lundi 1 juin 2020

Les tendres plaintes ★★★★☆ de Yoko Ogawa

L'écriture incarnée et harmonieuse de Yoko Ogawa est un bonheur, coupé du temps, un échappatoire poétique et enivrant.
Ruriko, calligraphe et femme blessée, trompée, battue, désaimée, mal-aimée s'octroie une halte, une retraite en pleine forêt pour prendre du recul, apprécier le silence et la sérénité des lieux. Elle y rencontrera Nitta, un facteur de clavecin et Kaoru, son assistante. Elle y fera l'expérience d'un amour qui, conjugué à trois, s'avère impossible. 
« Elle en avait peut-être besoin. De venir dans un endroit où elle ne connaît personne, où coupée du temps, sans être perturbée par des inquiétudes, des peurs ou des souvenirs intempestifs, elle peut vivre uniquement avec des sons invisibles. »
Les tendres plaintes, une mélodie empreinte d'amour, de tendresse et d'un soupçon amertume. 

Un tendre et doux regard sur la vie, ses déboires, ses injustices, ses infidélités et maux amoureux. Solitude, brutalité, intimité, tristesse et grande taciturne imprègnent cette histoire, une histoire qui parle au coeur. 

La musique comme langage du coeur, et "Les tendres plaintes" de Rameau écoutées au piano et au clavecin...un pur moment de tendresse

« Le soir je fermais les fenêtres, je barrais la porte et je travaillais dans la pièce de style occidental à l'étage. Le calme pesait sur mes tympans et quand j'étais fatiguée je me glissais dans mon lit.
La plupart du temps je n'arrivais pas à dormir. Quand je fermais les yeux, j'avais l'impression d'être aspirée au fond de ténèbres insondables. Il n'y avait rien nulle part pour me retenir, pas de chaleur non plus. »

«- Jusqu'à présent, je n'ai jamais réfléchi à la profession de facteur d'instruments, ai-je dit. Je ne suis pas passionnée de musique classique, pourtant il m'est arrivé d'aller à des concerts ou de passer devant des magasins de musique et j'ai toujours eu l'impression qu'au lieu d'avoir été fabriqués par des mains humaines, ils étaient venus naturellement au monde.
- Tous les instruments ont une forme naturelle. Une forme propre à reproduire les naissent sur la terre, dit Nitta. »

« Alors qu'elle jouait juste sous mes yeux, j'avais l'impression que le son me parvenait d'un endroit extrêmement lointain. On aurait dit qu'il contenait la mémoire d'un temps illimité auquel personne n'avait touché. Le trancheur et la douceur, la magnificence et la grâce, la pureté et l'ombre, des impressions contradictoires jaillissaient ainsi en même temps pour se fondre aussitôt en une seule. »

« Il avait le coeur saturé d'un calme particulier. Les oiseaux avaient beau gazouiller dehors, nous pouvions bien échanger des paroles, ce calme pesait comme une brume épaisse qui ne se levait pas. Qui semblait absorber les sons des instruments de musique qu'il fabriquait. »

« Elle en avait peut-être besoin. De venir dans un endroit où elle ne connaît personne, où coupée du temps, sans être perturbée par des inquiétudes, des peurs ou des souvenirs intempestifs, elle peut vivre uniquement avec des sons invisibles. »

« Quand on travaille avec lui, il y a des choses qu'on ressent naturellement. Surtout quand on est enfermés dans l'atelier. On est sensibles aux vibrations de l'air. Aux résonances des cordes du clavecin. Alors on peut également ressentir les vibrations du coeur de l'autre.»

« Nous avons joint nos lèvres. La couverture est tombée une deuxième fois. Il y a eu un bruit de chaises ébranlées. Ce fut un baiser calme. Un baiser qui a réchauffé discrètement les ténèbres derrière nos paupières. »

« Au début, le seul fait de marcher en ville me fatiguait. J'avais l'impression que tout le monde était en colère contre moi. Les vagues humaines s'écoulaient rapidement l'une après l'autre en m'ignorant totalement. Il n'y avait là ni l'air ni l'odeur ni les bruits dont étaient remplis les bois. »

« Les résonances du clavecin parvenaient au plus profond de mon coeur. Elles remplissaient lentement la petite obscurité que ni la lumière ni les paroles n'atteignaient. Elles ne s'écoulaient nulle part. Elles restaient là indéfiniment. »

Quatrième de couverture

     Blessée par l'infidélité de son mari, Ruriko décide de disparaître. Elle quitte Tokyo et se réfugie dans un chalet en pleine forêt où elle tente de retrouver sa sérénité. Ruriko est calligraphe. 
     Non loin, dans un autre chalet, s'est installé Nitta, un ancien pianiste de renom devenu facteur de clavecins, un homme habité par un calme particulier qui semble absorber les sons des instruments qu'il fabrique. Bien qu'assisté chaque jour dans son ouvrage minutieux par une jeune femme prénommée Kaoru, il vit seul avec un vieux chien aveugle et sourd. Invitée en ces lieux par Kaoru, la calligraphe observe et s'interroge sur la relation du facteur et de son aide. Ainsi elle apprend que Nitta ne peut plus jouer en présence d'autrui, que seule persiste en lui la capacité de vivre avec des sons invisibles. Mais, un matin, la calligraphe surprend Nitta installé au clavecin jouant « Les Tendres Plaintes » pour Kaoru.      

     Écrites en 1996, « Les Tendres Plaintes » contiennent tous les éléments révélateurs de la personnalité littéraire de Yoko Ogawa. Le regard porté sur la nature, sur ses sonorités, l'intensité de ses nuits, l'indicible solitude des êtres et leurs relations fugitives donnent à cette histoire une étrange résonance : celle qui prend source au cœur de l'inconscient.

Yoko Ogawa est née en 1962. Elle vit au Japon et se consacre à l'écriture. Elle a obtenu de nombreux prix littéraires dont le prestigieux Akutagawa pour "La Grossesse" (Actes Sud, 1997). Tous les livres de Yoko Ogawa sont publiés aux éditions Actes Sud.

Éditions Actes Sud, juin 2010
239 pages
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino et Yukari Kometani

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire