vendredi 11 septembre 2020

Nickel Boys ★★★★☆ de Colson Whitehead

La "Nickel Academy" a bel et bien existé, sous un autre nom, certes, et il est effroyable d'apprendre en lisant le dernier opus de Colson Whitehead la réalité des événements liés à cet endroit ... Une maison de correction dont le but était de remettre les délinquants sur le droit chemin. Jusque là, rien d'anormal. Sauf que bien entendu, derrière cet honorable but, se cache de sombres travers, le détournement de fonds en est un par exemple. Mais il y a bien pire, bien plus effroyable, bien plus scandaleux, inhumain, bien plus exécrable...une usine à souffrances...
« On peut cacher bien des choses dans un demi hectare de terre. »
Dans l'enceinte de la Nickel Academy, la justice n'a pas pignon sur rue, être noir n'est pas un atout et empire conditions de vie et traitements, « [...] les criminels violents étaient du côté du personnel » . La perversion, le sadisme qui y règnent, en font définitivement un endroit cauchemardesque et pour nous lecteur, "Nickel Boys" est une plongée dans l'obscurité de l'être humain ...
Un récit touchant, émouvant, effrayant aussi qui mérite sa distinction. 
Une plume remarquable. 
Le retournement final saisissant.   
Un personnage principal attachant et une histoire d'amitié lumineuse. Elwood, je ne suis pas prête de vous oublier ...
« Nous devons croire dans notre âme que nous sommes quelqu'un, que nous ne sommes pas rien, que nous valons quelque chose, et nous devons arpenter chaque jour les avenues de la vie avec dignité, en gardant à l'esprit que nous sommes quelqu'un. » Martin Luther King 

« Le jour de la rentrée, les élèves de Lincoln High School recevaient leurs nouveaux manuels d'occasion récupérés auprès du lycée blanc de l'autre côté de la rue. Sachant où partaient leurs livres, les élèves blancs les avaient annotés à l'intention de leurs successeurs : Va te pendre, le nègre ! Tu pues. Va chier. Le mois de septembre était une découverte des épithètes en vogue chez la jeunesse blanche de Tallahassee, épithètes qui, à l'instar de la longueur des ourlets et des coupes de cheveux, variaient d'une année sur l'autre. Quelle humiliation d'ouvrir un manuel de biologie à la page du système digestif et de tomber sur un Crève sale NÈGRE, mais au fil de l'année scolaire, les élèves cessaient progressivement de prêter attention aux diverses insultes et suggestions déplacées. Comment tenir jusqu'au soir si chaque ignominie vous envoyait au fond du trou ? Il fallait apprendre à ne pas se laisser distraire. »

« Ces protestations, c'était un truc pour les jeunes et elle n'avait pas le coeur à ça. On n'outrepasse pas impunément sa condition. Soit Dieu lui reprocherait d'avoir pris plus que sa part, soit les Blancs lui apprendraient à ne pas réclamer davantage de miettes qu'ils ne daignaient lui en donner, mais dans tous les cas elle le paierait. Son père n'avait pas cédé le passage à une Blanche sur le trottoir de Tennessee Avenue et il l'avait payé. Monty, son mari, avait de son côté tenté d'intercéder et il l'avait payé aussi. Le père d'Elwood, Percy, avait trop réfléchi quand il s'était engagé dans l'armée, si bien que, à son retour, Tallahassee n'était plus assez grande pour tout ce qu'il avait dans la tête. Et maintenant, Elwood. Elle avait acheté ce disque de Martin Luther King à un vendeur ambulant devant le Richmond, et c'étaient dix cents les moins bien dépensés de toute sa vie. Ce disque ne contenait rien d'autre que des idées. »

« Il pensa au discours de Martin Luther King devant des lycéens de Washington, dans lequel il parlait des humiliations infligées par les lois de Jim Crow, qu'il était impératif de convertir en action. "Rien ne pourra autant enrichir votre esprit. Vous en retirerez un sentiment de noblesse rare qui ne peut germer que de l'amour et de l'altruisme envers votre prochain. Faites de l'humanité votre profession. Faites-en un élément central de votre vie. »

« Harriet avait rarement eu l'occasion de faire ses adieux à ceux qu'elle aimait. Son père était mort en prison parce qu'une Blanche l'avait accusé de ne pas s'être écarté de son chemin sur le trottoir. Contact présomptueux, selon la terminologie des lois Jim Crow. »


« Les garçons disaient que ce nom de "Nickel" était en fait une référence à la pièce de monnaie, parce que leurs vies ne valaient même pas cinq cents, mais ce n'était qu'une légende. »

« [...] toutes ces fractures, ces crânes enfoncés et ces cages thoraciques criblées de chevrotine. Déjà que les dépouilles mises au jour dans le cimetière officiel étaient suspectes, qu'avait-il pu arriver à celles qui étaient enterrées dans la partie non signalée ? »

« Mais entendre, c'était aussi voir, à grands coups de pinceau sur la toile de l'esprit.»

« La violence est le seul levier qui soit assez puissant pour faire avancer le monde. »

« La majorité des garçons qui connaissaient l'existence des anneaux dans les troncs sont morts aujourd'hui. Le fer, lui, est toujours là. Rouillé. Profond dans la pulpe des arbres. Il parle à qui veut l'écouter. »

« Ils éclatèrent de rire car ils savaient que l'épicerie ne servait pas les clients noirs, et parfois le rire réussissait à faire tomber quelques briques du mur de la ségrégation, si haut et si large. »


Quatrième de couverture

Dans la Floride ségrégationniste des années 1960, le jeune Elwood Curtis prend très à cœur le message de paix de Martin Luther King. Prêt à intégrer l’université pour y faire de brillantes études, il voit s’évanouir ses rêves d’avenir lorsque, à la suite d’une erreur judiciaire, on l’envoie à la Nickel Academy, une maison de correction qui s’engage à faire des délinquants des « hommes honnêtes et honorables ». Sauf qu’il s’agit en réalité d’un endroit cauchemardesque, où les pensionnaires sont soumis aux pires sévices. Elwood trouve toutefois un allié précieux en la personne de Turner, avec qui il se lie d’amitié. Mais l’idéalisme de l’un et le scepticisme de l’autre auront des conséquences déchirantes.

Couronné en 2017 par le prix Pulitzer pour Underdground Railroad puis en 2020 pour Nickel Boys, Colson Whitehead s’inscrit dans la lignée des rares romanciers distingués à deux reprises par cette prestigieuse récompense, à l’instar de William Faulkner et John Updike. S’inspirant de faits réels, il continue d’explorer l’inguérissable blessure raciale de l’Amérique et donne avec ce nouveau roman saisissant une sépulture littéraire à des centaines d’innocents, victimes de l’injustice du fait de leur couleur de peau.
Éditions Albin Michel, août 2020
259 pages
Prix Pulitzer 2020

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