samedi 21 septembre 2019

Le Petit Veilleur ★★★★☆ de Benoît Reiss

« Sur le dossier du siège avant, à la place du mort près du conducteur, le cuir a été creusé haut à cause des épaules des grands qui s'y sont assis. Il a beau se redresser, se mettre sur la pointe des fesses pour essayer de se tenir droit, il n'y entre pas. Il est là-dedans comme dans un moule trop grand. C'est la même chose sous ses jambes ; ça fait une grande bassine dans quoi il s'enfonce. Il doit sans arrêt prendre appui sur les mains pour se soulever et voir un peu la route. »

Un trajet que le lecteur suit, subit, appréhende, apprécie de par les mots, les idées, les flashbacks intimement choisis...
Benoît Reiss nous intime d'avancer sur cette trajectoire, celle de Thierry, un jeune garçon qu'un inconnu achemine vers une destination tenue secrète, vers un endroit que l'on n'ose imaginer.

Subtilement, intensément décrits : l'habitacle de la voiture, les arrêts, les paysages ... LA réalité.

Les pensées, les souvenirs de Thierry nous transportent; et nous effleurent...
sa solitude, ses états d'âme, sa quête...
la douceur d'un rêve d'enfant mais
quand la réalité n'est pas à la hauteur, qu'elle est capricieuse, qu'elle dérange, quand le silence est chargé de l'absente.

Un petit bijou de poésie et de finesse. 
Un petit guetteur attachant, qui met à rude épreuve notre sensibilité.
Et des notes de piano dans l'ombre du mur de la plage, « les pieds dans les galets froids, pour l'entendre l'appeler mon petit veilleur...»

Instant de grâce; à nul autre paraître.

«  Il aperçoit le long défilé d'ennui des arbres, l'éternité des arbres. Il sent ce goût qu'il déteste, qui le fait bâiller et lui fait monter les larmes, ce goût des choses ennuyeuses, des choses qui ne finissent pas. Ce sont ces platanes maintenant. Ils se répètent, ils ne disent rien. Ils sont inépuisables, éternité de troncs, de fourches, de branches, de feuilles qui se rapprochent puis s'éloignent.
Comme les poissons vifs qui s'agitent et se tordent au creux de la main, à la fin jaillissent et retournent à la mer, les mots replongent hors de sa compréhension. Ou bien ce sont des mots qu'il est sûr de connaître mais qui se trouvent associés à d'autres obscurs, inattendus. Ce qu'il est en mesure de comprendre n'a plus aucune valeur dans les conversations des grandes personnes à la radio.
Il se rend compte qu'il n'a pas répondu à la question de l'homme. Celui-ci est concentré sur la route, la cigarette entre les lèvres, entamée jusqu'à sa moitié. La fumée s'élève, s'enroule, forme un nuage animé, transparent et opaque, animal étrange qui frotte son dos contre le plafond. Sans doute qu'il est trop tard maintenant pour dire qu'il veut bien qu'on allume la radio.
Elle attend. Elle sait qu'il est dehors et pas dans l'appartement, elle sait qu'il n'a pas pu se résoudre à attendre sagement dans sa chambre, elle se doute même que, comme souvent, il n'a pas vraiment dormi cette nuit, il a guetté et, bien avant son retour, avant le lever du jour, il a dégringolé les escaliers, galopé dehors, s'est caché en bas du mur sur la plage où il l'a attendue   tu es déjà debout mon petit veilleur ! 
Ce sont de longues musiques sans paroles jouées par des orchestres, ou des opéras - mais il ne comprend rien à ce que chantent les voix -, ou encore des pièces pour piano et pour violon et violoncelle. Il déteste toutes ces musiques. [...] D'un morceau à l'autre il entend la même immobilité - ces musiques ont le pouvoir d'étirer le dimanche hors des proportions d'un jour ordinaire.
Il est un veilleur : c’est lui qui garde l’appartement quand sa mère est absente, c’est lui qui se lève la nuit, qui sort de sa chambre et entre dans le salon. Il n’y a personne dans l’appartement, il n’y a que lui. Il est un veilleur.
Maintenant le ciel était clair, quelques étoiles apparaissaient entre les pins. Elles scintillaient d’une force qu’il n’avait jamais vue, elles scintillaient comme si elles avaient mal. 
Une grande maison blanche aux volets et à la porte bleus, une maison bercée par l'eau. Les fenêtres dans leur chambre seraient des hublots. Le soir, ils verraient les arbres de la rive et la lune dans leur cadre rond. Quand ils en auraient assez, ils détacheraient leur maison et la laisseraient suivre le courant. Ils iraient aussi loin qu'ils voudraient, ils changeraient de ville, changeraient de pays. Ils auraient de longs bâtons pour conduire leur maison et pour rattraper la rive quand ils voudraient, de grands bâtons pour s'amarrer ailleurs, cette fois à l'écart des villes, sous la haute frondaison d'un arbre, au coude du fleuve, à un endroit d'où personne ne pourrait les voir. Ou sur une île nue où il n'y aurait qu'eux et les chemins inventés des étoiles au-dessus de leurs têtes. »

Quatrième de couverture

En voiture au côté d’un inconnu, vers une destination qu’il ignore, un petit garçon convoque les images de sa vie. La pension, adoucie par la présence protectrice de Sophie ; l’océan et la plage, face à l’appartement où il vit avec sa mère. Insaisissable, celle-ci disparaît pour revenir de jour en jour plus mystérieuse, plus imprévisible. L’enfant trop sage veille sur elle et rêve d’un monde où rien ne les séparerait. Mais la société préfère le déchirement au désordre…

Un texte poétique et essentiel, puisé aux sources de l’enfance.

« On peut le mettre dans une pension à des kilomètres de la ville, on peut le tenir loin d’elle un automne, un hiver et un printemps, il s’en fiche ; il sait que cette minute revient toujours, cette minute où il pousse la porte de sa chambre, où il monte quatre à quatre les marches de l’escalier de la plage et la retrouve. »

Benoît Reiss est né à Lyon en octobre 1976. Il a étudié la littérature à Lyon puis à Paris. Il a vécu plusieurs années au Japon. Il habite maintenant en Haute-Loire et co-dirige les éditions du Cheyne, où il a auparavant publié plusieurs ouvrages (romans, récits et recueils poétiques).

Éditions Buchet Chastel, février 2019
105 pages 

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