mardi 21 janvier 2020

Love Me Tender ★★★★☆ de Constance Debré

« On peut être père sans mère. »
 ESCHYLE, L'Orestie (en exergue)
L'amour maternel est au cœur de ce texte (autofiction). Un amour humain qui, par définition et comme tout amour, est fragile et imparfait. Il n'y a rien de mécanique dans l'acte d'aimer, dans l'amour, y compris dans l'amour maternel.

Par analogie au rôle des avocats qui choisissent des mots pour qu'ils résonnent sur les juges et les jurés, les mots de Constance Debré dans Love Me Tender résonnent sur les lecteurs, ils ont résonné sur la lectrice que je suis. Des mots simples, modernes, brutaux, sans complexe. Percutants. (La dureté, la violence de certains propos pourront en rebuter plus d'un. On n'est bien loin d'une berceuse).

C'est aussi l'histoire d' une quête de liberté, une quête jusqu'au boutisme, jusqu'à détricoter sa vie passée, se détacher de tout bien matériel pour toucher du bout des doigts l'essentiel, se retrouver soi, sans artifice, sans mensonge. 

« C'est important les limites pour ne pas se paumer dans le chaos. » 

Au centre de cette quête, il y a un fils, le fils de la narratrice et un procès. Elle espère revoir son fils dont elle est privée par un ex-mari qui l'accuse d'inceste : elle aime désormais les filles, les femmes...
Au bout de cette quête, de ce texte, un équilibre...peut-être . 

Un texte ou certaines parties du texte à lire à haute voix ou à écouter pour entendre la rage, la violence, la force des mots. 

Livre que j'ai eu la chance de chroniquer dans Un jour Un Livre. Une belle expérience sur un plateau, un bel échange sur le livre. Je remercie vivement les éditions Flammarion, Constance Debré et Babelio pour cette chouette aventure.
La vidéo par ici ↓


« [...] pourquoi il faudrait absolument qu'on s'aime, dans les familles et ailleurs, qu'on se le raconte sans cesse, les uns aux autres ou à soi-même. Je me demande qui a inventé ça, de quand ça date, si c'est une mode, une névrose, un toc, du délire, quels sont les intérêts économiques, les ressorts politiques. Je me demande ce qu'on nous cache, ce qu'on veut de nous avec cette grande histoire de l'amour. Je regarde les autres et je ne vois que des mensonges et je ne vois que des fous. Quand est-ce qu'on arrête avec l'amour ? Pourquoi on ne pourrait pas ? Il faudrait que je sache.
Je nage tous les jours, j'ai le dos et les épaules musclés, les cheveux courts, bruns un peu gris devant, le détail d'un Caravage tatoué sur le bras gauche, et Fils de Pute, calligraphie soignée, sur le ventre [...] je fume des Marlboro light le soir, je bois peu, je ne me drogue pas, je vis à Paris, dans un studio vers Denfert, [...] je n'ai pas d'argent parce que je m'en fous, parce que je préfère écrire que travailler, je ne pense jamais que j'ai 47 ans, j'imagine que je vieillirai d'un coup, sauf si comme ma mère je meurs avant, à part mon fils que je ne vois plus tout va bien, il a huit ans mon fils, puis neuf, puis dix, puis onze, il s'appelle Paul, il est super.
On n'a de place pour personne quand on écrit.
[...] la juge fixe le tatouage qui dépasse de ma manche, me demande pourquoi j'écris un livre et sur quoi, pourquoi j'ai parlé de mon homosexualité à mon fils, elle dit que ça ne regarde pas les enfants ces choses-là, elle dit qu'on ne parle pas de droit, là, qu'on parle de morale, que je peux comprendre, que je suis intelligente.
Je ne conserve qu'un droit de visite, limité et encadré, médiatisé comme dit la justice. Une heure tous les quinze jours dans une association, un "espace rencontre" près de République,où des spécialistes de l'enfance assisteront aux rendez-vous entre Paul et moi, comme une mère sous crack ou un père qui cogne, et encore pas tous. [...] Je n'aurai pas d'audience avant deux ans. Deux ans c'est mille ans. Deux ans c'est jamais.
Ce serait quoi ton crime? on aimait se demander entre avocats. [...]Je n'avais pas pensé à l'inceste. Un crime si riche, qui fonde tant de choses, dans la mythologie, la psychanalyse, la littérature, la base de la base, de l'ordre du monde, des familles, de la civilisation, l'interdit magnifique. Ça claque l'inceste. Un vrai crime de mec. Presque une reconnaissance pour une meuf. C'est vrai que je chasse sur leurs terres. Ça doit les gêner que je bande. C'est trop d'honneur monseigneur. Ce sont les filles qui m'intéressent. Généralement elles sont majeures. J' aime l'expérience.
C'était le vieux palais, celui de la conciergerie et de la Sainte-Chapelle. Je le connaissais par cœur, les grandes assises, la galerie de l'instruction, l'antiterrorisme, les comparutions immédiates, c'était comme chez moi. J'avais passé des années ici à défendre des violeurs, des voleurs, des braqueurs, des pédophiles, des escrocs, des assassins. Mais les affaires familiales je ne connaissais pas. Je ne prenais pas les divorces, je trouvais ça trop sale.
Paul avait un an quand on s'est installés rue Descartes et cinq quand on en est partis chacun de son côté et lui coupé en deux. »

Quatrième de couverture

« Je ne vois pas pourquoi l’amour entre une mère et un fils ne serait pas exactement comme les autres amours. Pourquoi on ne pourrait pas cesser de s’aimer. Pourquoi on ne pourrait pas rompre. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas s’en foutre, une fois pour toutes, de l’amour. »

Constance Debré poursuit sa quête entamée avec Play Boy, celle du sens, de la vie juste, de la vie bonne. Après la question de l’identité se pose la question de l’autre et de l’amour sous toutes ses formes, de l’amour maternel aux variations amoureuses.
Faut-il, pour être libre, accueillir tout ce qui nous arrive ? Faut-il tout embrasser, jusqu’à nos propres défaites ? Peut-on renverser le chagrin ?

Éditions Flammarion, janvier 2020
208 pages

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