Deux femmes de la nuit, inspirées des ascendantes de l'autrice, se battent pour leur liberté.
Yanick Lahens donne voix aux femmes liées à la traite négrière et dont l'Histoire n'a quasiment gardé aucune trace, elle invente pour réparer cet oubli et nous plonge dans l'intimité des ce deux femmes courageuses qui ont lutté pour exister dans une histoire écrite par les hommes. En puisant dans sa propre histoire familiale, elle donne une sincérité forte au roman.
« Mes pensées étaient de grandes vagabondes aux yeux songeurs, aux jambes démesurément longues.Je ne voulais renoncer à rien. Je voulais tout, la force de grand-mère, l'amour de mère, la mélancolie de Sarah-Jane. Mère, grand-mère et Sarah-Jane, j'ai emporté dans mon voyage vos vies enfouies dans ma chair, mon sang, mes muscles, bagages intimes et jusqu'à vos blessures muettes telles des ondes invisibles. Et toi, père, le magicien des jours heureux ! Je suis née une troisième fois dans une autre terre, amassant les morceaux brisés de vos vies, arrachant la mienne des halliers qui lui ont fait des blessures-soleils. Je vous aime. Je ne regrette rien. »
Le récit est dense, intelligemment construit. Même si j'ai parfois manqué de références historiques sur l'esclavage, sur les rapports de pouvoir entre Haïti et La Nouvelle-Orléans et été déroutée par moment par la temporalité diffuse, - j'ai accepté de ne pas tout comprendre ;-) - cela ne pas m'a empêchée d'être embarquée dans ce récit profond, intime et universel, qui nous parle de mémoire et de transmissions, un roman proche du roman d'atmosphère ; la nuit un personnage à part entière, la mer et le vent porteurs de mémoires et de voix.
« Les maîtres se trompaient sur notre silence. Ils nous pensaient brisés, alors que nous parlions tout bas à la haine et à la colère qui piaffaient tout à l'intérieur, nous leur répétions sans bouger les lèvres "Otan, otan, le moment n'est pas encore venu. Patience, patience" . »
En mettant au centre du récit, les petites vies, les gestes du quotidien, les veillées, les trajectoires silencieuses, et non pas le pouvoir des hommes, l'autrice propose une autre manière d'écrire l'histoire, profondément humaine, humble et puissante à la fois.
« Mais franchir le seuil de la maison principale, celle des maîtres, c'est ouvrir un immense sac dans sa tête. Dans ce sac, tu as déjà tout ce que tu as appris de ta mère, qui elle-même l'a appris de sa mère, et ce que ta condition d'esclave t'a enseigné. Tu le caches bien au fond du sac pour le recouvrir du savoir du maître. Tu feins d'aimer dans ce savoir jusqu'à ce qui t'humilie, te nie, t'efface. Parce que le maître est persuadé que tu ne sais rien, que tu n'es rien. Alors tu le laisses à sa foi trompeuse. Cette foi fait ton affaire. Son ignorance est ta force. Parce que tu connais son monde et le tien. Tu as cette longueur d'avance-là. Et puis le savoir au fond du sac t'apprend à endurer, à te taire et à obéir aux ordres, à offrir ton dos au fouet et accumuler tout ce que les yeux peuvent voir, les oreilles entendre et la chair subir. Parce que ta vie peut dépendre d'une mimique, d'un rictus, d'un geste involontaire, d'une parole de trop. À ces moments-là, tu envoies ton âme encore plus loin au fond du sac pour qu'elle ne te trahisse pas. Seul ton masque doit te servir. Alors, tu te conditionnes à être impassible. Tu es un mur blanc sur lequel rien n'est écrit, donc le maître ne peut y lire que ce qu'il croit savoir. »
« Pour mon aïeule, Régina Jean-Baptiste.
Silencieuse. Totem puissant, partie trop tôt.
Sans m'avoir dit...
J'ai traversé ton absence, à pas lents, des années durant.
Pour ma bisaïeule, Élizabeth Jacob,
arrivée de La Nouvelle-Orléans,
nimbée de ses secrets et de ses mystères.
Je vous ai inventées sur les sentiers du songe, imaginant aussi toutes ces femmes qui vous ont précédées, celle qui vous ont entourées :
visages clair-obscur qui contemplaient les arbres, les eaux, les chrétiens-vivants, les bêtes et les Esprits. »
« L'organisation des négresses et des mulâtresses, propre an climat de Saint-Domingue, y jouit de toute la perfection que la nature accorde à leur espèce, tandis que celle des blanches s'y altère en très peu de temps. On ne sera plus étonné d'apprendre que le goût des Européens [...] dicte leur préférence pour les femmes de couleur. Impudiques, sans honte, elles ont acquis sans peine une supériorité décidée dans le libertinage; et les blanches, souvent délaissées, se vengent ailleurs de leurs rivales. »
JUSTIN GIROD-CHANTRANS
Voyage d'un Suisse dans différentes colonies d'Amérique
«... ma grand-mère, pour éviter de se faire mutiler outre-mesure par le planteur et sa suite, doit se créoliser. Son arme usuelle demeure sa complaisance feinte et son silence ambigu, sa conduite prête sans cesse à des interprétations contradictoires. »
JEAN CASIMIR
Latinité en question
« Mes pensées étaient de grandes vagabondes aux yeux songeurs, aux jambes démesurément longues.
Je ne voulais renoncer à rien. Je voulais tout, la force de grand-mère, l'amour de mère, la mélancolie de Sarah-Jane. Mère, grand-mère et Sarah-Jane, j'ai emporté dans mon voyage vos vies enfouies dans ma chair, mon sang, mes muscles, bagages intimes et jusqu'à vos blessures muettes telles des ondes invisibles. Et toi, père, le magicien des jours heureux ! Je suis née une troisième fois dans une autre terre, amassant les morceaux brisés de vos vies, arrachant la mienne des halliers qui lui ont fait des blessures-soleils. Je vous aime. Je ne regrette rien. »
« Père avait certes adouci la condition de vie des esclaves sur la plantation. Cela, je le savais, mais un tel geste ne changeait rien à son statut. J'ai mis des années à comprendre que, en dépit de tout, père était un propriétaire d'esclaves et que nous étions des migrantes clandestines, dans un même train où chacun gardait pourtant sa place. J'étais encore dans une ignorance, une cécité sur le malheur renouvelé du monde. Sur la capacité de ce malheur à tisser des liens inextricables entre le cœur et la raison. À nicher la nuit dans ce creux tout à l'intérieur. Toujours faire barrage à la nuit, une torche tenue à bout de bras, serait-ce là la seule mission ? La seule ? »
« Sa nuit avait été pourrie. Elle voulait entendre la jeune esclave hurler et supplier son pardon.
Pour toute réponse, celle-ci entama un chant venu de loin. De très loin. Ce chant était d'une insoutenable beauté. Une plainte qui montait, montait à mesure de la souffrance dominée. Un air fredonné tout bas comme un chant initiatique qui apprend aux enfants perdus en forêt comment appeler leur mère dans une langue secrète. La maîtresse reçut ce chant comme un affront. Grand-mère nous a souvent raconté cette histoire. Elle avait tout juste treize ans quand elle avait assisté à cette scène et elle a su depuis à quoi s'en tenir face à l'appétence des maîtres pour la chair noire et son envers, la cruauté. Et j'ai compris ce soir-là à quoi servaient les souvenirs d'une grand-mère dans la Caraïbe américaine. À nous faire tenir debout dans une épaisseur invisible, une durée longue, à tirer les fils qui nous relient à des blessures anciennes cent fois subies et cent fois traversées. »
« Grand-mère avait tout gardé du créole de Saint-Domingue. Les mots en français et en anglais de La Nouvelle-Orléans avaient à peine entamé le fond sonore et les références saint-domingoises. Avec Antonine, elles entretenaient nos sonorités originelles comme des eaux utérines. Mère avait hérité de cette langue de son enfance. Des années de scolarisation en français la recouvraient d'un manteau social dont elle se défaisait en franchissant les portes de la maison. J'ai hérité du fond sonore comme du manteau et, Sarah-Jane et moi, nous nous sommes fait notre propre langue avec les mots anglais amenés par les Américains du Nord, de plus en plus nombreux à venir chercher fortune dans cette terre du Sud. Ici, entre ces murs, toutes les frontières tombaient. Entre ces murs, les langues, fleuves remuants, se rencontraient. Nous parlions à leur croisement une langue à nous « pitit mwen, ma chérie, dear ». »
« Aucun captif ne pense tous les jours, du réveil au coucher, à se donner la mort, l'esclave, oui. »
« Autour de presque toutes les cases poussent quelques ignames, des patates douces et des malangas. J'ai encore en souvenir les disputes et drames autour de ces maigres récoltes, comme les silences complices qui nous tenaient liés aux autres quand le commandeur venait nous interroger sur la disparition de l'un d'entre nous, parti se réfugier dans les montagnes. Parce que tu reproduis tout ce qui fait que nous sommes des hommes et des femmes, l'amitié, la jalousie, la colère, l'amour, l'injustice, le découragement et le courage. Et tu oses la joie. » »
« Mais franchir le seuil de la maison principale, celle des maîtres, c'est ouvrir un immense sac dans sa tête. Dans ce sac, tu as déjà tout ce que tu as appris de ta mère, qui elle-même l'a appris de sa mère, et ce que ta condition d'esclave t'a enseigné. Tu le caches bien au fond du sac pour le recouvrir du savoir du maître. Tu feins d'aimer dans ce savoir jusqu'à ce qui t'humilie, te nie, t'efface. Parce que le maître est persuadé que tu ne sais rien, que tu n'es rien. Alors tu le laisses à sa foi trompeuse. Cette foi fait ton affaire. Son ignorance est ta force. Parce que tu connais son monde et le tien. Tu as cette longueur d'avance-là. Et puis le savoir au fond du sac t'apprend à endurer, à te taire et à obéir aux ordres, à offrir ton dos au fouet et accumuler tout ce que les yeux peuvent voir, les oreilles entendre et la chair subir. Parce que ta vie peut dépendre d'une mimique, d'un rictus, d'un geste involontaire, d'une parole de trop. À ces moments-là, tu envoies ton âme encore plus loin au fond du sac pour qu'elle ne te trahisse pas. Seul ton masque doit te servir. Alors, tu te conditionnes à être impassible. Tu es un mur blanc sur lequel rien n'est écrit, donc le maître ne peut y lire que ce qu'il croit savoir. »
« Les maîtres se trompaient sur notre silence. Ils nous pensaient brisés, alors que nous parlions tout bas à la haine et à la colère qui piaffaient tout à l'intérieur, nous leur répétions sans bouger les lèvres "Otan, otan, le moment n'est pas encore venu. Patience, patience" . »
« Dans mon silence je traverse la haine de moi-même dans l'odeur d'un homme, sur la peau d'un homme que je n'aimerai jamais, dans sa bouche sur mes seins, sur mon sexe, dans la jouissance honteuse d'un corps qui m'abandonne, et me laisse seule dans cette haine de moi-même. Ce sont les moments les plus humiliants, les plus terribles. La haine de soi y est comme un marécage, une vase nauséeuse, un sable mouvant. Tu dois décupler d'effort pour ne pas t'y laisser engloutir. »
« Ces jours-là, grand-mère, plusieurs fois dans la journée, fredonnait Lizèt kite laplenn, laissant remonter cette mélancolie qui fait qu'on emprunte dans un affolement silencieux tous les chemins perdus, l'enfance, l'amour maternel, les amours passées, la rudesse de toute naissance.
Lizèt kite la plenn
Mwen pèdi bonè a mwen
Je a mwen sanble fontèn
Lisette a quitté la plaine
J'ai perdu mon bonheur
Mes yeux ressemblent à une fontaine
Mère m'a raconté que, de retour de l'un de ses voyages, le même pensionnaire s'approcha de grand-mère, lui tenant les mains avec tendresse et respect comme un fils à sa mère : « Patience, lui avait-il dit. Patience. »
Il s'assit en face d'elle et tira de son sac une coupure de presse et lui lut, tout en lui expliquant chaque phrase, la décision du président Boyer d'inviter des Noirs américains à venir s'établir en Haïti.
Port-au-Prince, le 7 août 1824
Des sentiments d'humanité, liés à la prospérité future de la République, m'ont porté, mon cher général, à envoyer aux États-Unis d'Amérique, à la fin du mois de mai dernier, une mission afin de diriger, autant que possible, l'émigration en Haïti d'une portion de la population libre noire et jaune desdits États que la politique des Blancs américains est décidée d'en faire sortir. C'est le citoyen Granville, substitut du commissaire du gouvernement près le tribunal de cassation, qui est chargé de cette mission.
D'après les dépêches que j'ai reçues de lui, j'ai lieu d'espérer qu'il réussira dans l'entreprise qui lui est confiée, et que bientôt nous verrons arriver de nos frères d'Amérique qui viendront habiter notre territoire en se mettant sous la protection de nos lois, et en s'adonnant à la culture des terres. »
« [la question] implique une problématique de la couleur qui rejaillit sur toute la société haïtienne, infiltrant, à des degrés divers et selon des modalités diverses, l'ensemble des pratiques et des discours. »
MICHELINE LABELLE
Idéologie de couleur et classes sociales en Haïti.
« Lors nos ventres se tendent à l'arc des attentes et nous levons de ce naufrage, un continent d'ivresses et d'espérance... Là, le silence est clair. Immense. Et pilonne la parole de souffrance et sa fréquentation... »
YANICK JEAN
La Fidélité non plus
« C'est alors que tu as surgi dans ma vie, toi, Léonard Corvaseau, pour ce voyage à mes côtés, moi, la passagère de nuit. De cette obscurité, tu n'as saisi que des lueurs furtives de ce qui pourtant fut pour moi un voyage éblouissant. »
« Nous, femmes des quatre chemins, nous sommes patientes. Je le suis. Au-delà de tout espoir. C'est notre façon de déjouer les pièges du temps. L'espoir n'est pas la seule réponse au malheur, mon Léonard. Il nous a souvent tellement décus. J'ai avancé avec ma constellation d'astres et de divinités sous mon mouchoir-ciel. Ce fut ma seule vaillance, mon unique foi. »
« À toutes ces peines, j'opposais une souffrance à bas bruit. Non, l'espoir n'était pas une réponse. Je n'espérais rien. Je m'accroupissais dans mon refuge-ciel, mon unique pays, les jambes pliées, les bras entourant mes genoux, et je reprenais des forces. Une fois que les ombres avaient avalé le soleil, je me demandais comment entrer de plain-pied dans la nuit sans trébucher. Souvent le sommeil s'abattait pour effacer mon corps de dix ans que le travail avait déjà malmené. Et puis l'absence d'espoir se transforma en une force inimaginable par les Mérisier, inconnue même de moi. Je ne me demandais pas combien de temps durerait encore cette épreuve. À quoi bon poser une question dont je n'avais pas la réponse ? J'ai gardé cette porte fermée. Je me refugiais dans mon ciel, m'asseyais sur un nuage et je regardais le monde de si haut que madame Mérisier n'était qu'un minuscule point perdu au loin. J'ai vécu deux longues années chez les Mérisier avant qu'un jour Grann Sémise apparaisse dans mon ciel et me dise : « Ne reste pas dans cette maison, ne reste pas, Sove. Pa rete nan kay sa a. »»
Madame Mérisier m'assenait le fouet, les brimades, m'acculait à la faim et à la soif pour s'assurer un droit, un motif de fierté face à ceux et à celles qui l'avait convaincue qu'elle était moins que le ver de terre qu'on écrase sous sa chaussure. J'étais sa preuve, sa pièce à conviction. Qu'elle valait mieux que moi. La souffrance qu'elle m'infligeait était une manière d'apaiser ses propres souffrances. Elle voulait en imposer, se faire passer pour ce qu'elle n'était pas. »
« Il m'a fallu venir en ville, apprendre les mots « Christophe Colomb », « plantation », « esclave », « Rochambeau », « Makandal », « Toussaint », « Napoléon », « Dessalines » pour apprendre qu'une couleur de peau, la mienne, pouvait être un fardeau. Que quelque chose faisait donc tourner le monde contre moi et tous ceux qui me ressemblent. Jamais je n'ai voulu porter ce fardeau-là. Toujours j'ai empêché cette roue de tourner exactement comme elle aurait voulu le faire. Posant des pierres sur son chemin, déboîtant la manivelle, faisant crisser ses essieux. Man Jo participait à toutes les protestations, chantant quelquefois La Marseillaise avec la foule ou conspuant les paquebots qui emportaient le café devant payer notre indemnisation indue à la France. Ces jours-là, elle s'habillait en conséquence, d'une robe en tissu grossier, un foulard à la taille, et je l'accompagnais, la poitrine en feu, la gorge prête à hurler jusqu'à la déchirure. Man Jo m'a appris à être dehors vent debout! À aimer la foule et la rue! Pour le carnaval comme pour la colère ! »
« Je suis décidément une ogresse silencieuse de la vie. Je suis vieille aujourd'hui. On n'arrive pas à cet âge sans avoir perdu. Beaucoup perdu. Mais j'ai dévoré les jours avec appétit et patience. J'ai tout englouti, l'accablant, le terrible, en versant par-dessus la jouissance ensoleillée, la joie d'un repas, le sourire d'une amie me contant une bonne vente, le regard de ma fille, celui de ma petite-fille, la force d'être entre ces murs, cher maître, chère maîtresse, et toi. Je me suis défaite de mon mouchoir-ciel, je vais vers le ciel. Je ferme les yeux. Je vais te revoir, toi mon homme, mon amant, mon général. Il n'y a plus qu'un rideau de nuage entre nous. Je l'ouvrirai sous peu.
Mes mains traînent, oubliées au bord du lit. Marianne et Fanny en tiennent chacune une. Tantôt la caressent, tantôt y posent leurs lèvres. Marianne et Fanny pleurent en silence. Je respire difficilement. La douleur du côté droit se fait de plus en plus insupportable. Lèvres entrouvertes, je râle. Une vomissure noire coule de mes lèvres. Je ferme les yeux sous le regard d'effroi de mes proches. Je ne les ouvrirai plus. Je n'en ai plus la force. Je ne cherche plus les preuves de ta présence dans cette chambre. Ton odeur dans ces draps, le passage si ancien du plaisir. Il fait noir.
Tout est déjà tombé dans le gouffre des jours. Là où il n'y a ni avant ni après, ni ici ni là-bas. Me voilà sans âge, légère, nue face à la mort qui ne tardera pas...
Mon général, mon amant, mon homme ! »
Quatrième de couverture
Toujours avancer sans se retourner, c'est ce que murmurent à Yanick Lahens les femmes de sa propre lignée dans ce puissant roman des origines, comme arraché au chaos de son quotidien à Port-au-Prince.
Née en 1818 à La Nouvelle-Orléans, Elizabeth n'a pas reculé quand, victime de deux tentatives de viol, elle a freiné les élans prédateurs d'un ami de son père. Sa grand-mère, ancienne esclave arrivée d'Haïti au début du siècle dans le sillage du maître qui l'avait affranchie, lui a donné un exemple de résistance silencieuse: devenue une commerçante prospère, elle n'a plus jamais accepté de se soumettre au désir d'un homme. Confiante dans la force qu'elle a tôt transmise à sa petite-fille en l'invitant dans la ronde mystérieuse des divinités vaudou, elle n'hésite pas à couvrir sa fuite: Élizabeth embarque pour Port-au-Prince, où nous la retrouverons bien des années plus tard, aux commandes de sa vie, mère d'un homme qui traverse la ville en libérateur.
En cette année 1867, rien ne destinait Régina, née pauvre parmi les pauvres, à rencontrer le général Léonard Corvaseau. C'est pourtant à son côté que va se poursuivre sa trajectoire d'émancipation.
Avec ce portrait en miroir de deux femmes, ses lointaines grands-mères, qui une semblable, une sœur échappée à la rudesse reconnaissent chacune en l'autre des conventions», la grande romancière haïtienne nous offre un magnifique hommage à toutes les Passagères de nuit (à commencer par celles des bateaux négriers), ces vaincues de l'histoire dont la ténacité et la connivence secrète opposent à la violence du monde une lumineuse vaillance.
Lauréate du prix Femina 2014 pour Bain de lune, titulaire de la chaire des Mondes francophones au Collège de France en 2019, YANICK LAHENS est née en 1953 en Haïti, où elle vit aujourd'hui encore. Son œuvre, traduite dans de nombreux pays, est publiée par Sabine Wespieser éditeur.
Éditions Sabine Wespieser, août 2025
219 pages
Académie Française - Grand Pris du Roman 2025

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