vendredi 8 novembre 2019

Face au vent ★★★★★ de Jim Lynch

Une saga familiale maritime, en eaux calmes parfois, agitées un peu plus souvent, en eaux troubles la plupart du temps. Évasion garantie.

Une lecture particulière. J'ai mis/pris du temps à lire ce livre. Un temps  qui se chiffre en semaines, entrecoupé d'autres lectures. Non pas parce que ce livre manquait d'intérêt ou autre, mais parce que, inconsciemment, j'avais envie de rester, de voguer le plus longtemps possible, avec la très attachante famille Johannssen, aux membres hauts en couleur, un "clan de barbares" écrit l'auteur, de continuer à arpenter, indéfiniment, les quais de cette marina hétéroclite, aux parfums emblématiques des bords de mer, et de connaître le secret de Ruby, jeune femme forte et solide, extraordinaire, un petit miracle, la soeur de Josh, le narrateur. Un secret qu'elle a gardé longtemps en elle, et qui a ébranlé toute sa famille.
Et enfin, une évidente envie de continuer à me noyer dans le quotidien de Josh, un type bien, un de ces types « qui réparent les problèmes de gens pendant leur temps libre », un gars sympathique « [aux] traits anguleux, aux cheveux en bataille et au regard de cocker [qui le] rendaient séduisant aux yeux de toutes les filles qui craquaient pour les chiens perdus », d'arpenter "Sunrise", le quartier où il vit, et d'où se dégage une impression de douce vulnérabilité, de rire aux blagues de ses amis et collègues, de pleurer aussi parfois, et de l'accompagner dans sa quête de l'Amour.
« Peu d'endroits deviennent plus hétéroclites qu'une marina qui accueille des résidents. Il y avait là quelques travailleurs indépendants, une poignée de fonctionnaires, un globe-trotteur occasionnel et un grand nombre de rêveurs, d'excentriques, de mordus et d'anciens taulards comme Trent. Personne ne savait si c'était son prénom, son nom de famille ou un faux nom, et la typographie élégante de sa carte de visite proclamait qu'il dispensait des cours payants dans différents domaines : tree climbing, nage en eau libre, planche à voile et disc golf. Ajoutez à tout ce beau monde deux lesbiennes, plusieurs camés, un couple de nudistes du troisième âge, un narcoleptique que nous surnommions Rem, une ancienne religieuses prénommée Georgia qui vivait sur un grand catamaran noir, et vous aviez mon quartier. »
Le portrait de Josh par Ruby, sa soeur, ça donne ça, alors qu'elle s'adresse à leur père :
« C'est lui qui voit toujours ce qu'il y a de mieux chez chacun de nous, particulièrement de toi. [...] Et c'est lui aussi qui croit qu'il peut réparer tout ce qui est cassé, même s'il sait que ça cassera encore, probablement. C'est notre confident et notre complice, et je parie qu'il en fait autant pour un tas d'autres gens. Il essaie toujours, même quand c'est peine perdue, de se débrouiller pour que chaque chose, chaque personne, reste intacte. Voilà son ambition. Mais elle est tellement différente de la tienne, que tu ne la vois même pas. »
Il y a beaucoup d'humanité dans ces pages. Une histoire de famille pas banale, un peu bancale,  en plein big bang, intelligemment écrite, et au contenu dense et riche, scientifique, écolo et politique.
J'ai appris que "marquer" une personne dans une course, c'était le priver de vent. Je ne sais pourquoi, cela m'a marquée, justement ! J'ai aimé cette brise hasardeuse qui m'a fait naviguer sur un territoire que je ne connais pas : les sports nautiques, oui, quand le corps est plongé dans l'eau, ça je connais bien et je kiffe. Mais le corps en activité, sur un élément qui flotte sur l'eau, je sais pas faire ! Et je n'y connais rien. Un chouia plus, après cette lecture. En théorie !
J'ai aussi ajouté à ma liste lectures, "Un parfum de Jitterbug" de Tom Robbins, sur les conseils d'une des potentielles futures nanas de Josh, et à ma liste envies diverses, grâce à Noah, un autre personnage du livre : voir "La Marche de l'Empereur" en version américaine avec la voix off de Morgan Freeman.
Dans la famille Johannssen, je demande la mère. Grâce à elle, je me suis sentie un peu plus près des étoiles.
« Elle m'avait entraîné dans sa passion pour l'astronomie, insistant à un moment donné pour que je prenne le temps d'imaginer ce qu'avait dû ressentir Edwin Hubble en 1925 quand il avait découvert que l'univers était en expansion, que les galaxies s'éloignaient les unes des autres, de plus en plus vite. »
En parlant d'étoiles : j'ai attribué cinq étoiles à ce livre. Mettre moins ne serait pas le reflet de mon ressenti, de mon enthousiasme, tout au long et après cette lecture. Pourtant, je me doute, que ce n'est pas un livre qui plaira à tous; le vocabulaire y est parfois très technique : technicité de certaines longues descriptions qui pourront peut-être larguer, dérouter moult lecteurs, j'en ai conscience, mais malgré tout, ce livre est pour moi brillant et a représenté un très très bon moment de lecture, d'escapade. 

Levez les voiles et partez pour une belle et mouvementée régate en compagnie de la famille Johannssen, une famille aux origines islandaises, qui semble être, au premier abord, hors du commun. Une famille, pourtant, proche de celle de tout un chacun ! Quelle famille n'a pas été victime d'une déchirure, d'une fracture, d'un séisme à un moment ou à un autre de son histoire ? La famille Johannssen vole en éclat pour une histoire de course de voiliers, « d'une seule seconde et d'un mouvement de barre spontané, en fait. » Mais combien « se déchirent pour des histoires d'argent, de trahison et d'abus, pour des histoires de ressentiments, d'infidélités et de malentendus, parce que les gens sont des crétins. »

Thanks Jim Lynch & Jean Esch ! What a great pleasure it has been ! 


« EINSTEIN n'était pas un grand navigateur, et peut-être même pas un navigateur médiocre. Il ne faisait ni courses ni croisières, mais il comprenait cet agréable mélange d'action et d'inaction, le frisson qu'il y a à glisser dans la béatitude scintillante au coucher du soleil. Beaucoup d'entre nous y ont succombé. Sur l'eau, nous nous sentons compétents, exaltés, et le bonheur dure jusqu'au moment où nous débarquons, quand nous trébuchons sur le trottoir, que nous ne trouvons plus nos clés de voiture, que nous nous souvenons que notre jardin est envahi de mauvaises herbes, qu'il y a cinq centimètres de mousse sur le toit, qu'il faut changer les piles des détecteurs de fumée, qu'un rat est mort à l'intérieur du mur et que notre mère aimerait qu'on habite plus près d'elle. Au moins, quelqu'un a envie de nous voir plus souvent. Mais nous, nous aimerions nous voir plus souvent sur un  bateau aux lignes pures, avec une coque bien propre et des voiles neuves gonflées par le vent.Suis-je en train de nous comparer à Einstein ? Oui. Les voiliers attirent les cinglés et les génies, les romantiques auxquels leurs bateaux offrent une image rebelle. Nous succombons à tout cela, mais ce que nous avons du mal à saisir, c'est qu'il ne s'agit pas des bateaux en eux-mêmes, mais plutôt de ces moments inexplicables, sur l'eau, quand le temps ralentit. Toute cette industrie repose sur une sensation, une émotion. C'est rarement le cas, non ?
Diriger un chantier maritime, c'est comme travailler dans un hôpital psychiatrique. Nous compatissons à coups de hochements de tête et de grimaces. Nous faisons de la figuration dans des fantasmes et des illusions.
[...] tous ces termes tournoyer dans ma tête. Une expression qui avait toujours un sens était naviguer vent arrière. N'importe qui pouvait visualiser le plus ancien et le plus simple des moyens de navigation : hisser une peau de bête au-dessus du radeau et laisser le vent vous pousser sur l'eau. Depuis, cet art a été perfectionné à coups de spis gonflés et de coques bondissantes, mais naviguer vent arrière est devenu filer vent arrière, ou mieux encore, au portant, une expression qui ressemblait à une phrase tirée du mythe d'Atlas ou aux premiers mots d'une fable menaçante. J'avais tendance à m'attarder un peu trop sur ce genre de choses, je l'avoue. Père me traitait d'intellectuel, ce qui n'était pas un compliment dans sa bouche. Il me classait dans le camp de Mère, en guerre contre lui et tous ceux qui agissaient. Les intellectuels, m'avait-il dit, ne remportent pas de régates. 
À cette époque, elle était encore douce comme un bébé et plate comme un garçon sous un T-shirt Madonna qui provoquerait sa consternation plus tard quand elle se verrait sur les photos.
[...] je regarde là où veut aller le vent.
Cadre technique, il avait commandé tous les gadgets électroniques existants, jusqu'à ce que son skipper informatisé puisse pratiquement piloter son yacht d'une marina à l'autre. Mais lors de sa troisième sortie - durant une poussée d'orgueil postcoïtal alimentée au single malt - Dodd avait débranché le pilote automatique et tenu la barre pour de bon, jouissant de son sillage impérial et du vrombissement de son moteur twin 450 qui sniffait 180 dollars de gas-oil à l'heure, et il fonçait presque à plein régime, debout sur son fly-bridge tel Zeus, quand le sonar s'était mis à sonner. Je l'emmerde, s'était-il dit. Il voyait sacrément bien où il allait, au moment où son joujou de vingt-trois tonnes avait percuté le pourtant bien signalé mais immergé Wyckoff Shoal à une vitesse de dix-sept nœuds, éventrant la transmission et projetant Candy - sa maîtresse - à l'autre bout de la cabine en dessous, lui brisant la clavicule gauche.- Remettez mon bateau en état le plus vite possible, nous a-t-il dit, même que Jack l'avait informé que le montant des réparations atteindrait probablement les soixante-dix mille dollars. Je commençais juste à prendre le coup de main. Ça fait partie de moi maintenant, vous comprenez ? Je suis capitaine de bateau.
- Apparemment, ai-je dit, le polystyrène dégage des produits chimiques. Et elle affirme qu'on peut en mourir. Je me suis renseigné. Le styrène est interdit en Californie. C'est le même truc qu'ils utilisaient pour les Lego.
- Moi, je suçais mes Lego, dit Noah. Et j'ai survécu.
- Pour l'instant, ai-je fait remarquer. Ça ne la gêne pas que je n'aie pas de diplôme et que je sente l'huile de vidange, dit-elle, mais elle ne peut pas tolérer, c'est le mot qu'elle a employé, que je boive dans des gobelets en polystyrène. C'est le signe, selon elle, qu'on ne sera jamais compatibles.
- Ou le signe qu'elle est complètement cinglée, suggéra Mick.
Le problème est que j'avais envie de tous les sauver. Sloops, ketchs, hors-bord, je ne pouvais résister. Tout aussi peu sélectif avec les femmes, je les aimais petites et grandes, maigres et potelées, discrètes et effrontées, intelligentes et simplettes, saines d'esprit et cinglées. Je n'étais pas obsédé par les culs, les nichons ou les coudes. J'étais plutôt attirer par un rire, ou peut-être une voix, car je savais qu'elle pouvait devenir la bande-son de mon existence. Les femmes les plus intelligentes semblaient percevoir presque immédiatement mon manque de discernement et de suite dans les idées.
[Ma mère] avait rédigé pour le magazine Sail un article qui avait dérouté des milliers de personnes en combinant les lois du mouvement et de la dynamique des fluides avec les forces de la pesanteur, de la torsion, de l'énergie cinétique, du vent, de la portance et de la traînée pour expliquer la science qui se cachait derrière le sport. Aussi technique fût-elle dans son approche - "l'eau est huit cents fois plus dense que l'air"- elle mettait en garde : ses équations emmêlées étaient des simplifications excessives, car dès qu'un bateau tangue ou que le vent se lève, les calculs changent de nouveau. Autrement dit, dès que vous pensez avoir enfin saisi la physique de la navigation, un autre facteur entre en jeu et vous replongez dans la confusion.
À un moment donné, presque tout le monde m'avait charrié parce que j'étais un médiocre régatier. Un Johannssen qui ne sait pas naviguer ? C'était comme être la fille d'Aretha Franklin et ne pas avoir d'oreille ou être le fils idiot d'Einstein.
Le grand Leif Eriksson a mis le cap vers l'Amérique du Nord en l'an 1001, plusieurs siècles avant que le très surestimé Christophe Colomb s'y échoue et annonce au monde entier qu'il avait découvert cet endroit, voilà pourquoi on devrait célébrer la fête de Leif Eriksson, au lieu de lever notre verre à la santé d'un ambitieux arrivé deuxième, presque cinq cent ans après le vainqueur ! [...] des tas d'indiens l'avaient déjà découverte.
Ce que les gens ne saisissent pas, affirmait Ruby, c'est qu'il y a uniquement quatre mille (quarante mille, en fait) Islandais aux Etats-Unis, ce qui les rend encore plus rares que les requins à deux têtes (ça n'existe pas) et les gens comme Grumps encore plus exotiques, d'autant qu'il est parent du Grand Leif Eriksson ! (Totalement faux.)
JE ME SENS HEUREUX, LÉGER, DÉTACHÉ DE TOUT ET MAÎTRE DE TOUT À LA FOIS , COMME LORSQUE TOUTES LES DETTES SONT EFFACÉES D'UN COUP D’ÉPONGE ET QU'ON PEUT VIVRE ALORS SA VIE. (Citation de Moitessier)
La plupart des gens ne s'intéressent guère au vent. Demandez-leur d'où il vient et pourquoi il va là ou là, et ils hausseront les épaules. Sauf notre mère. Le vent, nous expliquait-elle, naît généralement lorsque la chaleur du soleil modifie la densité et l'humidité de notre atmosphère. À neuf ans, j'avais mémorisé ça : le vent est la conséquence d'une variation.Et sans vent, comment la planète ferait-elle pour s'exprimer ? Si le calme plat était la norme, les arbres ne se balanceraient pas. Les lacs seraient aussi plats et mornes qu'une défonce à la Thorazine. La ville la plus venteuse au monde est Wellington, en Nouvelle-Zélande, où le vent souffle en moyenne à une vitesse de seize nœuds sur une année. Mais la moitié du temps, la moyenne dépasse les trente nœuds. Résultat, les gens fuient cet endroit, hein ? Que nenni ! Wellington compte parmi les destinations les plus prisées au monde. L'endroit le moins venteux sur terre ? Oak Ridge, dans le Tennessee. Moyenne des vents : trois nœuds, à peine un pet de souris. Lieu idéal pour les lunes de miel et les stages de yoga, alors ? Que nenni ! C'est là qu'ils ont construit des abris antiatomiques parce que personne ne veut y vivre.
Les voiliers et les femmes. Quelque chose disjoncte chez les hommes, à ce niveau-là. Il y a quelque chose de si irrésistiblement féminin dans les voiliers, que les hommes oublient que ce sont des objets. Sinon, pourquoi les plus bourrus des loups de mer baptiseraient-ils leur bateau Roxanne ou Juliette ? Ce n'est pas seulement de l'amour, c'est du désir. Croyez-moi, il se passe là une chose étrangement charnelle. Les voiliers excitent. (extrait du chapitre "Porno maritime")
[...] Viagra vous envoie en solitaire sur un voilier, sans vent, pourtant votre foc est curieusement gonflé, car en fait votre voilier est remorqué, puisque vous êtes un acteur qui ne sait pas naviguer. Pourquoi Viagra préconise-t-il d'avoir la trique en pleine solitude, c'est un autre mystère. Néanmoins, à la fin de la pub, tandis que le faux navigateur glisse vers le port et que défile un avertissement indiquant que ces comprimés peuvent provoquer cécité, surdité et érections permanentes, il affiche un tel contentement qu'on s'attend presque à le voir allumer une Marlboro. Déroutant ? Oui, mais cela signifie que les génies du marketing qui sévissent dans le commerce de la bandaison savent comment exploiter le schéma mental particulier des hommes dès qu'il est question de voiliers.
Pensez au Porno maritime. C'est l'objet de milliers de mails envoyés chaque jour, dans lesquels des hommes partagent les photos des bateaux qui les font fantasmer. Des images croustillantes en très haute résolution de coques plantureuses, d'intérieurs chics et de poupes à faire saliver. Écoutez attentivement les hommes parler des bateaux de leurs rêves et vous entendrez l'infidélité dans leurs voix.
Moi-même, je trouvais que ce n'était pas juste de la voile. C'était davantage un héritage, comme si des générations de génétique, d'ambitions et de traditions avaient bouillonné pour atteindre ce point culminant.
[...] pour chaque action, il existe une réaction égale et opposée. 
J'ai un boulot en plein air, sur une magnifique montagne. Pourquoi est-ce que je retournerais m'enfermer dans un hangar pour poser de la laine de verre ?Loyauté, fut le mot qui sortit de ma bouche.
J'étais si peu politisé à la fin de 1999, que les échauffourées autour de l'OMC me déconcertèrent. Quel genre de manifestation pouvait inciter les gens à lancer des pierres sur le magasin Niketown de Seattle et à bloquer les carrefours avec des baleines gonflables ? Aux infos, les images du centre-ville semblaient avoir été filmées lors d'une insurrection à l'étranger. Et les commentaires alternaient rapidement entre la consternation face aux actes de vandalisme et la colère de voir des policiers frapper des citoyens. L'indignation redoubla quand une équipe de télévision fut bombardée de gaz lacrymogènes. Maintenant, toutes les chaînes mettaient en cause le comportement des flics.  
Ceux qui rendent impossible une révolution pacifique rendront inévitable une révolution violente.
La police enquête sur ma femme qui observe les étoiles, pendant que des émeutes se déroulent dans le centre, c'est logique.
Si je devais choisir une seule et brève vidéo de Grumps, je garderais peut-être ce moment, pour la concentration et le plaisir qui s'emparaient de lui quand il tirait la première bouffée d'un cigare, le faisant rouler entre son pouce et son index, comme pour évaluer sa symétrie, approchant son nez de la fumée avant de se redresser, massant sa hanche d'un mouvement circulaire, glissant son pouce sous sa chemise pour se gratter la colonne vertébrale, et expirant enfin, très lentement, avant de distribuer du pain rassis aux oies.[...] J'ai passé toute mon existence dans cette belle ville, et la plupart des gens qui me connaissent diraient que je suis quelqu'un de raisonnable, déclara-t-il devant la Commission des parcs et jardins publics. Et je ne suis pas venu ici dans le but de vous comparer à des nazis. Mais après avoir appris votre décision de tuer systématiquement des milliers d'innocents et magnifiques oiseaux, je ne vois pas de meilleure façon de vous décrire.
La plupart des gens n'ont jamais navigué. Alors, quand vous les emmenez en mer, ils portent des chaussures mal adaptées, ils vous appellent Achab ou Bligh. Ou bien, ils sont particulièrement nerveux, ils citent Whitman - Oh, Capitaine ! mon Capitaine ! - et crient Bon voyage ! Ou ils parlent comme des pirates, en se croyant originaux : Arrrgh ! Faites passer cette gueuse sous la quille ! Ils proposent de vous aider, mais en réalité, ils veulent savoir où ils peuvent s'asseoir, à quoi ils peuvent se tenir et à quel moment vous allez leur apporter à boire. (je suis démasquée, sur le dernier point également !)
Dans l'univers de Newton, le temps et l'espace étaient constants, mais Einstein a débarqué en disant : Attends un peu, Isaac ! Je ne crois pas. La vitesse de la lumière - 300 000 km/s - est la seule constante sur laquelle on peut vraiment s'appuyer. Et je suis d'ailleurs à peu près sûr que l'énergie et la masse sont reliées par la racine carrée de la vitesse de la lumière.Alors que les scientifiques débattaient de ses abstractions déroutantes, une éclipse solaire lui offrit enfin une scène mondiale pour prouver ou invalider ses envoûtantes hypothèses, selon lesquelles la gravitation tordait la lumière et déformait le ciel nocturne bien plus qu'on ne le croyait et que la grille cosmique de Newton, que tout le monde acceptait depuis longtemps, était une simplification excessive.
Le 29 mai 1919, la lune masqua le soleil pendant un pu plus de sept minutes, et le ciel s'assombrit suffisamment pour permettre de mesurer la différence entre la position réelle et la position apparente d'une étoile située légèrement derrière le soleil. Cette étoile n'aurait pas être visible de la terre. Mais parce que l'aspiration gravitationnelle du soleil courbait la lumière de l'étoile tout autour, dans les proportions exactes prédites par la théorie générale de la relativité d'Einstein, l'étoile apparaissait non pas derrière le soleil obscurci, mais à côté. Cette compréhension beaucoup plus nette de la gravitation changea du jour au lendemain la manière dont l'homme voyait le cosmos.
Ils nous acclament l'un et l'autre : vous parce que personne ne vous comprend, moi parce que tout le monde me comprend. (de Charlie Chaplin à Einstein)
GPS [...] il calculait son emplacement en triangulant les signaux émis par des satellites. Toutefois, pour être précis, il devait savoir combien de temps mettaient ces signaux à lui parvenir, au millionième de seconde près, ce qui était très délicat, car les satellites se déplacent et leurs signaux traversent la gravitation terrestre. Obtenir des données exactes aurait été impossible, précisa-t-elle, si Einstein n'avait pas calculé que la gravitation terrestre accélérait le temps, très légèrement, devançant le satellite de trente-huit millionièmes de seconde par rapport au temps terrestre. Sans ces calculs, les erreurs grandiraient d'heure en heure, et un GPS ne servirait plus à rien.Nous savons où nous sommes grâce à Einstein.Moi, ce que je savais, c'était que notre mère avait le béguin pour le cerveau d'Einstein.
La vérité vous apportera la liberté, mais elle risque d'abord de vous faire chier. (Gloria Steinem)
La recherche de la vérité et de la beauté est une sphère d'activité dans laquelle nous avons le droit de rester des enfants toute notre vie. (Einstein)
- Je comprends que ça t'intéresse, mais pourquoi ça t'excite ? avait-elle demandé. Qu'est-ce que les maths ont apporté à la psychologie, à la philosophie ou même à la biologie ? Et la physique, en gros, ne parle que de la scène sur laquelle se déroule la tragédie humaine, non ?
Mère avait rougi comme si on l'avait giflée.
- Essayer de comprendre l'univers physique, avait-elle rétorqué les dents serrées, a toujours été la plus grande des tragédies humaines.
Et soudain, le sentiment de familiarité s'est envolé, nous ressemblions davantage à des étrangers, nos transformations et nos différences apparaissent comme des vergetures dans la lumière déclinante, mais peut-être percevais-je ce qui allait se produire et non pas ce que j'avais devant les yeux. J'ai observé Bernard, à la recherche d'autres cicatrices, de tatouages ou de tout autre indice permettant de deviner ce qu'il avait fait, tout en m'inquiétant de ce que Ruby avait trop maigri.
Les scientifiques possèdent leurs propres théories. Les fans de La Grande Déchirure affirment qu'un univers en expansion finira par tout démolir : les étoiles, les planètes et même les atomes. Les partisans de La Grande Glaciation imaginent que l'univers en expansion deviendra trop froid pour permettre toute forme de vie, où que ce soit. Le Big Crunch inverse ces équations et affirme qu'une collision gigantesque va produire un Big Bang II, la Suite. Mais tous ces scénarios se déroulent dans des millions d'années et aucun astronome n'oserait prédire en quel siècle aura lieu la fin du monde, et encore moins quel jour.
Étant donné  que la vie sur Terre est possible uniquement grâce à la force d'attraction d'une étoile située à 150 millions de kilomètres, et étant donné que notre inclinaison presque intenable, combinée à l'embonpoint de notre planète, nous fait ressembler à une toupie qui commence à vaciller, comment peut-on croire que cela durera toujours ?C'est un miracle que nous soyons encore là.
Oh, Josh, c'est comme une pièce de théâtre : il faut tout voir pendant que ça se passe sur scène, car ensuite, tout disparaît. »
 « Aux dernières nouvelles, il travaillait sur le Mont Rainier,
il portait secours aux alpinistes qui se retrouvent coincés
et comptent sur l'argent des contribuables
pour qu'on vienne les sauver. »


Quatrième de couverture

Dans la famille Johannssen, la voile est une question d’ADN. Installés au cœur de la baie de Seattle, le grand-père dessine les voiliers, le père les construit, la mère, admiratrice d’Einstein, calcule leur trajectoire. Si les deux frères, Bernard et Josh, ont hérité de cette passion, c’est la jeune et charismatique Ruby qui sait le mieux jouer avec les éléments. Seule sur un bateau, elle fait corps avec le vent. Mais lorsqu’un jour elle décide d’abandonner cette carrière toute tracée, la famille explose. Bien des années plus tard, les parents se sont éloignés, Bernard a pris la fuite sur les océans, Ruby travaille dans l’humanitaire en Afrique. Quant à Josh, il cherche inlassablement son idéal féminin sur un chantier naval à Olympia. Douze ans après la rupture, une ultime course sera l’occasion de retrouvailles risquées pour cette famille attachante et dysfonctionnelle.

Oscillant sans cesse entre rires et larmes, le roman de Jim Lynch donne une furieuse envie de prendre le large.

Une histoire de famille brillamment construite... Une lecture exaltante.
THE WASHINGTON TIMES
Éditions Gallmeister, janvier 2018
361 pages 
Traduit de l'américain par Jean Esch

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