samedi 15 avril 2017

Profanes ★★★★★ de Jeanne Benameur

Éditions Actes Sud, janvier 2013
274 pages
Grand Prix RTL- Lire - 2013

Quatrième de couverture


Ancien chirurgien du coeur, il y a longtemps qu’Octave Lassalle ne sauve plus de vies. À quatre-vingt-dix ans, bien qu’il n’ait encore besoin de personne, Octave anticipe : il se compose une “équipe”. Comme autour d’une table d’opération – mais cette fois-ci, c’est sa propre peau qu’il sauve. Il organise le découpage de ses jours et de ses nuits en quatre temps, confiés à quatre “accompagnateurs” choisis avec soin. Chacun est porteur d’un élan de vie aussi fort que le sien, aussi fort retenu par des ombres et des blessures anciennes. Et chaque blessure est un écho.
Dans le geste ambitieux d’ouvrir le temps, cette improbable communauté tissée d’invisibles liens autour d’indicibles pertes acquiert, dans l’être ensemble, l’élan qu’il faut pour continuer. Et dans le frottement de sa vie à d’autres vies, l’ex-docteur Lassalle va trouver un chemin.
Jeanne Benameur bâtit un édifice à la vie à la mort, un roman qui affirme un engagement farouche. Dans un monde où la complexité perd du terrain au bénéfice du manichéisme, elle investit l’inépuisable et passionnant territoire du doute. Contre une galopante toute-puissance du dogme, Profanes fait le choix déterminé de la seule foi qui vaille : celle de l’homme en l’homme.

Mon avis ★★★★★

«La peur du désastre fait partie de l'aventure. On peut sauver ou ruiner toute une vie quand on prend le risque.
[...] Est-ce que la vie n'est pas la seule louve à faire entrer dans la bergerie ?»
Un roman profane, profondément humain, touchant. Une immersion dans un monde chérissable, humble où l'humain redevient le coeur des considérations, où les doutes, les désespoirs, les petites bombes qui entravent parfois le chemin de la vie ... s'effacent peu à peu, pour laisser place à la sérénité, à la confiance, à l'amour aussi.
«Toutes les années de solitude l’ont laissé sur la route blanche et ils ne sont pas trop de quatre pour avancer avec lui. Il pense à l’étymologie du mot profane : celui qui est devant le temple. Il est ce profane. Ils sont ces profanes. Au cœur de chacune de leurs vies, le temple. Vif. Le seul sacré qu’il connaisse. Cette vie qui vibre et échappe à chaque pas.»
Une écriture poétique, concise, précise. Une lecture revigorante, chaleureuse, subtile.
Un très bon moment de lecture, une petite douceur, qui pousse à la réflexion...
à vivre ...passionnément.
«Maintenant que je les ai trouvés, tous les quatre, que je les ai rassemblés, il va falloir que je les réunisse. Réunir, ce pas juste faire asseoir des gens dans la même pièce, un jour. C'est plus subtil. Il faut qu'entre eux se tisse quelque chose de fort.

Autour de moi, mais en dehors de moi.
Moi qui n'ai jamais eu le don de réunir qui que ce soit, ni famille, ni amis. À peine mon équipe à la clinique, parce qu'ils y mettaient du leur. Je leur en savais gré. Ce n'est pas la même affaire dans une clinique, les choses se font parce que sinon c'est la vie qui part. Ce n'est pas autour de moi qu'ils étaient réunis, c'était contre la mort. Et ça, c'est fort.
Là j'ai su tenir ma place.
J'ai quatre-vingt-dix ans. J'ai à nouveau besoin d'une équipe.
Il faut que ces quatre-là, si différents soient-ils, se tiennent. Pour mon temps à venir. Je m'embarque pour la partie de ma vie la plus précieuse, celle où chaque instant compte, vraiment. Et j'ai décidé de ne rien lâcher, rien.
Depuis j'ai eu le temps de réfléchir, de décider. Pas de pourriture dans le vivant, alors pas d'arrêt. C'est l'arrêt du désir qui fait le nid à tout ce qui crève. Plus d'élan, plus de vie.

Et moi je veux vivre. Pas en attendant. Pleinement.
J'aime l'intime. Pas le familier. Ils m'appelleront monsieur.
Les souvenirs c'est dans les vertèbres qu'ils s'installent. Ils vous courbent le dos et Octave Lassalle a décidé de garder le dos droit.
L'Afrique. Le mot comme un cerf-volant dont on a lâché le fil, flotte...[...] L'Afrique, le mot qui contient son année secrète, la plus belle de sa vie. Une seule année peut parfois nourrir toute une existence. Lui restent les couleurs qu'elle ne cesse de chercher sur ses toiles depuis, la couleur de la femme qu'elle était cette année-là.
... dans le fond il n'y a que la vie qui est «laissée au hasard».
Un groupe qui va en s'effilochant. La vie aussi est un gibier.
Avoir droit au silence, aux pensées qui reviennent. Au début, c'était avoir droit à la rage, à tout ce que la douleur révèle de soi. Un vertige. Avoir droit à la haine aussi. Pour tous les sacrements qui ne tiennent aucune promesse. Jamais. Combien de fois me suis-je dit Jamais. C'est dans la nuit que j'ai appris qu'il n'y a aucune consolation, non. Jamais, jamais. Il y a des choses qu'on ne peut apprendre que la nuit. Il faut bien que tout soit obscur pour oser les penser. 
Polir la douleur dans l’ombre de chaque arbre resserré par la nuit.

Sentir l’écorce de chaque chose.
Et savoir que tout est là, toujours. Même si nuit après nuit le chagrin se dérobe. Comment expliquer que le chagrin s’en va et qu’aucune consolation ne prend sa place.
...je me suis fié à l'intuition...La technique ne suffit pas. Nécessaire, pas suffisante. Il faut "sentir" au-delà. Comme si chaque geste était pris dans un geste bien plus vaste, relié au-delà du temps aux gestes des hommes, ceux qu'ils ont toujours faits, avec des outils plus ou moins sophistiqués, ou sans, à mains nues, pour retenir le vivant parmi les vivants.


Quand je n'ai plus de refuge, je vais dans les mots. J'ai toujours trouvé un abri, là. Un abri creusé par d'autres, que je ne connaîtrai jamais et qui ont œuvré pour d'autres qu'ils ne connaîtront jamais. C'est rassurant de penser ça. C'est peut-être la seule chose qui me rassure vraiment.
Ces moments ont existé. Ce bonheur qui a été vécu, rien ne peut faire qu’il ne l’ait pas été. Même la mort. La mort ne balaie rien. Le chagrin peut tout brouiller. Un temps. Comme à chaque fois qu’on est séparé de ceux qu’on aime. On se dit que plus jamais.

Et bien plus jamais, d’accord. N’empêche que ce qui a été est. A l’intérieur. Pour toujours. Pourquoi s’en priver ?
Elle avait employé plusieurs fois le mot « tentative ». Un mot qu’il aimait. C’était celui qu’il employait pour baptiser le fait de vivre : une tentative. Un mot humble, qui donne le droit de se tromper, d’errer, de recommencer.
Avec un uniforme sur le dos, il n'avait rencontré que le sang. Le sien et celui des autres, il n'y a aucune différence quand le sang quitte les corps, on ne peut plus reconnaître à qui il appartient, ça coule dans le terre, c'est tout.
Un profane aussi a le droit de douter. Le doute n'est pas réservé aux croyants.
La souffrance est une terre silencieuse. On y marche pieds nus.»




«Le profane étymologiquement est celui qui reste devant le temple, qui n’entre pas. C’est ainsi que je me sens. Et je ne peux pas échapper à la question. À quoi arrime-t-on sa vie pour avancer, jour après jour ?
La route que choisit Octave Lassalle, c’est les autres. Trop seul dans sa grande maison depuis tant d’années, il décide de s’entourer. Quand la famille fait défaut, quand la religion n’est pas de mise, il reste l’humanité. Et la seule carte du monde qui vaille, c’est celle, mouvante, des hommes et des femmes sur terre.
Le roman est tissé de ces vies qui se cherchent et se touchent, des vies trébuchantes, traversées d’élans et de doutes qui trouvent parfois, magnifi quement, la justesse.
C’est du frottement de ces vies imparfaites qu’Octave Lassalle cherche à être enseigné, retournant ainsi les Évangiles. C’est de ces points de contact improbables qu’il attend les seules épiphanies possibles. Des épiphanies profanes. Humbles.
Chacun des cinq personnages du roman a connu un moment dans son existence où la foi en quoi que ce soit de transcendant s’est brisée. Chacun des cinq va peu à peu reconstruire une route, sans dogme ni religion, pour retrouver la foi dans l’être humain, ici et maintenant.
J’ai écrit ce roman, comme Hélène, la femme peintre, en passant par les ombres de chacun pour qu’ils apparaissent peu à peu, dans la lumière.
Dans les temps troublés que nous traversons, où les dogmes s’affrontent, n’offrant de refuge que dans la séparation, j’ai voulu que Profanes soit le roman de ceux qui osent la seule liberté à laquelle je crois : celle, périlleuse, de la confiance. Cette confiance qui donne force pour vivre. Jusqu’au bout.»
Jeanne Benameur

3 commentaires:

  1. Je l'ai dans ma PAL ainsi que "Otages intimes" mais je n'ai toujours pas eu le temps de les lire.

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    1. Je note "Otages intimes". On m'a conseillé aussi "Les demeurées". Merci pour ton passage sur mon blog.

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  2. Bonjour, merci de vos commentaire. Un roman à lire.

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