomphe dans l'Orphée de Gluck lui ouvre à nouveau l'Opéra, elle perd sa voix qui se brise, comme celle de son double littéraire, Consuelo.
Le fondateur de l'école de Barbizon aurait pu être le gendre de George Sand, et le peintre du Berry auquel il a consacré quelques toiles. [Théodore Rousseau, La Mare près de la route, ferme dans le Berry, entre 1842 et 1847, musée d'Orsay] Encore un rendez-vous manqué. Elle en resta là, côté peinture, heurtée aussi par les difficultés de Maurice à être exposé. Elle n'apprécia pas du tout Courbet, et ne perçut pas Manet, ni l'impressionnisme, qui couvait. 
« Je veux vous faire travailler et gagner de l'argent malgré vous. Mais il faudra vous dégourdir, ma berrichonne ! »La Berrichonne [Eliza Tourangin] reste sourde à ces objurgations, au point que George lui écrit : « Vous pourriez faire tout ce que vous voudriez, mais voudrez-vous jamais quelque chose ? [...] Je crois qu'il y a dans l'irrésolution une cause d'apathie, et dans l'apathie un certain charme intérieur de résignation et d'abnégation qui compense les rudes et douloureuses victoires de l'âpre activité » celle que George déploie pour elle-même et sur laquelle elle s'interroge : « Quand je me suis jetée à 26 ans dans une vie de hasards et de misères, je me sentais l'ardeur de tous les combats, et j'en ai traversé de tous genres, le tout pour arriver à ne rien regretter et ne rien désirer pour moi-même. Vous êtes au départ, un peu comme je suis au but. Alors pourquoi faut-il que vous passiez par l'orage ?»
[Elle] se flatte d'avoir la réputation d'une « bonne maison ». Elle s'intéresse aux projets de ses serviteurs et soutient ceux qui souhaitent s'émanciper ou améliorer leur sort. Elle voudrait les arracher à l'ignorance et à la rusticité, au manque d'hygiène, promouvoir l'égalité. Un de ses derniers romans, Nanon, célèbre les mérites d'une « paysanne parvenue » qui a su, par son travail et son initiative, échapper à son destin, comme Marie aurait pu le faire, sans la séduction, ce poison des femmes, sans l'hystérie, cette maladie qui les pousse à consentir. Mais en même temps, elle mesure l'obstacle que crée la culture.
C'était aussi l'ouverture au public, aux autres, la rupture avec la maison « bourgeoise » repliée sur elle-même, l'amorce de la communauté artistique dont Nohant devait être le creuset et à laquelle Sand rêvait d'associer poètes, ouvriers et paysans.
Les maisons sont fugitives et les souvenirs qui s'y attachent ne survivent pas à leurs habitants. Une chambre est désertée quand son occupant la quitte. Une maison se vide et devient décor de plus en plus énigmatique. Presque rien n'est transmissible. Excepté par l'écriture, seule capable d'en fixer quelque chose et de l'inscrire dans l'éternité des mots.
Terrain d'expériences multiples, espace du possible, le jardin s'écrit comme un roman.
Classer, étiqueter, conserver, constituer des collections qui permettent l'accumulation des connaissances, leur conservation, leur transmission. Elle qui avait été si rétive à l'herbier des jeunes filles le célèbre en 1868 comme un cimetière, un reliquaire des moments et des gens disparus. « Chaque plante rappelle une heure de calme ou d'accalmie. Elle rappelle les beaux jours des années écoulées. » Elle revoit Deschartres, Néraud, Delacroix, ce dernier acharné à peindre les fleurs qui lui échappent parce qu'elles changent tout le temps et lui demandant des fleurs d'herbier dont il apprécie les silhouettes « dédiées et charmantes ». « Les plantes d'herbier, disait-il, c'est la grâce dans la mort. » L'herbier est « un exercice de la mémoire ». L'écrivaine, la poète ne sont jamais loin chez George Sand. 
« Aujourd'hui, comme il y a vingt ans, je vis, au jour le jour, de ce nom qui protège mon travail et de ce travail dont je ne me suis pas réservé une obole. » Tel est son honneur. Sa façon de rejoindre ce peuple dont elle se sent comptable, et peut-être coupable.
« Déjà l'automne ! le voilà passé en six semaines, cet été que nous avons attendu cinq mois et que nous allons pleurer cinq autres mois [...] à peine nous sommes-nous écrié enfin qu'il faut ajouter déjà ! La vie est ainsi faite. Attendre et se souvenir. »
Le Lys dans la vallée, lu du 7 au 10 février 8153, suscite ce commentaire de Madame : « Beau roman, exécrablement écrit et prétentieux dans tout ce qui est amour et poésie, admirable partout où paraissent les caractères et la réalité » (8 février), la fin de la lecture étant saluée par un « Proutt ! Il y a du bon, mais ce n'est pas bon » (10 février). 
Égalité, Liberté, Solidarité ...
« [...] Il faut nous débarrasser des théories de 93 ; elles nous ont perdus. Terreur et Saint-Barthélémy, c'est la même voix [...]. Maudissez tous ceux qui creusent des charniers. La vie n'en sort pas. C'est une erreur historique dont il faut nous dégager. Le mal engendre le mal. Apprenons à être révolutionnaires obstinés et patients, jamais terroristes. » Une manière de testament politique de celle qui est « demeurée rouge dans son coeur ». »

Quatrième de couverture

     « Il est difficile de parler de Nohant sans dire quelque chose qui ait rapport à ma vie présente ou passée », écrivait George Sand. C’est par Nohant, par sa maison, que je l’ai rencontrée. À vrai dire, elle ne fut pas un modèle de ma jeunesse. Pour « la bonne dame », je n’éprouvais pas d’attirance. Ses romans, La Petite Fadette, etc., que la grand-mère de Marcel Proust tenait en si haute estime, me paraissaient bons pour les distributions de prix. Je participais à la dépréciation dont Sand a été victime après sa mort. Je la trouvais d’un âge qui n’avait plus grand-chose à dire aux filles de Simone de Beauvoir, dont je me revendiquais.
     Ma découverte fut en partie fortuite. La demeure de l’Indre, héritée de sa grand-mère, représente ses racines, mais aussi un refuge contre Paris, qui fit sa renommée et qu’elle n’aimait pas, une « oasis » propice au travail : elle y écrivit l’essentiel de son œuvre, comme Chopin y composa la majeure partie de la sienne. Nohant, elle en rêvait comme d’un phalanstère d’artistes, une communauté égalitaire, un endroit de création et d’échanges par la musique (Liszt, Chopin, Pauline Viardot), la peinture (Delacroix, Rousseau), l’écriture (Flaubert, Dumas, Fromentin, Renan, Tourgueniev…), le théâtre, la conversation.
     Ce lieu, Sand l’a investi. L’art y établit la communion des cœurs et des esprits. C’est aussi une cellule politique, inspirée par le socialisme de Pierre Leroux, noyau républicain support de journaux et ferment subversif des manières de vivre et de penser. Nohant est le creuset d’une utopie, pénétrée par le désir de changer le monde.
     Pas plus que personne, Sand n’a réalisé son rêve. Aujourd’hui, il nous reste ce lieu, de pierre et de papier, témoin d’une histoire d’amour aux accents infinis.
Michelle Perrot

Michelle Perrot, historienne, professeure émérite des universités, est notamment l'auteure d'Histoire de chambres (Seuil, « La Librairie du XXIème siècle », 2019). Ce livre a été couronné par le prix Femina Essai.

Éditions Seuil, août 2018 
447 pages 

Maison de George Sand
Nohant Le Vic_juillet 2016 
Nohant Le Vic_juillet 2016 

Nohant Le Vic_juillet 2016 

Propriété de George Sand_Le jardin
Nohant Le Vic_juillet 2016 

Propriété de George Sand_Le jardin
Nohant Le Vic_juillet 2016 

Propriété de George Sand_Le jardin
Nohant Le Vic_juillet 2016 

Propriété de George Sand_Le jardin
Nohant Le Vic_juillet 2016 

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