lundi 12 septembre 2016

Le grand marin de Catherine Poulain ***




Editions de l'Olivier, février 2016
368 pages
Prix Nicolas Bouvier - 2016
Prix Ouest -France Etonnants Voyageurs - 2016

Quatrième de couverture


Une femme rêvait de partir.
De prendre le large.
Après un long voyage, elle arrive à Kodiak (Alaska). Tout de suite, elle sait : à bord d’un de ces bateaux qui s’en vont pêcher la morue noire, le crabe et le flétan, il y a une place pour elle. Dormir à même le sol, supporter l’humidité permanente et le sel qui ronge la peau, la fatigue, la peur, les blessures…
C’est la découverte d’une existence âpre et rude, un apprentissage effrayant qui se doit de passer par le sang. Et puis, il y a les hommes. À terre, elle partage leur vie, en camarade.
Traîne dans les bars.
En attendant de rembarquer.
C’est alors qu’elle rencontre le Grand Marin.

Catherine Poulain commence à voyager très jeune. Elle a été, au gré de ses voyages, employée dans une conserverie de poissons en Islande et sur les chantiers navals aux U.S.A., travailleuse agricole au Canada, barmaid à Hong-Kong, et a pêché pendant dix ans en Alaska. Elle vit aujourd’hui entre les Alpes de Haute-Provence et le Médoc, où elle est respectivement bergère et ouvrière viticole.Le Grand Marin est son premier roman.

Mon avis ★★★☆☆


Il faudrait toujours être en route pour l’Alaska. Mais y arriver à quoi bon.
Catherine Poulain, un petit bout de femme, le "moineau", aux mains hors normes, une "runaway", avide d'aventures fortes, extrêmes, de sensations, de libertés, est partie à l'aventure, au bout du monde, dans le Grand Nord, pêcher, tuer, éviscérer en compagnie des hommes, des durs, des rustres, des costauds, abîmés par la mer et l'alcool mais qui savent être tendres et amicaux. Elle est une femme libre, croquant la vie à pleines dents, capable d'affronter tous les dangers que la mer réserve, saisissant toutes les occasions pour ... vivre pleinement, simplement, à la recherche d'une autre vie; elle fuit l'enfermement et elle nous embarque dans son extraordinaire aventure, dépaysement assuré, avec beaucoup de pudeur et de sincérité. 
Vous êtes venus chercher quelque chose qui est impossible à trouver. Une sécurité ? Enfin non puisque c’est la mort que vous avez l’air de chercher, ou en tout cas vouloir rencontrer. Vous cherchez… Une certitude peut-être… Quelque chose qui serait assez fort pour combattre vos peurs, vos douleurs, votre passé – qui sauverait tout, vous en premier.
J'ai aimé ce voyage, cette aventure, l'histoire de cette femme qui n'a pas froid aux yeux; je suis admirative devant ses exploits, son état d'esprit, sa force, son courage, sa détermination, son histoire d'amour, pudique et inattendue, sa puissance, son intelligence.
Je ne suis pas une fille qui court après les hommes, c’est ça que je veux dire, les hommes, je m’en fous, mais il faut me laisser libre autrement je m’en vais… De toute façon, je m’en vais toujours. Je peux pas m’en empêcher. Ça me rend folle quand on m’oblige à rester dans un lit, une maison, ça me rend mauvaise. Je suis pas vivable. Etre une petite femelle c’est pas pour moi. Je veux qu’on me laisse courir.
J'ai moins aimé le style, saccadé, aux longueurs et redondances qui ont, par moment, trop haché, ma lecture et m'ont détachée petit à petit de l'Alaska. Je n'ai pas embarqué sur le Rebel comme je l'aurais pensé, je n'ai pas ressenti l'air marin, comme je l'attendais, je n'ai pas pêché, je n'ai pas frémi comme je l'espérais...

Néanmoins, ce livre est grand roman d'aventures, et l'histoire de Catherine Poulain est incroyable. Elle est un phénomène, une personne que j'aimerais rencontrer, son histoire m'émeut.
J'ai refermé ce livre avec l' impression de ne pas avoir été à la hauteur, de ne pas avoir su le savourer à sa juste valeur. J'aurais dû prendre plus de temps, peut-être. Je l'ai comparé aussi, mon erreur : j'ai préféré de loin les aventuriers nés sous la plume de Melville ou de London, ou encore de Conrad, de Stevenson.
Mais ce n'est que mon avis, faites-vous votre propre opinion, Catherine Poulain est une femme fascinante !


« Nous ne quitterons plus l'océan. Nous travaillerons ensemble dans le froid, le vent et le souffle éperdu des vagues, moi entre ces deux hommes, le grand gars maigre - et Jude, l'homme-lion, le grand marin que je regarderai exister et pêcher sans jamais me mettre sur son chemin surtout, sans jamais désirer plus que ces silences ensemble, quelquefois, face à l'océan qui avance.
Une fois de plus je plonge mon couteau dans les ventres blancs. La chair lisse et tendue résiste un instant, puis cède. La lame s'enfonce d'un coup - le sang jaillit dans un éclair et inonde la table. Il coule sur le pont en rigoles écarlates. Nous sommes les tueurs des mers, je pense, les mercenaires de l'océan et nous en portons la couleur. Visage et cheveux poisseux de sang, je tranche la chair pâle.
Chant d'éternité. Je tourne la tête vers la mer, elle est rousse des cuivres de la fin du jour. Peut-être va-t-on toujours aller ainsi, jusqu'à la fin de tous les temps, sur l'océan roussi et vers le ciel ouvert, une course folle et magnifique dans le nulle part, dans le tout, coeur brûlant, les pieds glacés, escortés d'une nuée de mouettes hurlantes, un grand marin sur le pont, visage apaisé presque doux. Quelque part encore... des villes, des murs, des foules aveugles. Mais plus pour nous. Pour nous, plus rien. Avancer dans le grand désert, entre les dunes toujours mouvantes et le ciel.
Une femme qui pêche va se fatiguer autant qu'un homme, mais il va falloir trouver une autre manière de faire ce que les hommes font avec la seule force de leurs biscoteaux, sans forcément réfléchir, tourner ça différemment, faire davantage marcher son cerveau. Quand l'homme sera brûlé de fatigue elle sera encore capable de tenir longtemps, et de penser surtout. Bien obligée. 
Le soleil l'a brûlé, comme un alcool plus puissant que celui qui nourrit ses nuits.
Jude Michael Lynch, Sisyphe peut-être, écrasé par le monde, brûlé par la fureur et la passion, l'alcool, le sel et l'exténuement. Ou bien cet autre encore, celui qui se fait dévirer le foie par un aigle, jusqu'à la fin des temps, pour avoir rendu le feu aux hommes. Je ne sais plus, mais au fond peu importe, il les est tous.
Nature is the best nurse. Ce qu'ils ont retrouvé ici, en pêchant, le désir de vivre, brutal, le vrai combat avec la nature vraie...rien ni personne n'aurait pu le leur rendre. Nulle part ailleurs sans doute.
»

Toute petite playlist, tirée de ce roman 



Tom Waits - Singapore (Live, Atlanta 2008)

Pour aller plus loin, avec Catherine Poulain 





2 commentaires:

  1. Comme j'ai aimé ce livre ! Il faut absolument que je trouve un moment pour en parler...

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    1. Une grande aventure, même si je pense ne pas l'avoir savourée comme il se doit. Au plaisir de lire ta chronique.

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