samedi 14 septembre 2019

La Marche de Mina ★★★★★ de Yoko Ogawa

Une tendre et douce plongée dans le Japon des années 70 ; dans la réalité de ce pays insulaire avec les Jeux de Munich de 72, le passage de la comète Giacobini, le suicide du Prix Nobel Monsieur Kawabata Yasunari... mais également, dans l'imaginaire de l'enfance, « dans l'univers d'une étoile flottant à trois milliards d'années-lumière. » 

Une belle et profonde amitié entre deux cousines, sous une plume poétique, fluide, délicate.
De nombreux personnages secondaires tout aussi attachants.

Si votre humeur est à la sensibilité, à la tendresse, ne résistez pas une seconde aux pouvoirs apaisants de ce roman. Laissez vous prendre par les mots ; laissez vous porter par ce tapis volant des mots qui prête à la rêverie !
« Quand j’ouvrais les rideaux, le bout du jardin brillait de rosée, et à la limite du ciel au lointain, j’apercevais l’étendue de la mer. Pochiko devait être encore en train de rêver sur sa litière au creux du tertre. Seuls les petits oiseaux gazouillant avec vivacité buvaient au bord du bassin. Je sentis la présence de madame Yoneda en train de préparer le petit déjeuner à l’étage au-dessous. J’entendais aussi s’arrêter devant la porte de service la camionnette de la boulangerie B qui livrait les baguettes chaque matin. Ce bruit suffisait à me donner l’impression que flottait alentour la bonne odeur de pain frais. Le soleil matinal paraissait bénir le monde avec égalité. »
Un dernier petit conseil, « Si vos oreilles émettent un drôle de bruissement, ne les frottez pas trop fort. Parce que dans la plupart des cas, ce sont les anges qui recousent leurs ailes sur vos lobes. »

« Je n'oublierai jamais la maison d'Ashiya dans laquelle j'ai vécu entre 1972 et 1973. L'ombre du porche d'entrée en forme d'arche, les murs crème qui se fondaient dans le vert de la montagne, les pampres de la rambarde de la véranda, les deux tourelles à fenêtres ornementées. Cela, c'est pour l'aspect extérieur bien sûr, mais l'odeur de chacune des dix-sept pièces, leur luminosité, et jusqu'à la sensation froide des poignées de porte au creux de la main, tout est resté gravé en mon coeur.
C'est mon oncle qui avait fabriqué, en multipliant les essais et les échecs, les différents éléments pour transformer Pochiko en moyen de transport. Il avait utilisé comme selle une chaise de bébé dont il avait coupé les pieds, une ceinture comme collier et une cordelière et son gland d'embrasse de rideau comme laisse. Il avait réussi à réaliser la première selle pour hippopotame nain au monde. Le main, monsieur Kobayashi installait Mina sur Pochiko pour l'emmener à l'école et après la classe, ils allaient l'attendre à la sorte. C'était devenu une habitude.Alors qu'il y avait une Mercedes aussi magnifique, je pensais que c’était dommage, mais je changeai d'avis aussitôt. puisque Pochiko avait coûté le prix de dix Mercedes, Mina utilisait le véhicule le plus coûteux de la maison.
Non seulement le ménage de dix-sept pièces était confié à des professionnels, mais madame Yoneda qui aimait que ce soit propre frottait dans les coins, si bien que la maison était toujours étincelante. Quand je laissais traîner quelque chose, cela n'échappait pas à son regard et je me faisais réprimander. [...] La seule exception, c'étaient les livres. Même si un livre ouvert était retourné sur la table du solarium, madame Yoneda ne prenait jamais sur elle de le ranger. De l'autre côté des pages se dissimulait un monde inconnu, et le livre retourné en constituait la porte d'entrée, si bien qu'elle ne pouvait pas le manipuler à tort et à travers.
Sur les murs des pièces, les livres s'alignaient presque jusqu'au plafond. Ils se tenaient là, tranquilles, sans manifester leur présence par des cris, sans arborer non plus de décorations voyantes. Même si de l'extérieur ils ne ressemblaient à rien d'autre qu'à des boîtes carrées, il en émanait une beauté égale à celle générée par les sculptures ou les poteries. Alors que la signification des mots gravées page après page était profonde au point de ne pas pouvoir en réalité tenir dans cette boîte, n'en laissant rien paraître, ils attendaient patiemment d'être ouverts par quelqu'un. J'en vins à ressentir du respect pour leur persévérance.
Bientôt Mina entrait dans la pièce. Lèvres serrées, sans ciller, elle parcourait du regard le dos des livres. Elle allait et venait devant les rayonnages dans le bruit sec des boîtes d'allumettes qui s'entrechoquaient dans ses poches, et bientôt trouvait un livre. Sans se soucier de son chemisier qui sortait de sa joue, elle s'étirait au maximum, tirait sur le livre qu'elle cherchait à atteindre, le serrait entre ses bras  si fins. Allongée sur le sofa, un coussin sur la poitrine, elle ouvrait son livre et partait pour un lointain voyage.
Il me semblait que Mina qui devait dormir dans son lit à l'hôpital pesait sur ma paume du même poids qu'une boîte d'allumettes. Il me semblait aussi qu'elle se trouvait dans cette lune au reflet pâle. J'ai pensé que tout ça, aller à l'école sur le dos de Pochiko, manger des Bolo ou raconter l'histoire de l'éléphant à bascule, se déroulait peut-être dans l'univers d'une étoile flottant à trois milliards d'années-lumière.
Quand il ouvrait d'un coup sa paume épaisse, Mina regardait la boîte posée dessus comme s'il venait de faire un tour de magie. En réalité, comme moi qui faisais des allers et retours à la bibliothèque, il n'était qu'un simple porteur, mais pour elle, c'était un voyageur qui arrivait sur un tapis volant. Un voyageur qui allait librement de la steppe où un éléphant jouait sur une bascule jusqu'au ciel étoilé où flottaient des hippocampes et qui, une boîte d'allumettes en cadeau, faisait résonner la sonnette de l'entrée de service. C'était le jeune homme du mercredi. »

Quatrième de couverture

       À onze ans, Tomoko s’apprête à passer une année seule chez son oncle et sa tante. Ces gens, qu’elle ne fréquentait pas jusqu’alors, vivent près de Kobe dans une très belle demeure. Leur fille Mina, une enfant de douze ans étonnamment mûre pour son âge, passe ses journées dans les livres, collectionne les boîtes d’allumettes illustrées et se promène à dos d’hippopotame quand sa santé fragile le lui permet.
          Mais ce n’est pas la seule particularité de cette famille. Pour Tomoko, le plus étrange se situe peut-être au niveau de leurs origines car la grand-mère Rosa se souvient de son Allemagne natale et parle de cette Europe lointaine que Tomoko ne connaît pas.
       À travers la passion de Mina pour la littérature, les récits de Rosa, la retransmission à la télévision des Jeux Olympiques de Munich ; c’est une toute nouvelle ouverture sur le monde qui lentement s’offre à Tomoko et le début d’une longue amitié d’enfance au cœur des années soixante-dix, du Japon jusqu’à Francfort, où Mina deviendra plus tard agent littéraire.
        Écrit en 2006, ce livre est tout en sensibilité. Roman de la maturité, Yoko Ogawa explore les liens issus de l’enfance avec générosité et fantaisie. Abordant pour la première fois le thème de l’étrangeté des origines, la romancière met en scène les années soixante-dix vues du Japon pour finalement placer cette histoire, comme ce fut le cas dans La formule préférée du professeur, sur la partition de la tendresse.

Yoko Ogawa est l'une des plus brillantes romancières du Japon d'aujourd'hui. Ses romans sont traduits dans le monde entier. Elle a obtenu les prix les plus prestigieux de son pays.

Éditions Actes Sud, janvier 2008
318 pages 
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle

2 commentaires:

  1. j'ai beaucoup aimé votre commentaire ,ce livre m'a beaucoup troublée positivement par sa douceur , sa tendresse , son originalité. lecture rare .

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