mardi 21 janvier 2020

La gardienne du château de sable ★★★☆☆ de Christian Estèbe

          Écrire sur sa mère, rappeler à soi les souvenirs plus ou moins précis, plus ou moins nets, évoquer quelques uns de ses secrets à elle, découverts après sa mort, et également prendre conscience du vide, de l'absence...c'est étreindre l'intime pour en faire ressortir les joies, les bons moments mais aussi les souffrances et la tristesse, c'est toucher la corde sensible du lecteur, c'est se mettre à nu indubitablement.
      C'est un roman intimiste, déchirant de sincérité, que nous offre Christian Estèbe, auteur que je découvre, grâce à Soazic (fanfanouche24 sur Babelio). 
     J'ai aimé la fluidité de la plume, un peu moins les passages profondément tristes. Et pourtant, ce sont ces passages qui m'ont semblé les plus vrais, sans pathos aucun.

« Vous aviez prévu quelque chose ?- Non, nous n'avons rien prévu, elle avait fait don de son corps à la médecine.Encore une de ses lubies, après avoir fait don de son corps aux représentants de passage, voilà qu'elle offrait sa dépouille aux carabins de Montpellier. C'étaient ses dernières volontés - un bric à brac de bons sentiments - que les médecins la découpent en morceaux, fassent avancer la science. Un souci d'économie, de bouts de chandelle, comme lui disait mon père, parce qu'un enterrement, ça coûte cher et que nous, les pauvres, les gagne-petit, les traîne-misère, notre seule place, après avoir crevé à l'hôpital, c'est d'aller chez l’équarrisseur. Pas de cercueil, pas de cérémonie, ni fleurs, ni couronnes, ni absoute. C'est pas pour nos autres, c'est pour les riches. Nous, c'est les déchets du corps à la fosse commune, le carré anonyme des généreux donateurs, la faculté de Montpellier reconnaissante.
[...] ça ne servirait plus à rien que je lui dise qu'elle était une schizophrène, une mante religieuse, une castratrice.Elle avait quitté cette clinique et ce monde pour un ailleurs que nous ne connaissions pas, où nous n'étions pas admis.
Elle nous avait dressés comme ça. Toujours compter, trouver le moins cher, le plus solide, le plus inusable et le plus laid, les fringues, les chaussures : « Pour écraser la merde sur les trottoirs, c'est bien assez cher » , elle disait.
Les pâtes toute la semaine, le poulet aux hormones, le gros rouge, le veau plein d'eau, le cochon plein d'os !
« Vous n'avez jamais eu faim ! » 
Non, on n'avait jamais eu faim, mais soif d'autre chose, de ce que l'on voyait dans la télévision en noir et blanc, de ce que les copains mieux lotis nous racontaient : les voyages en Espagne, la montagne, les cabarets à Paris, ah, Paris ! Nous on avait loué un clapier à Palavas-les-Flots, il y avait si longtemps, qu'on ne s'en souvenait plus. Un voyage à Lourdes, et puis, plus rien.
Je n'écris pas pour devenir riche et célèbre, j'écris parce que moi aussi, je vais mourir.
« Ma mère ne m'a jamais donné la main » . C'est Violette Leduc qui écrit.
Je ne savais pas que ma mère était aussi fragile. Qu'elle gardait de son enfance meurtrie des cicatrices indélébiles. Probablement une dépression masquée dont j'avais subi les effets dévastateurs.Nous ne savions pas, nous étions trop pauvres, trop préoccupés à survivre. Mais je sais aujourd'hui que, si nous avions été « riches », rien peut-être n'aurait été différent. La douleur se moque des comptes en banques. 
Je continue à lire -La Bâtarde- comme si je voulais y retrouver l'histoire de ma mère...Voilà que Leduc rencontre Maurice Sachs, l'auteur du -Sabbat-. Violette est fascinée par le personnage. Je l'ai été aussi par sa franchise littéraire lorsque je l'ai lu.C'est Maurice qui va mettre Leduc en état d'écrire, plus même, en état de devenir écrivain. L'art, l'écriture, seront la revanche éclatante de la Bâtarde. Est-ce pour les mêmes raisons, que j'écris depuis si longtemps, avec tant d'acharnement ? Pour offrir une revanche à ma mère ? 
[...] il y a un temps qui trempe et un temps qui détrempe.
Je vais tenter de raconter ce qui s'est vraiment passé. Je sais pourtant que raconter, c'est vouloir retenir un nuage, se remémorer un chant ancien qui s'est tu. Mais dire, c'est parfois tout ce qui reste, lorsque se taire n'est plus possible. »  

Quatrième de couverture

Il y a une heure encore, je parlais de ma mère au présent. Maintenant, et pour le reste de mes jours, elle sera au passé. Elle sera mon passé.
Je sais si peu d’elle. Je sais que sa propre mère l’appelait la bâtarde. Je sais qu’elle était cruelle et enjôleuse, je sais qu’elle avait aimé mon père, je sais qu’elle m’aimait éperdument, plus que tout autre, et qu’elle me l’a fait payer.
Tout ce que je peux faire maintenant, c’est laisser l’écrivain que je suis devenu se pencher doucement sur sa douleur de fils pour, mot après mot, essayer de panser la plaie.

Avec La Gardienne du château de sable, Christian Estèbe signe son roman le plus abouti et certainement le plus personnel. À bientôt soixante ans, bouleversé par la mort de sa mère, il décide, sous le coup de l’émotion, d’écrire sur leur relation tout aussi passionnelle que conflictuelle. Il offre à cette femme dont la vie ordinaire ne laissera aucunes traces, pas même une tombe, la seule chose impérissable qu’il connaisse : un livre.

Éditions Finitude, août 2012
208 pages
Prix Jean Carrière 2012
Prix Morlino 2012

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