samedi 29 avril 2017

Des hommes de peu de foi ★★★★★ de Nickolas Butler

Éditions Autrement, août 2016
536 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Mireille Vignol
Titre original : The Hearts of Men, 2017
Prix Page/America 2014
Finaliste du prix Fnac 2014
Finaliste du Prix du meilleur roman des lecteurs de Points 2015


Quatrième de couverture


« Les héros sont toujours gouvernés par le coeur, les lâches par le cerveau. Ne l'oublie jamais. »
Nelson, jeune scout à lunettes, passe l'été 1962 au camp Chippewa, dans le nord du Wisconsin. Au programme : veillées au coin du feu, courses d'orientation dans la forêt, bains dans le lac glacé... et soirées clandestines.
Trente ans plus tard, que reste-t-il du garçon d'antan chez ce vétéran à jamais hanté par la guerre du Vietnam ?
Nickolas Butler signe un grand roman américain qui sonde les cœurs de trois générations d'hommes héroïques et imparfaits.

Nickolas Butler est l'auteur de Retour à Little Wing.

Mon avis  ★★★★★


Je découvre avec grand plaisir la plume de cet auteur, formidable conteur, si efficace, si captivante que je me suis laissée embarquée dans cette histoire, trois histoires pour être précise, trois regards différents, trois générations. La première partie est formidablement bien écrite, l'articulation des événements entre eux est très bien maîtrisée, elle donne de l'intérêt à la lecture, la fluidifie et installe une tension palpable, qui tient en haleine.
Le scoutisme est en toile de fond, comme un lien entre les différents personnages et les différentes époques; même si l'auteur donne bien entendu des précisions sur la vie sur un camp scout, son organisation, ses règles, le scoutisme n'est pas le fondement de ce roman. Il apparaît comme un prétexte, un support pour représenter la société et brosser un formidable portrait de l'Amérique des années 60 à nos jours dans lequel la morale, les valeurs inculquées ne sont pas toujours prises en compte : il y est plus souvent question de bassesses, de violences, de lâcheté, de règlements de compte, de persécutions...que d'actes glorieux.
Un questionnement sur l'existence, sur le rôle des parents, l'éducation, sur les querelles familiales qui laissent des traces, une analyse psychologique précise des personnages auxquels on s'attache qu'ils soient bons ou mauvais, un témoignage douloureux également sur les traumatismes, les cicatrices laissés par la guerre et qui rend difficile les retours à la vie civile, sur la place occupée par les femmes dans la société...un roman riche, dans lequel l'amour et l'amitié occupent aussi une place de choix.
De beaux portraits d'hommes et de femmes, qui me restent en mémoire deux semaines après avoir achevé ma lecture...un détail plaisant d'une part, révélant que je ne me suis pas trompée en mentionnant tout de suite après ma lecture "j'ai adoré" et grisant d'autre part, un nouvel auteur à suivre, et une part de moi-même qui sera en mode "à l'affût" de ses prochains écrits. Yeessss !
Pour patienter, une petite plongée dans Retour à Little Wing me conviendra très bien aussi !
«Combien de fois s'était-il retrouvé gisant sur le ciment, hilare, à penser : Je suis vivant, bordel, je suis vivant, la vie est belle, je suis vivant et bourré dans le Wisconsin !

... l'amour n'appartient pas au domaine de la raison. L'amour est une émotion.

J'ai connu des lâches et des héros. Les héros sont toujours gouvernés par le cœur ; les lâches par le cerveau. Ne l'oublie jamais. Les héros ne calculent pas, ne calibrent pas. Ils font le choix du bien.

Je veux que tu goûtes à tout. Je ne veux pas que tu t’engages dans une certaine voie à cause d’un putain d’atavisme et parce que tu t’ériges en parangon de vertu. Pour le moment, tu vois le monde en bien et mal, en noir et blanc, mais quand tu auras notre âge, tu comprendras que c’est pas si simple. On est tous des salauds. On baise tous la femme des autres, on vole au boulot, on triche sur notre déclaration d’impôt. Et si jamais tu refuses de tricher, t’es le dindon de la farce, le gros crétin. Alors qu’est-ce que je suis censé faire, t’envoyer démuni dans ce monde ? (...)Un monde de dessins animés et de catéchisme où tout le monde est heureux et a beaucoup d’enfants ?

Pour dire la vérité, Nelson, ces garçons ne deviendront pas tous des hommes décents, de bons êtres humains. Nous faisons de notre mieux, travaillons d’arrache-pied pour les guider et les instruire. Pourtant au final… Parmi les garçons ici présents, il y aura un assassin, un voleur de banque, certains seront coupables de fraude fiscale, d’autres tromperons leur femme. Je le regrette. Mais quand je t’entends souffler dans ce clairon, je n’entends pas que du vent. Ce que j’entends résonne loin dans le temps. C’est quelque chose de positif. Ne te laisse pas décourager, Nelson.

Je vais te dire où on se fait des amis, moi. On se fait des amis à l'armée, dans les tranchées, sur le front. Avec des hommes prêts à prendre une balle à ta place, à te donner leur dernière Lucky Strike, leur ultime goutte d'eau. Ca n'a rien à voir avec les gâteaux d'anniversaire et les bougies, Nelson. L'amitié est une question de loyauté. Une loyauté à vie.

- On a toujours tendance à étouffer le feu avant qu'il puisse respirer, explique-t-il. Commence petit avec ce qui brûle le mieux. Garde un bon tas de petit-bois à portée de main. Le mieux, c'est l'écorce de bouleau ou les pommes de pin. Ou de petites branches de sapin baumier bien sèches. Une fois que le feu a pris, il faut continuer à l'alimenter et le laisser respirer.
- On dirait que tu parles de quelqu'un, de gens...
- Je ne connais rien aux gens, lui renvoie Nelson en regagnant sa tente.

Tu as fait preuve d'une grande loyauté envers moi, Nelson, et d'un grand respect. Il ne te reste plus qu'à faire preuve de courage, maintenant, d'accord ? Garde la tête haute, regarde-les droit dans les yeux, et oublie ce que tu vas voir. Regarde sans voir, si tu le peux. J'espère que tu n'auras jamais à faire la guerre, mais si c'est le cas un jour, regarder sans voir te servira peut-être à ne pas devenir fou.

Le monde n'est pas composé de bons et de méchants. Le monde est partagé entre les affamés et les rassasiés. Tout est une question d'énergie, d'entropie. Si tu as faim de nourriture, tu as aussi faim de Dieu. Ou de politique, ou d'une forme d'amour. Les affamés portent en eux des vides impossibles à combler. Comprends-moi bien. J'ai vu des affamés en paix avec le monde. Je suis allé dans des villages où des affamés m'ont offert leur repas. La nourriture n'est rien dans cette affaire; le problème, c'est une faim plus profonde, ce sont ces vides. [...] je voudrais que tu sois toujours prête. [...] Prête à croiser quelqu'un hanté par la faim, par une pensée, par un désir insatiable, par une perversion. Quelqu'un en manque, qui frappe à ta porte en pleine nuit. Quelqu'un sans le moindre éclat dans les yeux. C'est à ça qu'on le reconnaît. C'est ce que je regarde. Pas la bouche. Les bouches mentent. Mais les yeux ne mentent pas.

On ne regrette jamais que les choses qu'on ne fait pas. Et quand je dis "choses", c'est bien de "femmes" que je veux parler.»

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