mercredi 2 novembre 2022

La force des femmes ★★★★★ de Denis Mukwege

La force des femmes témoigne du combat des femmes attaquées dans leur plus profonde intimité, réparées  physiquement et psychologiquement par le Dr Mukwege et ses équipes. Les séquelles psychologiques sont profondes et doivent être prises en charge pour que les victimes atteignent le statut de survivantes, pour qu'elles puissent envisager l'après,  la reconstruction, l'acceptation du petit être né parfois de cette violence, pour espérer s'introduire dans la vie, de nouveau. Envisager cette possibilité. 
Combien sont encore à freiner un dépôt de plainte ? Comment décourager les violeurs ? Comment ? L'auteur propose des pistes,  la première convoque l'éducation. À tout âge. Les policiers doivent aussi réchauffer les bancs, apprendre, réapprendre à soutenir mieux les femmes.
Un livre pour les femmes, mais pas que. 
« J'ai le furieux espoir que des personnes de tous les genres le liront et en retireront quelque chose. Il faut qu'un maximum de gens participent à la lutte pour l'égalité entre les sexes. Les hommes ne devraient pas craindre l'incompréhension, ils ne devraient pas ressentir le besoin de se justifier comme moi autrefois quand ils soutiennent leurs sœurs, filles, femmes, mères, amies et autres égales humaines. Les femmes ne peuvent résoudre seules le problème des violences sexuelles ; les hommes doivent faire partie de la solution. »
Une lecture qui instruit sur l'Histoire du Congo, sur l'impact néfaste que la colonisation a engendré sur son économie - une véritable manne financière avec ses minerais disponibles à profusion - « Un colon géomètre a déclaré, à propos du Congo, que c'était un scandale géologique » -, sur sa politique si instable, si corrompue, humainement si pitoyable - un pays mal gouverné, cruellement exploité, « un État affamé et sans limites » -, sur son système patriarcal qui façonne « nos normes sociales, notre économie, notre vie familiale et nos politiques »
Une lecture qui émeut, qui révolte, qui met des mots sur le calvaire de ces femmes,  des femmes,  sur l'horreur subie... 
Qui éclaire sur les combats menés par elles, et par d'autres, pour elles. 
Qui met en exergue l'inégalité stupéfiante de l'accès aux soins à travers le monde. 
Qui revient aussi sur le drame qui s'est joué lors des tensions entre Hutu et Tutsis « Les passions plus destructrices de l'humanité se sont déchaînées; le deuil menait au meurtre, le meurtre à la aux tueries de masse, aux viols de masse, à la torture de masse. »
Enfin, une lecture qui donne espoir. 
Une oeuvre pour mettre en lumière l'oeuvre accomplie, pour donner à voir ce chemin bienveillant et aimant que des hommes et femmes, comme le Dr Mukwege ou Eve Ensler, Nadal Murad,  et bien d'autres encore tentent de bâtir pour qu'enfin les Femmes qui ont subi l'indicible se reconstruisent vivent à l'égal de leur homologue masculin. 
« Ce qui est vrai pour le Congo est vrai pour la cause des droits des femmes : si vous êtes en position de pouvoir et d'influence, vous pouvez aider. Si vous ne travaillez pas à une solution, vous faites partie du problème. »
Un bel hommage au courage des femmes face à la douleur et l'incertitude de leur quotidien, qui dépasse les frontières du Congo. Un témoignage universel. Le combat de toute une vie.
« Telle est l'histoire du Congo, l'un des pays les mieux dotés de la terre, terrassé par cent cinquante ans d'occupation étrangère, de dictature et d'exploitation sans merci. »
Un essai à lire. Vibrant de colère et empli d'humilité. 
MERCI. 
Quel travail, quel immense sacrifice, quel foi en l'humanité incarne le Dr Mukwege, prix Nobel de la Paix. Il est admiratif de la vitalité et de la force des femmes qu'il soignait. Je ne trouve pas les mots pour exprimer mon immense admiration devant tout le travail accompli...
« Mon rôle a toujours été de faire entendre la voix de celles dont la marginalisation les empêche de raconter leur histoire. Je me tiens à leurs côtés, jamais devant elles. »
À lire, oui. 
Pour que ces mots " Ils m'ont tuée " n'aient plus jamais besoin d'être dits.
Pour qu'on arrête de mesurer la valeur d'une femme à son "honneur".
Pour que le mot justice reprenne tout son sens, pour " Transformer la souffrance en pouvoir".
Pour questionner ces traditions qui font du tort à l'humanité.
Pour, enfin, briser les silences.
« Les abus sexuels prolifèrent dans le silence, mais égale ment quand les hommes sont libres d'agir en toute impunité. Aristote, le père de la philosophie occidentale, a écrit que « de même qu'un homme accompli est le meilleur des animaux, de même aussi quand il a rompu avec loi et justice est-il le pire de tous ». Après avoir vu tout ce que j'ai vu, je suis parfaitement d'accord. »

« On a laissé métastaser sans retenue les troubles qui secouent ce pays depuis vingt-cinq ans il s'agit là du conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale, il compte plus de cinq millions de personnes mortes ou disparues. J'insiste sur la tragédie que vit le Congo avec l'espoir d'encourager les politiciens occidentaux à s'y intéresser et à œuvrer pour la paix et la justice que mes com patriotes appellent désespérément de leurs vœux.
Ce sont les circonstances qui ont fait de moi un spécialiste des blessures par viol. Ce sont les histoires racontées par mes patientes qui m'ont poussé à rejoindre une lutte bien plus vaste contre les injustices et la cruauté subies par les femmes. Et c'est aujourd'hui la reconnaissance de mon engagement de base qui m'amène à écrire ces pages. »
« "Survivante" est devenu le terme consacré pour toute personne ayant subi des violences sexuelles. Il sous-entend une posture plus active, plus courageuse, plus dynamique. Pourtant, certaines écrivaines féministes le trouvent problématique car il place au même niveau un viol et un événement traumatique bouleversant comme une tentative d'assassinat ou un accident d'avion. Il peut également renforcer l'idée qu'une femme doit surmonter cette expérience, surmonter ses blessures - ce dont elle peut se sentir incapable. »
« Mes ancêtres ont assisté à de profonds bouleversements économiques, politiques et sociaux. Il a été établi par décret que toutes les ressources des sols appartenaient à la nouvelle administration coloniale. Les mines du pays devenaient de fait la propriété de l'État indépendant du Congo de Léopold II, puisqu'il était interdit à la population indigène d'en posséder.
L'industrie métallurgique locale a été rapidement mise à mal. De nombreux artisans se sont reconvertis dans le commerce de métaux précieux, en particulier l'or, que l'on trouve en abondance dans la région. Aujourd'hui encore, on voit autour de Kaziba des gens plongés jusqu'aux genoux dans les ruisseaux et rivières pour filtrer l'or avec des tamis.
Tout chef traditionnel qui résistait au régime colonial, que ce soit le gouvernement ou une concession privée, se voyait puni. Le nôtre a été envoyé en prison dans le village de Kalehe, à plus de cent cinquante kilomètres de là, où il est mort. D'autres ont été assassinés. Ces événements ont été très déstabilisants pour des sociétés construites sur le respect et la vénération des figures tribales connues sous le nom de mwamis. »

« Suite au fléchissement de l'industrie locale, les villageois ont dû acheter leurs machettes, leurs outils et leurs roues à l'importation, alors que quelques années auparavant seulement, tout était produit sur place.
Le système colonial a également été source de transforma tion des rapports entre les genres à Kaziba. Les Européens sont venus avec leur système monétaire, qui a peu à peu sup planté l'économie de troc où le produit de l'agriculture et le bétail étaient les principaux moyens d'échange. Or, c'étaient alors les femmes qui étaient responsables du stockage et de la gestion de la production annuelle pour la famille en rai son de puissantes traditions matriarcales. Avec l'introduction du franc congolais en 1887, le pouvoir économique a été transféré aux hommes. À partir de là, gérer l'argent est devenu un attribut masculin. Les hommes qui travaillaient comme porteurs, mineurs ou ouvriers agricoles se sont mis à gagner un salaire qu'ils ont réparti à leur guise. Les femmes ont perdu la main sur les ressources de la famille.
L'autre changement majeur s'est fait par le biais d'un groupe de protestants évangéliques norvégiens arrivé en 1921, qui a demandé à bâtir une mission. Leur décision de s'établir à Kaziba allait marquer profondément la vie du village, surtout mes parents-et, par ricochet, moi. »

« Même si la nouvelle religion a été embrassée avec enthousiasme par la communauté, y compris par mes parents, l'arrivée du christianisme a eu pour résultat une rupture avec le passé. Cette première forme de christianisme ne cherchait pas à s'enrichir des traditions locales, spirituelles ou sociales, ni à s'en inspirer; elle voulait les remplacer. Par bien des aspects, ça a été une catastrophe culturelle, tant de choses précieuses et anciennes ayant été jugées primitives et dégénérées. »
« Les femmes qui grandissent au Congo sont considérées dès la naissance comme des citoyens de seconde zone, ce qui est, à des degrés divers, le cas dans la plupart des sociétés. Dans les zones rurales c'est encore pire: non seulement elles mettent les enfants au monde et s'occupent d'eux, mais elles effectuent aussi la plus grande part des travaux agricoles pour les plantations de base comme le manioc pour la farine, ou alors elles extraient le charbon nécessaire à la cuisine.
Par tradition, le transport de charges lourdes relève également du domaine féminin. J'avais grandi en voyant des femmes très maigres chanceler sous le poids d'énormes sacs en toile remplis de grains ou de bois de chauffage portés sur le dos. La charge, souvent plus lourde et large qu'elles, est encordée et reliée au front de la porteuse. Elle avance penchée en avant pour supporter ce poids, ce qui développe les muscles du cou de façon phénoménale mais entraîne également une kyrielle de problèmes musculo squelettiques qui vont parfois jusqu'à causer des dommages à l'appareil reproductif.
La société ne s'émeut nullement de leur sort. Les divorcées et les veuves ont peu de chances de se remarier. Les femmes n'ont presque aucune indépendance économique et sont souvent victimes d'abus physiques par leur mari, des abus dont on voyait le résultat à l'hôpital de Lemera. Quelques-unes vivent également dans la crainte que leur mari ne prenne une autre épouse et ne les oblige à vivre en polygamie, dont j'ai pu mesurer les effets désastreux à force d'années à écouter les Congolaises.
À Lemera, j'ai constaté les conséquences du peu de cas qu'on fait des femmes lors de l'accouchement, ce moment où elles sont à la fois le plus vulnérables et le plus puissantes. Certaines familles arrivaient avec des femmes enceintes à peine conscientes couchées sur des brancards fabriqués à partir de branches et de bouts de ficelle. Par fois, les patientes étaient simplement déposées devant l'hôpital sur des couvertures maculées de sang coagulé. En général, leur trajet dans la souffrance avait duré des heures, parfois des jours. »

« Lorsqu'il a commencé à détailler son initiation, j'ai cessé de mettre sa sincérité en doute. Il était bien en train de revivre un souvenir traumatique, il s'est effondré en pleurs A travers ses larmes, il a confessé avoir dû mutiler sa propre mère. Son commandant lui avait ordonné de le faire comme preuve de son engagement. Je n'ai pas eu le choix, a-t-il dit en sanglotant. Ils disaient qu'ils me tue raient si je ne... Je n'étais encore qu'un enfant. Qu'est-ce que j'aurais dû faire ?
Après qu'il a décrit ce geste atroce, un silence de plomb s'est abattu pendant quelques minutes. Sa respiration était précipitée et difficile. Je sentais mon cœur battre, la tension dans mon dos et mes jambes. Mais elle n'est pas morte, a-t-il fini par murmurer. Elle a survécu, je le sais. Elle a succombé à une maladie il y a quelques années. Je ne l'ai jamais revue.
L'histoire de ce jeune homme est un aperçu de ce qui s'est passé au Congo ces vingt-cinq dernières années : l'utilisation généralisée d'enfants-soldats explique en partie la proliféra tion de comportements extrêmes et sadiques. Mais comment cela a-t-il commencé ? Pourquoi l'hôpital de Panzi a-t-il été soudain submergé de femmes gravement mutilées vers la fin des années 1990? La seule explication plausible, c'est que la violence du génocide au Rwanda, une violence qui rend les gens brutaux et insensibles, a franchi la frontière congolaise, que le conflit entre Tutsi et Hutu s'est déplacé dans mon pays avec les deux invasions de 1996 et 1998.
Depuis le début de notre travail à Panzi, nous collectons des données auprès de nos patientes sur l'identité de leurs agresseurs. Dans les premières années, plus de 9o % disaient les violeurs étaient armés et s'exprimaient en que kinyarwanda, la langue du Rwanda. »

« Le viol comme arme de guerre est différent. Il devient tactique militaire. Il est planifié. Les femmes sont délibérément prises pour cibles comme moyen de terroriser la population. Son adoption dans les conflits en Asie, en Afrique et en Europe au cours du XXe siècle peut s'expliquer par le fait qu'il est peu coûteux, facile à organiser et, malheureusement, terriblement efficace. »

« Les conflits qui ont fait rage au Rwanda et en Yougoslavie dans la dernière décennie du XXe siècle ont permis d'at tirer l'attention sur l'usage du viol à des fins de nettoyage ethnique, ce qui a mené à des évolutions importantes dans les lois internationales...»

« Le carburant qui alimente aujourd'hui encore les com bats explique pourquoi le viol continue d'être utilisé comme arme de guerre au Congo. Il gît sous nos pieds, Bien que les guerres aient leurs racines dans le conflit entre Hutu et Tutsi au Rwanda, on les comprend mieux de nos jours si on s'intéresse aussi à leurs causes économiques. Elles sont liées aux trésors qui se sont formés il y a des mil lions d'années dans le sous-sol congolais.
On pense que la formation de ces trésors remonte à la période précambrienne, avant que la vie n'apparaisse sur terre. Les géologues considèrent qu'un fluide surchauffé charriant divers alliages est remonté depuis le noyau jusqu'à la croûte terrestre de l'Afrique centrale. En conséquence, le Congo possède quelques-uns des plus importants gisements de cuivre, de coltan, de cobalt, de cassitérite, d'uranium, de stannite et de lithium, ainsi que des diamants et de l'or. Certains sont convoités pour leur beauté, d'autres sont vitaux pour notre économie contemporaine fondée sur la technologie. Depuis les premières invasions en 1996 et 1998, le Rwanda et l'Ouganda ont récolté et rapatrié des monceaux de ce qu'ils trouvaient en progressant à travers le Congo: bois, café, bétail et, bien sûr, or, diamants et minerais. »

« Que devais-je éprouver à son égard? Il était à la fois bourreau et victime de violences, c'était un enfant perdu à qui on avait lavé le cerveau pour en faire un tueur. Les véritables coupables, c'étaient les adultes qui l'avaient consciemment et volontairement manipulé. C'étaient eux, en fin de compte, les lâches responsables de ses actes. Comme tant d'autres Congolais, il avait été aspiré dans la spirale du conflit avant de s'en voir recraché. Nous sommes tous traumatisés d'une manière ou d'une autre, nous avons chacun une douloureuse expérience de perte, pas seule ment de proches, mais parfois aussi de vies déraillées ou d'ambitions brisées. »

« Chaque fois qu'un homme viole, quelle que soit la situation, quel que soit le pays, ses actes trahissent la même croyance : ses besoins et désirs sont de la plus haute importance, les femmes sont des êtres inférieurs dont on peut user et abuser. Les hommes violent parce qu'ils ne considèrent pas la vie des femmes comme aussi précieuse que la leur. »

« La façon dont les femmes sont traitées durant les guerres et les catastrophes naturelles doit être vue comme une manifestation au grand jour de la violence qui leur est infligée derrière le voile de l'intimité en tant de paix. Les violences sexuelles sont une épidémie mondiale que nous commençons tout juste à traiter. »

« Un combat doit être mené pour que le regard des hommes sur les femmes change. Ce combat doit être accompagné de mesures répressives, qu'il ait lieu dans un pays déchiré par la guerre comme le Congo, une zone de catastrophe naturelle, un campus universitaire ou une chambre. Je m'étendrai davantage dans les chapitres suivants sur mes idées pour mener ce combat à bien. »

« Non. C'était dur, très dur, a-t-il avoué. Je n'avais pas idée qu'on puisse traiter une enfant comme ça.
Quand il s'est senti assez fort, je l'ai raccompagné à sa jeep, où son chauffeur l'attendait. Il avait l'air penaud. Il m'a remercié pour ma présentation et pour notre travail en refermant la portière.
Je n'ai pas d'explication à sa réaction. En tant que militaire, il devait bien être au courant des atrocités commises dans la région. Avait-il simplement choisi de fermer les yeux et de croire en la propagande du gouvernement et de l'armée, à savoir que les comptes rendus étaient exagérés, voire montés de toutes pièces par des gens qui voulaient la mort de ce pays? Ce récit lui avait-il rappelé des souvenirs traumatiques, des événements qu'il avait refoulés? Avait-il pensé à ses propres enfants en entendant cette fillette? Peut-être avait-il été heurté de plein fouet par l'échec cuisant de l'institution militaire, incapable d'assurer la sécurité? Ou peut-être par quelque chose de plus vaste, un échec collectif de nous tous, en tant qu'adultes incapables de protéger nos enfants. »

« Je me sentais abandonné par les pouvoirs occidentaux - les États-Unis et le Royaume-Uni continuaient de soutenir le Rwanda - mais aussi par l'Union africaine, un regroupement régional d'États de ce continent. Son silence et sa faiblesse entachent cette organisation qui s'assimile à un club de syndiqués destiné à protéger les intérêts les uns des autres. Au lieu de travailler à mettre fin au massacre des Africains, ils se couvrent mutuellement. »

« La première étape pour affronter l'épidémie mondiale de viols est une législation claire qui inclue le concept de consentement et qui reconnaisse les femmes comme des êtres autonomes et indépendants. Des lois strictes contre les agressions sexuelles avec à la clé de lourdes peines de prison pour les violeurs sont des mesures dissuasives et, au moment des débats parlementaires, une occasion d'éduquer hommes et femmes à leurs droits et responsabilités. »

« Je ne prétends pas que tous les soldats sont des violeurs ni que nous ne devrions pas les remercier pour les sacrifices et les actes de bravoure à leur actif pendant les conflits armés. Ce serait une position absurde et erronée. Mais à faut se rappeler qu'il y a des soldats valeureux et d'autres prédateurs. Les femmes agressées méritent elles aussi qu'on se souvienne et qu'on s'occupe d'elles, qu'on les dédommage comme les vétérans blessés ou les prisonniers de guerre. Leurs blessures ne sont peut-être pas visibles, mais elles peuvent ne jamais se refermer tout le temps d'une vie. »

« Pour éviter les viols, il faut commencer par se demander pourquoi il y a dans le monde tant d'hommes au com portement répréhensible, d'hommes si mal éduqués. Mais aussi pourquoi des hommes bons et respectables se sont tus pendant si longtemps. »

« Aucun de nous n'échappe à la tradition, ce qui n'est par ailleurs nullement souhaitable. Les coutumes et autres cérémonies nourrissent notre identité et notre sens de nous même. Mais il est important de les questionner. Et de ne pas se voiler la face vis-à-vis de leur impact. Dès l'instant où nous appuyons l'idée que les garçons sont plus forts, plus méritants, plus valeureux, nous perpétuons une injustice et, au final, la violence envers les femmes. »

« Non seulement les parents et la société renforcent sans cesse l'idée que la vie d'un garçon a plus de valeur, mais ils appuient aussi de façon explicite l'idée que les garçons sont des mâles et que le masculin, c'est la force et la dureté Ainsi, nous les encourageons à ne pas pleurer. Nous leur inculquons que la faiblesse et la sensibilité sont des caractéristiques - féminines». Nous les encourageons à dissimuler leurs craintes et à n'avoir peur de rien. »

« Ma relation à Dieu est très personnelle. Je me considère comme croyant mais pas nécessairement comme religieux. Les religions sont des constructions idéologiques, l'interprétation de textes fondateurs rédigés par des figures du passé. Ces interprétations sont le fruit du travail de certains hommes qui ont en général usé de leur position de supériorité pour asseoir leurs privilèges.
Nous pouvons accepter ces interprétations comme lois immuables aussi dures que les pierres des temples de Lalish, du Mur des lamentations, de La Mecque, de nos cathédrales et autres églises. Ou accepter que le dogme peut lui aussi évoluer, de la même manière que nos édifices religieux ont été reconstruits, modifiés, étendus, façonnés par le climat et altérés par l'humain.
Dans mes prêches, je rappelle toujours que le meilleur endroit pour trouver Dieu, c'est en nous, dans nos pensées secrètes et notre conscience. Tout ce qui entoure ce sanctuaire intime est l'oeuvre de l'humain, avec ses imperfections et ses vices. Pour moi, Dieu est au début et à la fin de tout, c'est une force universelle capable d'expliquer l'inexplicable, dont la perfection de la nature, la musique, l'art et ce qui nous pousse à aimer les autres et à prendre soin d'eux. Malgré l'aptitude humaine à l'égoïsme et au mal que j'ai eu l'occasion de constater, je crois toujours que nous sommes, sans aucune exception ou presque, vertueux, car créés à l'image de Dieu. Il suffit pour s'en rendre compte d'observer les très jeunes enfants, leur innocence, leurs jeux, leur pureté. Leur bonté, leur sainteté, voilà quelle est la véritable nature humaine avant qu'elle ne soit transformée par la société, les règles et les codes, et, soyons honnêtes, certaines pratiques religieuses pernicieuses. Ce n'est qu'en nous-même que nous pouvons méditer et renouveler notre lien avec ces qualités originelles, toujours en dialogue avec Dieu. »

« « En quoi le viol concerne-t-il le Conseil de sécurité ? » a objecté l'ambassadeur russe, car il ne voyait pas le lien entre le viol et le maintien de la paix ou la prévention des conflits. Je suis ravi de dire que je ne rencontre plus à pré sent ce genre de remarque. Le viol est désormais accepté comme une conséquence, et souvent une tactique délibérée, de toutes les guerres.
La résolution 1820 des Nations unies, votée à l'unanimité malgré le scepticisme des Russes, a ouvert une voie d'espoir quant à des actions plus fermes à l'encontre des coupables de crimes sexuels dans des pays tels que le Congo. Cette résolution reconnaît la jurisprudence établie par les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l'ex Yougoslavie que j'ai évoqués au chapitre sept. Le viol peut maintenant être reconnu comme une arme et un crime de guerre - voire un crime contre l'humanité - voire un acte génocidaire. Ce qui met les Etats dans l'obligation de mener l'enquête et de poursuivre les coupables, et en appelle également au déploiement de davantage de femmes lors des missions de paix internationales.
Le problème, comme avec tant de résolutions de l'ONU, c'est que les bonnes intentions ne se transforment pas en actions concrètes. Il n'y a aucune preuve que les violences sexuelles dans les zones de conflit aient diminué malgré plusieurs mois d'intenses négociations diplomatiques qui ont conduit au vote de la résolution 1820. Les forces armées ou les milices qui commettent des viols au Congo, au Sou dan, en Birmanie ou en Syrie agissent toujours avec la même impunité.
Un an après, le Conseil de sécurité de l'ONU a fait passer une importante résolution complémentaire, la résolution 1888, qui instaure la création du Bureau de la représentante spéciale du secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles en période de conflit, un développement bienvenu qui a permis d'attirer l'attention sur ce problème.
Au cours de la décennie suivante, le Conseil de sécurité de l'ONU a voté d'autres résolutions, sept au total, sur la question de la sécurité des femmes, dont la résolution 1960 pour mettre en œuvre un mécanisme de surveillance et d'établissement de rapports sur les violences sexuelles dans les conflits, ainsi que la résolution 2106, qui met de nouveau l'accent sur l'idée de responsabilité.
Ce travail de sensibilisation a été vital, mais la Russie et la Chine font preuve de scepticisme quant à la place que prend la sécurité des femmes dans l'agenda de l'ONU, tan dis que l'alliance occidentale, qui était moteur de progrès, a été mise sous rude pression par l'administration Trump.
En 2019, lorsque le gouvernement allemand a proposé une nouvelle résolution, la résolution 2467, sur le viol dans les zones de conflit, l'administration Trump a menacé de mettre son veto si cette résolution incluait la moindre référence au fait que les victimes de viol devaient bénéficier de soins par rapport à la sexualité et la reproduction. Leur crainte était que cette résolution ne ménage un droit à l'avortement.
Ce rétropédalage par rapport à des résolutions précédentes a mis l'accent sur l'importance de l'accès aux services médicaux comme leste sis VIII ou à la pilule du lendemain sur demande de la survivante. Il signifie qu'il ne faut jamais rien considérer comme acquis. Le dynamisme de la décennie précédente a paru sur le point de s'éteindre
Au final, il y a eu compromis autour d'une version expurgée de toute référence aux services médicaux qui s'occuperaient de la sexualité et de la reproduction, ainsi qu'à la vulnérabilité des populations LGBT dans les conflits. J'ai tire satisfaction de l'idée que cette résolution était la première à insister sur l'importance d'une approche centrée sur la survivante d'agressions sexuelles et qu'elle reconnaisse la nécessité de venir en aide aux enfants nés de viols. Les Etats-Unis ont voté cette résolution, la Chine et la Russie se sont abstenues.
Fin 2020, la Russie a de nouveau tenté de réduire à néant les progrès de ces vingt dernières années en présentant une résolution qui aurait édulcoré certains engagements précédents. Même si elle était soutenue par la Chine, la résolu tion a été rejetée par les autres membres.
Il y a également eu dans certains pays des efforts pour combattre les violences sexuelles. L'ancien président amé ricain Barack Obama, le gouvernement britannique du Premier ministre David Cameron, le Premier ministre canadien Justin Trudeau et Emmanuel Macron, dernier président français élu, y ont tous participé. La Suède est devenue le premier pays au monde à mener une politique étrangère féministe en 2014 sous le règne d'un Premier ministre homme, Stefan Löfven, qui repose sur trois principes: les droits, la représentation et les ressources. »

Quatrième de couverture

Surnommé « l’homme qui répare les femmes », le gynécologue et chirurgien Denis Mukwege a consacré sa vie aux femmes victimes de sévices sexuels en République démocratique du Congo. Dans une région où le viol collectif est considéré comme une arme de guerre, le docteur Denis Mukwege est chaque jour confronté aux monstruosités des violences sexuelles, contre lesquelles il se bat sans relâche, parfois au péril de sa vie.
Dès 1999, il fonde l’hôpital de Panzi dans lequel il promeut une approche « holistique » de la prise en charge : médicale, psychologique, socio-économique et légale.
Écrit à la première personne, La force des femmes retrace le combat de toute une vie en dépassant le genre autobiographique. L’héroïne du roman, c’est la femme composée de toutes ces femmes. L’auteur rend un véritable hommage à leur courage, leur lutte. Pour lui, il s’agit d’une lutte mondiale : « C’est vous, les femmes, qui portez l’humanité. »
Ainsi, à travers le récit d’une vie consacrée à la médecine et dans un vrai cri de mobilisation, Denis Mukwege nous met face au fléau qui ravage son pays et nous invite à repenser le monde. La force des femmes clame haut et fort que guérison et espoir sont possibles pour toutes les survivantes. 

Éditions Gallimard,  septembre 2021
398 pages
Traduit de l'anglais (République démocratique du Congo) par Marie Chuvin et Laetitia Devaux 

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