mercredi 30 novembre 2022

L'inventeur ★★★★★ de Miguel Bonnefoy

Augustin Mouchot, oublié des manuels scolaires, m'était totalement inconnu, avant de me plonger dans ce livre de Miguel Bonnefoy.
J'ai découvert un homme courageux, persévérant, loin des standards, attachant. A. Mouchot inventa le premier moteur solaire, l'héliopompe, au milieu du XIXème siècle. L'auteur nous conte les aventures et mésaventures de ce personnage, ses rencontres, ses tourments, les hasards qui ont jalonné sa vie. Un être solitaire, à la santé fragile, qui atteint pourtant l'âge de quatre-vingt-sept ans. 
De Tour à Paris, en passant par l'Algérie et le mont Chelia, je me suis laissée emporter par ce récit rythmé et surprenant.
Superbe moment de lecture, comme toujours avec Miguel Bonnefoy ;-) tant il est un conteur incomparable !

« Archimède, après l'achèvement d'un calcul sur la force d'un levier, disait qu'il pourrait soulever le monde. Moi, je prétends que la concentration de la chaleur rayonnante du soleil produirait une force capable d'arrêter la terre dans sa marche. »
Augustin MOUCHOT

« Dans ses veines coulait un sang tiède mais tenace. Son legs n'était pas celui d'une lignée de géants travailleurs de la terre, qui bâtissent et meurent jeunes, ou de génies de l'art, qui sont comme des comètes fugitives. Ses racines frêles se plantaient dans une dynastie de têtus, d'incassables, courbés pendant des siècles sur des poignées de fenêtres et des plis de clapets, dont chaque génération vit cent ans, résiste à tout, s'use sans rompre, reste impérissable sans être prodigieuse. »

« [...] comme tous les savants d'une seule idée, Mouchot ne dévia pas sa trajectoire. Il s'obstina à creuser le même trou, profondément, jusqu'à trouver un trésor. Il ne faisait pas partie de ces inventeurs capables d'imaginer cent projets à la minute, de se laisser entraîner par des pensées inspirantes à chaque découverte, de voir se presser dans son esprit pêle-mêle des innovations fabuleuses. Mouchot était de ceux qui choisissent une direction à l'aube de leurs travaux et s'y tiennent jusqu'à la fin. Il comprenait maintenant pourquoi il s'était entêté à survivre, à résister à tout, pourquoi il s'était agrippé à la vie avec autant de ténacité et de persévérance : il était un homme de l'ombre tourné vers le soleil au milieu d'un siècle lumineux tourné vers le charbon. »

« Au milieu de l'été, il emménagea dans une mai- son, rue Bernard-Palissy, à quelques mètres de la gare, derrière le jardin du musée des Beaux-Arts où était planté le plus grand cèdre de France. C'était une construction à la mode tourangelle avec une cour intérieure qui lui donna plus d'espace pour ses travaux. En bras de chemise, les mains couvertes de blessures, il faisait des va-et-vient torrides et furieux, portant sur son dos de grosses chaudières peintes en noir. Il se lança dans une série d'expérimentations sur plusieurs miroirs différents, avec un désordre de platine, de lattes d'or et d'acier qu'il avait fait construire sur mesure par un miroitier tchèque. Habité par des forces inconnues, il recommençait les mêmes opérations, en marmonnant dans sa moustache un rosaire de calculs incompréhensibles, combattant farouche- ment pour ériger du néant cette machine lourde comme une statue grecque que la France, quelques années plus tard, lors de l'Exposition universelle, devait bientôt admirer. »

« Selon lui, c'était uniquement la science qui devait pousser au combat, à la lutte pour la justesse, pour les villes de demain, pour la connaissance, c'était uniquement la science qui avait le droit à la guerre. Le reste n'était qu'événements fortuits, accidents de l'humanité, embûches. Mouchot ferma les yeux devant cette bataille contemporaine, si bien que ce 19 septembre, alors qu'une terreur étouffée envahissait la ville, comme le calme qui précède une catastrophe, il descendit depuis Grenelle, prit la rue de Vaugirard en direction de la Sorbonne, pour vérifier si les librairies avaient mis son livre en vitrine. »

« L'énergie naturelle de son âge dilatait, par contraste, la sérénité de sa maturité. »

« Émile Zola était dans le public. Il fut si impressionné que vingt ans plus tard, quand il publia Travail, il pensa à cette innovation et lui rendit hommage en évoquant « ces savants qui sont parvenus à imaginer de petits appareils qui captaient la chaleur solaire et la transformaient en électricité ». Bien que le soleil ne fût pas très ardent ce jour-là, et que la radiation fût gênée par quelques nuages, la presse fonctionna toute la journée. Gaston Tissandier, chimiste et physicien, éditeur de la revue "La Nature", annonça comme une prophétie : « Quand l'heure funeste aura sonné, quelque génie, sortant des rangs, saura féconder le champ des grandes découvertes. » »

Quatrième de couverture

Voici l'extraordinaire destin d'Augustin Mouchot, fils de serrurier, professeur de mathématiques, qui, au milieu du XIX siècle, découvre l'énergie solaire. La machine qu'il construit, surnommée Octave, finit par séduire Napoléon III. Présentée plus tard à l'Exposition universelle de Paris en 1878, elle parviendra pour la première fois, entre autres prodiges, à fabriquer un bloc de glace par la seule force du soleil.
Mais l'avènement de l'ère du charbon ruine le projet de Mouchot que l'on juge trop coûteux. Dans un ultime élan, il tentera de faire revivre le feu de son invention en faisant « fleurir le désert » sous le soleil d'Algérie.

Avec la verve savoureuse qu'on lui connaît, Miguel Bonnefoy livre dans ce roman l'éblouissant portrait d'un génie oublié.

Miguel Bonnefoy est l'auteur de plusieurs romans très remarqués, dont Le voyage d'Octavio (prix de la Vocation), Sucre noir et Héritage (prix des Libraires 2021). Son œuvre est traduite dans une vingtaine de langues.

Éditions Payot-rivages,  août 2022
199 pages

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