lundi 8 juin 2020

La formule préférée du professeur ★★★★☆ de Yoko Ogawa

Une histoire d'amitié et de filiation touchante entre un vieux et éminent professeur de mathématiques, une aide-ménagère attentionnée, généreuse patiente et pleine d'empathie et son fils passionné de baseball. Le professeur leur transmettra son amour des chiffres, conviant ainsi le lecteur dans une belle aventure dans le monde des chiffres. La signification de la racine carrée, les nombres premiers jumeaux, les nombres parfaites, les nombres amis, les nombres triangulaires, les nombres entiers naturels, les nombrés déficients, les nombres abondants, la conjecture d'Artin, la paire Ruth-Aaaron, la fameuse identité d'Euler, ... n'auront plus de secret pour vous ;-)
« L'intuition, c'est important. On attrape les mathématiques avec l'intuition, comme un martin-pêcheur fond soudainement sur l'eau par réflexe, dès qu'il aperçoit l'éclat d'une nageoire dorsale dans la lumière. »
La relation entre ces trois personnages n'est pas simple, elle se construit au fil des pages, avec des hauts et des bas, le professeur étant handicapé par une amnésie qui limite sa mémoire à quatre-vingts minutes. Des petits billets accrochés à sa veste lui permettent de ce souvenir "ma mémoire ne dure que 80 minutes". Chaque matin, il recevait une cruelle déclaration en lisant ce papier : son moi de la veille était tombé dans un gouffre du temps dont il ne remonterait jamais.  
« Pour le professeur dont la mémoire s’éteignait au bout de quatre-vingt minutes, lorsque j’apparaissais dans l’entrée j’étais toujours quelqu’un qu’il rencontrait pour la première fois »
Douceur et délicatesse, poésie et amour imprègnent cette histoire, on s'attache aux personnages, et le désir de connaissances qui s'emparent de la mère et du fils, s'empare du lecteur à son tour. 
Un professeur aimant, qui étonne, amuse et rend heureux.
« Il traitait Root comme un nombre premier. De la même manière que pour lui les nombres premiers constituaient la base sur laquelle s'appuyaient tous les nombres naturels, il pensait que les enfants étaient un élément indispensable pour nous, les adultes. Il croyait que c'était grâce aux enfants qu'il existait ici et maintenant. »
La recherche mathématique à la poursuite de la beauté.
Une lecture intéressante, originale et profondément humaine. 
« [...] il y avait là une sorte de quiétude que je n'avais jamais ressentie jusqu'alors. Une quiétude qui n'était pas simplement absence de bruit, mais une accumulation des couches du silence qui remplissait le cœur du professeur lorsqu'il errait dans la forêt des nombres, un silence inviolé par les cheveux ou les moisissures. Un silence limpide, comme un lac dissimulé au fond d'une forêt. »

« - Quelle pointure faites-vous ? [...] 
- Du 24. 
- Ooh, un chiffre très résolu. C'est la factorielle de 4. [...] 
- C'est quoi une factorielle ? [...] 
- Le produit des nombres naturels de 1 à 4 est égal à 24, répondit le professeur sans ouvrir les yeux. C'est quoi votre numéro de téléphone ? 
- 576 1455 
- 5761455, vous dites ? N'est-ce pas merveilleux ? Il est égal à la quantité de nombres premiers qui existent jusqu'à cent millions. » 

« Peu après avoir commencé à fréquenter le pavillon comme aide-ménagère, je découvris que le professeur avait l'habitude, lorsqu'il était plongé dans la confusion parce qu'il ne savait pas quoi dire, de proposer des nombres au lieu des mots. C'était le moyen qu'il avait trouvé pour échanger avec les autres. Les nombres étaient la main droite qu'il tendait vers l'autre pour une poignée de main, en même temps qu'ils lui servaient de manteau pour se protéger. Un manteau que personne ne pouvait lui faire enlever, si lourd et si épais qu'on ne distinguait pas la silhouette de son corps en passant la main dessus. En le portant, il s'assurait d'abord d'un endroit où se trouver. » 

« "La nouvelle aide-ménagère" 
Les caractères étaient petits et frêles. Derrière était dessiné un visage de femme. Aux cheveux courts, aux joues rondes, avec un grain de beauté à côté des lèvres, le dessin était du niveau d'un enfant de maternelle, mais je reconnus aussitôt mon visage. 
En l'entendant aspirer sa blanquette, j'ai imaginé le professeur après mon départ, en train de se dépêcher de faire son dessin avant que sa mémoire le trahisse. Cette note était la preuve qu'il avait interrompu son précieux temps de réflexion pour moi. »

« Une démonstration véritablement juste forme un équilibre harmonieux entre la souplesse et une solidité à toute épreuve. Il existe tout un tas de démonstrations qui, même si elles ne sont pas fausses, sont ennuyeuses, grossières et irritantes. Vous comprenez ? De la même façon que personne n'est capable d'expliquer pourquoi les étoiles sont belles, c'est difficile d'exprimer la beauté des mathématiques. »

« L'intuition, c'est important. On attrape les mathématiques avec l'intuition, comme un martin-pêcheur fond soudainement sur l'eau par réflexe, dès qu'il aperçoit l'éclat d'une nageoire dorsale dans la lumière. » 

« Ce n'est rien de plus qu'un jeu, me disait-il sur un ton plus triste que modeste. Ceux qui élaborent les problèmes en connaissent la réponse. Résoudre un problème dont la solution existe obligatoirement, c'est un peu comme faire avec un guide une randonnée en montagne vers un sommet que l'on voit. La vérité ultime des mathématiques se dissimule discrètement à l'insu de tous au bout d'un chemin qui n'en est pas un. En plus, il n'est pas sûr que cet endroit soit un sommet. Ce peut être une gorge entre deux falaises abruptes ou un fond de vallée. »
 
« - Quand il fait des mathématiques, le professeur ne parle tout seul comme toi, et il ne s'arrache pas les cheveux non plus. Son corps est là, mais son cœur est ailleurs.»  

« À ce moment-là, je fis pour la première fois de ma vie l'expérience d'un instant miraculeux. Dans un désert cruellement piétiné, une rafle de vent venait de faire apparaître devant mes yeux un chemin qui allait tout droit. Au bout du chemin brillait une lumière qui me guidait. Une lumière qui me donnait envie de suivre le chemin pour m'y plonger tout entière. Je compris alors que je recevais une bénédiction qui avait pour nom étincelle. »

« Ce sont les nombres premiers que le professeur a aimés le plus au monde. Je connaissais leur existence bien sûr, mais l'idée ne m'avait jamais effleurée qu'ils puissent constituer un objet d'amour. Cependant, même si l'objet était extravagant, la manière d'aimer sur professeur était tout à fait orthodoxe. Il éprouvait pour eux de la tendresse, de la dévotion et du respect, il les caressait ou se prosternait devant eux de temps en temps, et ne s'en séparait jamais. »

« Une autre merveille de l'enseignement du professeur était l'utilisation généreuse qu'il faisait de l'expression ne pas savoir. Ne pas savoir n'était pas honteux, car cela permettait d'aller dans une autre direction à la recherche de la vérité. Et pour lui, enseigner la réalité qu'il y avait là des possibilités intactes était presque aussi important que d'enseigner des théorèmes déjà démontrés. »

« Il lui fallait un calme à l'intérieur du cœur, où les sons extérieurs n'arrivaient pas. » 
« Quand j'y repense aujourd'hui encore, je n'ai pas de mots pour qualifier la pureté de l'affection qu'il avait pour les enfants. C'est une vérité aussi éternelle que l'invariance de la formule d'Euler. »

« Il traitait Root comme un nombre premier. De la même manière que pour lui les nombres premiers constituaient la base sur laquelle s'appuyaient tous les nombres naturels, il pensait que les enfants étaient un élément indispensable pour nous, les adultes. Il croyait que c'était grâce aux enfants qu'il existait ici et maintenant. »

Quatrième de couverture 

Une aide-ménagère est embauchée chez un ancien mathématicien, un homme d'une soixantaine d'années dont la carrière a été brutalement interrompue par un accident de voiture, catastrophe qui a réduit l'autonomie de sa mémoire à quatre-vingts minutes. 
Chaque matin en arrivant chez lui, la jeune femme doit de nouveau se présenter — le professeur oublie son existence d'un jour à l'autre - mais c'est avec beaucoup de patience, de gentillesse et d'attention qu'elle gagne sa confiance et, à sa demande, lui présente son fils âgé de dix ans. Commence alors entre eux une magnifique relation. Le petit garçon et sa mère vont non seulement partager avec le vieil amnésique sa passion pour le base-bail, mais aussi et surtout appréhender la magie des chiffres, comprendre le véritable enjeu des mathématiques et découvrir la formule préférée du professeur... 
Un subtil roman sur l'héritage et la filiation, une histoire à travers laquelle trois générations se retrouvent sous le signe d'une mémoire égarée, fugitive, à jamais offerte... 

Éditions Actes Sud, septembre 2005
247 pages
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle
Prix littéraire du Yomiuri, le premier grand prix des Libraires 2004
Prix de la Société des mathématiques

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