mardi 30 juin 2020

Nuits d'été à Brooklyn ★★★★☆ de Colombe Schneck

« People, can we all get along ? »
Kwane Anthony Appiah
à la télévision en 1991.

Colombe Schneck nous transporte dans le quartier de Brooklyn, été 1991

Le roman s'ouvre sur une description éloquente et efficace, d'un terrible drame - la mort d'un jeune Noir, renversé par le cortège d'un rabbin, leader iconique des loubavitchs - et dès les premières pages, on prend une claque. Cet accident sera suivi de trois jours d'émeutes antisémites. Le quartier de Crown Heights, Brooklyn, devient le théâtre d'affrontements déchirants entre les communautés juives et afro-américaines locales. Des "Vive Hitler" résonnent dans les rues. 
« On n'en peut plus. Les Juifs obtiennent tout ce qu'ils veulent. Ils tuent nos enfants. Nous n'obtenons ni la justice ni le respect. » 
La fièvre antisémite fond sur ce quartier. 
« La peur est la poudre et la haine est la mèche. Le dogme, en dernière instance, n'est que l'allumette qui y met le feu. » écrivait très justement Carlos Ruiz Zafón dans Le Jeu de l'ange (2008).

Esther Rosen, une jeune journaliste stagiaire est envoyée à New York pour enquêter sur ces émeutes et comprendre ce conflit entre deux communautés qui vivent dans le même quartier. Elle apprivoise le New York des années 90 et fait la rencontre de Frederick Armitage un homme noir américain, professeur de littérature française à New York University. On observe ces deux personnages dans leur relation adultère, dangereuse et fragile. Des personnages de fiction, tout droit sortis du monde réel; la touche personnelle de Colombe Schneck est palpable. 
Témoignage bouleversant sur la condition des Noirs aux Etats-Unis, sur leur peur d'être toujours suspecté. 
« Ne pas parler trop fort, ne pas courir dans la rue sous peine d'être en danger, s'écarter quand il voyait une femme blanche devant lui afin de ne pas l'effrayer, ne jamais se faire remarquer ni risquer d'être arrêté par un policier. Il était constamment, quoi qu'il fasse, suspect. Et si par grand malheur il était arrêté, il fallait baisser la tête et toujours répondre « Yes sir ». »
Une enquête politique et sociale bien menée, un roman d'amour aussi. 
Une construction remarquable, qui tient en haleine, qui émeut, qui touche. 

N'y a t-il pas une place pour tous ? Peu importe les croyances, la couleur de peau, n'avons-nous pas TOUS le droit de vivre autrement que dans la peur ? Haine, vengeance, peur : des mots sombres, ancrés dans notre monde noir et dur. A quand un monde sécurisant et doux, ouvert et tolérant ?  
« Un Noir n'a t-il pas des yeux ? Un Noir n'a t-il pas, comme un Blanc, des mains, des organes, des dimensions, des sens, des affections, des passions ? N'est-il pas nourri de la même nourriture, blessé par les mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes remèdes, réchauffé et glacé par le même été et le même hiver ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? Et si vous nous faites du mal, ne nous vengerons-nous pas ? »
Un livre empreint d'humanité, un livre haletant, sensible, un livre à lire. Douloureusement et effroyablement d'actualité.

« Ne pas parler trop fort, ne pas courir dans la rue sous peine d'être en danger, s'écarter quand il voyait une femme blanche devant lui afin de ne pas l'effrayer, ne jamais se faire remarquer ni risquer d'être arrêté par un policier. Il était constamment, quoi qu'il fasse, suspect. Et si par grand malheur il était arrêté, il fallait baisser la tête et toujours répondre « Yes sir ». »

« Esther ne sait pas encore que le passé nous entrave, que ceux qu'on a laissés derrière soi, morts ou vivants, nous surveillent, que rien ne commence ni se termine vraiment. » 

« Les Juifs pensent que les Noirs sont des assassins et des violeurs, les Noirs que les Juifs sont des esclavagistes en puissance, faut qu'on arrive à remettre le dentifrice dans le tube. » 

« C'est un cliché bien sûr, mais il est comme chacun, il ne peut pas s'empêcher de se rassurer, de reconnaître l'autre dans une image fixe et faussement réelle, la mère de famille blonde et mince de l'Upper East Side. »
 
« La littérature est le lieu de l'ombre, pas celui de la morale. » 

« Esther lui demande si dans le métro ce matin, il a vu la citation de Shakespeare, l'extrait de la tirade du Marchand de Venise.
- Oui, lui répond-il, mais j'ai ma propre version. Durant ma dernière année de lycée, notre professeur d'anglais nous avait lu la version originale, et avait demandé à chaque élève de l'apprendre par coeur et de remplacer « Juif » par ce qu'il voulait. Alors, moi je l'avais récité ainsi : « Un Noir n'a t-il pas des yeux ? Un Noir n'a t-il pas, comme un Blanc, des mains, des organes, des dimensions, des sens, des affections, des passions ? N'est-il pas nourri de la même nourriture, blessé par les mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes remèdes, réchauffé et glacé par le même été et le même hiver ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? Et si vous nous faites du mal, ne nous vengerons-nous pas ? » » 


Quatrième de couverture

« Appelons-le Frederick, il a 41 ans, il est professeur de littérature, spécialiste de Flaubert, marié, père de Lizzie, 15 ans et vit, au moment des faits, l’été 1991, dans une jolie maison en briques à trois étages dans le quartier de Carroll Gardens à Brooklyn. Frederick trompe sa femme. Sa maîtresse s’appelle Esther, elle est blanche, juive, parisienne, évidemment plus jeune. Elle vient de terminer ses études de journalisme. Elle est en stage de trois mois à New York. Cet adultère est un événement minuscule, mais la vie personnelle est plus importante que les mouvements du monde, tant qu’on a la capacité d’y échapper. »

Pourtant ce sont bien les mouvements du monde qui vont rattraper Frederick et Esther.
Août 1991, à Crown Heights, un quartier résidentiel de Brooklyn, un juif renverse accidentellement deux enfants noirs qui jouent de l’autre côté de la rue. L’un d’eux est tué sur le coup. Ce quartier où cohabitent difficilement les deux communautés se retrouve très vite à feu et à sang, les rues résonnent aux cris de « morts aux juifs » et « vive les nazis », les magasins sont pillés et les voitures brûlent. Pendant que la réaction policière tarde à venir, Rabbins, révérends, mères de famille, journalistes et simples citoyens s’affrontent, cherchant la faute et la violence dans le regard de l’autre.
L’histoire d’amour entre Esther et Frederick ne survivra pas à ces événements qui les opposent jusqu’à la rupture. Esther ne s’en remettra pas et passera 25 ans à ressasser son amour perdu et à essayer de comprendre ce qui s’est joué lors de cet été 1991. Ce livre est le récit de sa quête pour répondre à la question posée un jour par son amant : Pourquoi ne pouvons-nous pas nous aimer les uns les autres ?

Le roman, écrit d’une plume alerte et qui touche toujours juste, que tire Colombe Schneck de ces événements bien réels transporte autant qu’il questionne sur les thèmes malheureusement actuels du racisme et de l’antisémitisme mais toujours en nous parlant la langue universelle de l’amour et de l’espoir.

Écrivaine, Colombe Schneck a notamment publié, chez Stock, L'increvable Monsieur Schneck (2006), Val de Grâce (2008), Les Guerres de mon père (2018), et, aux éditions Grasset, La Réparation (2012), traduit dans plusieurs pays et La Tendresse du crawl (2019).

Éditions Stock, février 2020
297 pages

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