Première lecture de cette autrice avec ce roman historique polyphonique au souffle indéniablement romanesque, qui se passe après la guerre de Sécession, en Virginie occidentale. Plus que le récit des combats, l'autrice relate avec talent la violence de l’époque et la difficile reconstruction intérieure des survivants après la guerre, profondément meurtris dans leur chair mais surtout dans leur âme.
Un livre exigeant qui mérite d'être lu à mon avis, pas uniquement parce qu'il a obtenu le Prix Pulitzer 2024 mais parce qu'il est profondément humain, intense, que la toile historique est riche et extrêmement bien documentée, parce qu'il est bouleversant...
« Certaines personnes avaient davantage de biens, elles possédaient ceci ou cela, des demeures, des magasins, des compagnies de chemin de fer, d'immenses domaines. D'autres... mouraient, devaient fuir, ou oubliaient jusqu'à leurs noms. L'endurance était la seule vraie force. Le courage des disparus telle une houle, une lame de fond, comme une force qui délimitait les jours, qui ouvrait le chemin. »
« Je suis montée dans la carriole et Papa m’a fait asseoir à côté de Maman, tous les trois sur la banquette de bois.
– Tiens-lui les mains, il m’a dit, comme elle aime. Reste bien près d’elle et empêche-la de bouger.Je l’ai vu se baisser pour attacher la cheville de Maman à la sienne avec une corde ? J’avais chaud parce qu’il m’a forcée à porter un bonnet pour protéger ma peau et éviter les rides au coin des yeux ? Au cas où un jour, finalement, je deviendrais quelqu’un. »
« - Comment tu as eu ça ?
- La guerre, peut-être. Avant qu'on me défonce le crâne. Mais mon médecin pense que non. Il m'a dit que c'étaient des cicatrices, pas des blessures. Une violence plus ancienne qu'il a mieux valu oublier. Le vieux Dr O'Shea m'a adopté comme un fils, enfin presque, en me donnant son nom. Il fallait un nom pour l'hôpital et je ne me rappelais pas le mien. Ils ont étudié mon cas parce que j'étais un survivant. Ils m'ont fait faire ce cache-œil, et puis ils m'ont donné du travail à l'hôpital. J'ai transporté les blessés, du quai à l'hôpital en passant par l'ambulance, dès que j'ai repris des forces. Mon médecin m'a suivi pendant près de trois ans. Il m'a écrit une lettre de recommandation à la fin de la guerre et je suis revenu à la vie civile après avoir recouvré la santé, et j'ai débarqué ici. C'est un secret que je te confie, Chiendent. »
« - J'aurais voulu qu'une force vivante nous ait tous protégés, des hommes nous ont pourchassés, emprisonnés - ils nous ont asservis, ligotés, ils ont ravagé le pays. Et les justes ont souffert de la cruauté des autres. Les cicatrices laissées par la guerre ne s'effacent pas. Des générations...
- Tu parles de ce genre de choses avec le Dr Story ?
- Oui, et je sais qu'il est d'accord. Ce refuge est une bénédiction pour nous. Non seulement des murs qui nous protègent, mais un parc aux allées bordées de haies, des chemins où nous pouvons marcher, nous soigner et admirer la nature. Tu sais, il y a des poteaux et une clôture à l'intérieur de la haie mais la végétation les a recouverts, aussi haute et épaisse qu'un rempart vivant, si tu veux. Tout cela existait déjà sur le domaine, pour séparer les fermes, bien avant la guerre. »
« Pour toute clef, il n'a que le sourd battement de son cœur qui cogne, et elle n'ouvre aucun verrou. »
« Certaines personnes avaient davantage de biens, elles possédaient ceci ou cela, des demeures, des magasins, des compagnies de chemin de fer, d'immenses domaines. D'autres... mouraient, devaient fuir, ou oubliaient jusqu'à leurs noms. L'endurance était la seule vraie force. Le courage des disparus telle une houle, une lame de fond, comme une force qui délimitait les jours, qui ouvrait le chemin. »
Quatrième de couverture
1874, après la guerre de Sécession. Sur les routes de Virginie-Occidentale se croisent civils et soldats, renégats et vagabonds, affranchis et fugitifs. ConaLee, 12 ans, l'adulte de sa famille d'aussi loin qu'elle s'en souvienne, entreprend un voyage avec sa mère, qui n'a pas prononcé un mot depuis des mois, et l'homme qu'on lui a dit d'appeler « Papa ». Се vétéran sudiste, qui s'est imposé dans leur monde, les dépose à l'entrée de l'asile d'aliénés de Trans-Allegheny. Là, loin de leurs proches, se faisant passer pour une dame et sa bonne, mère et fille empruntent le long chemin de la guérison.
Une fois de plus, Jayne Anne Phillips tisse un récit envoûtant où la mémoire collective, les secrets familiaux et les fracas de l'Histoire se conjuguent. Dans une prose d'une beauté âpre, elle s'attache à dépeindre avec empathie les victimes, les blessés dans leur chair et leur âme. Et fait revivre une galerie de personnages mémorables: Dearbhla, la guérisseuse irlandaise, O'Shea, le veilleur de nuit amnésique ou encore Mrs Hexum, la cuisinière au grand cœur. Autant de sentinelles qui tentent à leur échelle de préserver un monde qui se délite et de réparer les vivants.
Née en 1952 en Virginie-Occidentale, JAYNE ANNE PHILLIPS est considérée comme l'une des figures majeures de la littérature américaine contemporaine. Son œuvre, ancrée dans le Sud-Est des États-Unis, est aujourd'hui traduite dans le monde entier. Elle est notamment l'autrice de Traits d'union et Lark et Termite (Bourgois, 2001 et 2009) et, plus récemment, de Tous les vivants (L'Olivier, 2016). Les Sentinelles, son dernier roman, a reçu le prestigieux prix Pulitzer en 2024.
Éditions Phébus, août 2025
382 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Marc Amfreville
Prix Pulitzer 2024

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