mardi 8 décembre 2020

Retour à Martha's Vineyard ★★★★☆ de Richard Russo

Des pages mélancoliques et nostalgiques. Richard Russo s'attache à décrire ses personnages trois hommes amis, Lincoln, Mickey et Teddy, qui lors de leur vingtaine étaient amoureux  d'une même jeune femme, Jacy. Les chapitres dévoilent qui ils étaient dans les années 70 marquées par la guerre du Vietnam, quelle fut leur destinée, qui ils sont devenus quarante ans plus tard alors qu'ils se retrouvent tous les trois sur la très chic île de Martha's Vineyard. 
C'est sur cette même île, qu'ils virent pour la dernière fois leur amie Jacy, partie sans laisser de traces un week-end de Memorial Day en 1971. Sa disparition est en filigrane, on s'interroge sur les raisons de sa disparition, sur un éventuel coupable de meurtre jusqu'à la fin de ce roman. 
Une fin peu crédible d'ailleurs, mais in fine ce n'est pas ce que je retiendrai de cette lecture qui n'est ni un page turner haletant, ni une enquête sur une disparition mystérieuse à proprement parler, mais davantage un prétexte à parler des trajectoires individuels de vie de ces trois jeunes étudiants de la "génération Vietnam", la construction de leur vie individuelle en fonction de leurs origines culturelles, économiques et sociales, leurs choix. 
Leurs souvenirs nous sont contés avec beaucoup d'élégance et de justesse, ce qui les rend, tous les trois, très attachants, profondément touchants, avec leurs secrets, leurs doutes, leurs joies, leurs peines, leurs regrets. Et c'est sur notre propre existence que l'auteur nous amène à nous interroger finalement.    
Un beau moment de lecture, bercée par la musique des sixties. 
Merci Bookstagram pour la découverte !


«  Pour ceux dont les noms sont sur le mur. »

«  Les choses qu'on ne peut pas se permettre de perdre sont celles que le monde vous vole. Comment le monde sait-il ce dont vous avez le plus besoin, afin de vous en priver, voilà une question pour les philosophes. La réponse aurait fourni la matière d'un livre que Tom Ford aurait jugé digne d'être écrit : répondant à une urgence, original et absolument nécessaire. Mais pour l'écrire, il fallait se consumer de l'intérieur. »

« Ce qui lui manque plus que tout, c'est cette conviction naïve de sa génération qui croyait pouvoir se retirer du jeu si elle s'apercevait que le monde s'avérait irrémédiablement corrompu. Formulé ainsi, c'est un peu ridicule, mais n'était ce pas le pivot de leur foi ? Ils croyaient que le fait d'avoir raison à propos d'une guerre au sujet de laquelle leurs parents s'obstinaient à avoir tort faisait d'eux des êtres à part, voire exceptionnels. Ils changeraient le monde. Du moins, ils rejetteraient ses sollicitations éhontées, ses diverses formes de corruption et ses incitations malhonnêtes.Wolfgang Amadeus se trompait peut-être dans de nombreux domaines, mais ni lui ni sa mère, ni personne d’autre de leur génération, n’avait été assez idiot pour imaginer que l’on pouvait s’extraire du monde qui nous avait créés. »

« Il n'y a pas de tous. Uniquement des millions de uns. »

« Peut-être était-ce le but non formulé de l’éducation : inciter les gens jeunes à voir le monde à travers les yeux fatigués de la vieillesse ; la déception, l’épuisement et l’échec prenant l’apparence de la sagesse. »

« Néanmoins, la membrane qui sépare la compassion de la pitié est parfois fine comme du papier à cigarette. »

« Mais voilà le problème avec les mensonges, hein ? Pris séparément, ils ne pèsent pas lourd, sauf qu'on ne sait jamais combien il va falloir en raconter pour se protéger le premier, et bien sûr, ils s'additionnent. Avec le temps, ils se mélangent, jusqu'au jour où on se rend compte qu'ils n'ont plus d'importance en tant que tels. Mentir est devenu notre seconde nature. Et la personne à qui on ment le plus, c'est soi-même. »

« Supposons que les secondes chances existent. Si on disposait tous de plusieurs vies, seraient-elles différentes ? Ou bien exactement semblables ? »

« Ce soir, ils ne chanteront pas. Ils ont soixante-six ans, ils sont beaucoup trop vieux pour se convaincre que leurs chances sont bougrement bonnes, et que ce putain de monde s'intéresse un tant soi peu à leur espoirs et à leurs rêves, en supposant qu'il leur en reste. »

« Si le libre arbitre se révélait n'être qu'une illusion, n'était-ce pas une illusion nécessaire, pour que la vie possède un sens quelconque ? »

Quatrième de couverture

Le 1er décembre 1969, Teddy, Lincoln et Mickey, étudiants boursiers dans une fac huppée de la côte Est, voient leur destin se jouer en direct à la télévision alors qu’ils assistent, comme des millions d’Américains, au tirage au sort qui déterminera l’ordre d’appel au service militaire de la guerre du Vietnam. Un an et demi plus tard, diplôme en poche, ils passent un dernier week-end ensemble à Martha’s Vineyard, dans la maison de vacances de Lincoln, en compagnie de Jacy, le quatrième mousquetaire, l’amie dont ils sont tous les trois fous amoureux.
Septembre 2015. Lincoln s’apprête à vendre la maison, et les trois amis se retrouvent à nouveau sur l’île. À bord du ferry déjà, les souvenirs affluent dans la mémoire de Lincoln, le «beau gosse» devenu agent immobilier et père de famille, dans celle de Teddy, éditeur universitaire toujours en proie à ses crises d’angoisse, et dans celle de Mickey, la forte tête, rockeur invétéré qui débarque sur sa Harley. Parmi ces souvenirs, celui de Jacy, mystérieusement disparue après leur week-end de 1971. Qu’est-il advenu d’elle? Qui était-elle réellement? Lequel d’entre eux avait sa préférence? Les trois sexagénaires, sirotant des Bloody-Mary sur la terrasse où, à l’époque, ils buvaient de la bière en écoutant Creedence, rouvrent l’enquête qui n’avait pas abouti alors, faute d’éléments. Et ne peuvent s’empêcher de se demander si tout n’était pas joué d’avance.

Éditions La Table Ronde, août 2020
377 pages
Traduit de l'anglais par Jean Esch

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