mercredi 12 avril 2017

La jeune fille suppliciée sur une étagère (suivi de Le Sourire des pierres) ★★★★☆ de Akira Yoshimura

Éditions Actes Sud, octobre 2006
142 pages
Traduits du japonais par Rose-Marie MAKINO-FAYOLLE
Titres originaux : Shojo Kakei (1959), Ishi no Bisho (1962)

Quatrième de couverture


Elle a seize ans, elle vient de mourir. Allongée sur un tatami, elle voit deux hommes arriver et offrir de l'argent à ses parents. Par-delà la mort, elle observe alors ce qu'il advient de son corps vendu à la science.
Eichi et Sone se retrouvent par hasard. Voisins dans l'enfance, ils vivaient près d'un cimetière ouvert à tout vent, un fantastique terrain de jeux où ils faisaient parfois de terrifiantes découvertes. Mais Sone a déménagé à la mort de son père et personne n'a su ce qu'il était devenu...

Deux magnifiques récits à travers lesquels Yoshimura fait preuve d'une remarquable modernité d'écriture. Pour aborder le thème de la mort sans jamais se laisser gagner par le sinistre ou le morbide, il atteint une pureté de style dont la sonorité cristalline fait écho à l'étrangeté de son univers.


Mon avis ★★★★☆


Une lecture perturbante, celle de la première nouvelle davantage encore, et un sentiment étrange qui s'est emparé de moi en refermant ce livre. Le convoi de l'eau, de cet auteur, m'avait touchée par sa poésie et son humanité. La force de Akira Yoshimura réside dans ses mots, dans sa capacité à retranscrire des émotions avec une grande précision, à décortiquer la complexité de la condition humaine en alliant poésie, dépaysement et justesse.
Dans la première nouvelle, c'est une poésie glaçante qui nous attend. Une jeune fille, Mieko, vient de mourir et son esprit, son âme nous emmène sur le chemin de l'après, du devenir de son corps :  de la récupération des organes à la crémation, en passant par les séances de dissection orchestrées par des étudiants en médecine. Certaines scènes sont difficilement soutenables et pourtant, je n'ai pas eu le sentiment de sombrer dans le macabre. Avec un peu de recul, cette méditation sur la mort est d'une grande beauté, dérangeante quelque peu, certes, mais unique et originale. En parallèle de la vision de Mieko sur le devenir de son enveloppe charnelle, un autre constat ébranle la jeune fille; celui du déni et du rejet de ses parents. Et c'est un pan douloureux de l'Histoire du Japon que nous donne à voir Akira Yoshimura, celui de l'occupation américaine d'après-guerre. Avant que la politique de "démocratisation" menée par le général Mac Arthur, accompagnée de nombreuses réformes, ne porte ses fruits, la désorganisation économique du pays, la famine, a conduit des personnes à commettre l'impensable, comme, dans le cas de cette nouvelle, monnayer le corps de son propre enfant.
La deuxième nouvelle, Le sourire des pierres convoque la mort dans la vie, la mort comme trame de la nouvelle, donnant dans le mystérieux, le fantastique, encore davantage que dans la première nouvelle. Le style y est plus sombre aussi, mais tout aussi fluide. Une dissection, finalement, également, celle de la relation entre deux amis d'enfance, Eichi et Sone, devenus jeunes hommes, et qui avaient fait d'un cimetière leur terrain de jeu. Sone, personnage énigmatique, attiré par la mort, a quelque chose d'insaisissable, de surnaturel, d'étrange ... il pourrait très bien intégré un récit de Stephen King !

Une préférence pour la première nouvelle, qui a eu une résonance toute particulière pour moi puisque lue, alors que nous faisions nos adieux à un être cher, rendant cette lecture davantage déstabilisante, émouvante ... et fascinante aussi.

Prochaine lecture de cet auteur : Naufrages.
«À partir du moment où ma respiration s’est arrêtée, j’ai soudain été enveloppée d’air pur, comme si la brume épaisse qui flottait alentour venait de se dissiper pour un temps. Je me sentais aussi fraîche que si l’on m’avait baigné le corps tout entier dans une eau limpide et pure. Je m’apercevais que mes sens étaient tellement affûtés que c’en était étrange. À travers la fenêtre brillaient des toiles d’araignée couvertes de gouttelettes, tendues comme des hamacs entre l’auvent de la maison et celui de l’autre maison derrière, et qui m’éblouissaient.
Je savais que mon ventre était maintenant entièrement ouvert. Je me rendis compte que le mal rasé avait un visage très bien proportionné et, ce qui est rare chez un homme, des paupières doubles. Contrairement à la manière dont les hommes en blouse blanche qui sentaient la nicotine m’avaient dévisagée au moment de la mise en bière puis au cours du transport en voiture, je ne sentais aucun mépris de sa part, j’avais seulement un peu honte. 
La mission de mon corps semblait toucher à sa fin. Dès que mon rôle serait entièrement terminé, on me permettrait sans doute à moi aussi de m'abandonner au repos de la mort. Un repos environné d'un calme profond ...
La couleur du feu était éclatante et belle.
Les flammes, dont la couleur était simple au départ, se mirent à dessiner toutes sortes de motifs colorés dès qu'elles s'attaquèrent à mon corps. Était-ce la graisse qui brûlait ? Des flammèches d'un jaune clair et éblouissants'élevaient et des crépitements se produisaient de temps à autre, tandis que de petits éclairs dorés s'éparpillaient alentour.
La couleur des flammes était variée. De mes s s'élevaient dans un chuintement des flammèches fugitives d'un bleu presque transparent, tandis qu'autour de moi tourbillonnaient en scintillant de splendides flammes vertes, rouges, bleues ou jaunes, qui se mêlaient confusément.»

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