mardi 15 décembre 2020

Une rose seule ★★★★☆ de Muriel Barbery

Une courte et agréable promenade au pays du soleil levant. Une lecture scandée par de bien belles petites légendes autour des fleurs et des arbres, par lesquelles débutent les chapitres et qui font échos à l'histoire de Rose.
Rose est le personnage principal de ce roman. Elle s'est rendue à Kyoto pour écouter le testament de feu son père, un marchand, un samouraï mais avant tout un esthète qu'elle n'a pas connu. 
Un voyage qui s'apparente très vite à une introspection ; en se promenant dans les temples de cette belle cité, les paysages et l'atmosphère entreront en résonance avec elle-même. 
Des flâneries « aux vertus d'apaisements et de métamorphose ».
« Alors, dans la grande nécropole des âmes pendues à l'envers, Rose devint une autre. En un éclair, elle revit l'érable dans sa cage de verre ; enraciné dans la fluidité des mousses mais libre sous le ciel, donnant autour de lui la vie dans ses innombrables mutations, il lui chuchotait une partition de brise et de feuilles; elle s'y laissa dériver sans peur, sans colère; à la lisière de sa perception, farandole fondue d'arbres et de fleurs, glissaient les jardins de son père et quelques branches de lilas blancs. »
Des déambulations orchestrées, pour Rose, par son père avant sa mort et qui sont, pour le lecteur, une fascinante découverte des lieux emblématiques de Kyoto.

L'écriture de Muriel Barbery est épurée, douce, poétique, mélancolique
Elle est un doux remède pour qui a envie d'une reconnexion avec soi-même, d'une parenthèse poétique, lumineuse, et pleine d'espoir.

Une histoire de deuil, une histoire d'amour et de renaissance. Une histoire empreinte de culture et de beauté.
Un petit bijou fleuri à déguster lentement !
« Je voulais que ce soit l'histoire d'une femme, quadragénaire, qui aurait vécu jusque là une vie douloureuse et dont tout à coup le destin s'illuminerait, et que cette illumination aurait lieu dans une ville, que je connais et que j'aime infiniment, qui est Kyōto, au Japon. » Muriel Barbery 
Shisen-dō Jōzan-ji |詩仙 堂 丈 山寺 
©discoverkyoto


« - C'est votre premier jour à Kyōto ?
- C'est mon premier jour au Japon.
- Le Japon est un pays où on souffre beaucoup pas où on n'y prend pas garde, dit l'Anglaise. Pour récompense de cette indifférence au malheur, on récolte ces jardins où les dieux viennent prendre le thé. 
Rose s'en agaça.
- Je ne pense pas, dit-elle, rien ne récompense la souffrance. 
- Croyez-vous ? demanda l'Anglaise.
- La vie fait mal, dit Rose. Il n'y a aucun bénéfice à attendre de ça.
L'Anglaise détourna la tête, s'abîma dans la contemplation du pavillon.
- Si on n'est pas prêt à souffrir dit-elle, on n'est pas prêt à vivre. »

« À quarante ans, Rose n'avait presque pas vécu. Enfant, elle avait grandi dans une belle campagne, y avait connu les lilas éphémères, les champs et les clairières, les mûres et les joncs de ruisseau ; enfin, le soir, sous des cascades de nuages dorés et de lavis roses, elle y avait reçu l'intelligence du monde. À la nuit tombée, elle lisait des romans, de sorte que son âme était façonnée de sentiers et d'histoires. Puis, un jour, comme on perd un mouchoir, elle avait perdu sa disposition au bonheur. »

« [...] elle ne s'attachait à personne, personne ne s'attachait à elle, le vide gangrenait sa vie de la même façon qu'il l'avait engendrée. »

« On dit que le poète Kobayashi Issa qui, au temps des Lumières de l'Europe, vécut dans un Japon encore féodal une longue et douloureuse vie, alla un jour au Shisen-dō, un temple bouddhiste zen de Kyōto, et demeura longtemps sur les tatamis à admirer le jardin. Un moinillon vint lui vanter la finesse du sable et la beauté des pierres autour desquelles on avait ratissé un cercle très pur. Issa resta muet. Le moinillon loua avec éloquence la profondeur de la scène minérale ; Issa se taisait toujours. L'autre, un peu étonné de ce silence, fit l'éloge appuyé de la perfection du cercle. Alors Issa, montrant de la main, par-delà le sable et les pierres, la splendeur des grandes azalées, lui dit : Si tu sors du cercle, tu rencontres les fleurs. »

« Il faisait beau, un grand héron paressait dans une crique protégée par les joncs, des promeneurs passaient. Bientôt, les berges s'agrandirent, le chemin de sable se fit grève, les herbes folles prirent dans la brise une grâce de plumes. Quelque chose chavirait. Elle pensa : Qui découvre son père par l'enfant qu'il a été ? Et, surprise et troublée, indignée aussi, elle eut le sentiment d'un bienfait. »

« - L'absence, d'abord. [...] Ensuite, le devoir et la croix d'être heureux sans [elle]. 
- Le devoir ? ... Pour votre fille ?
- Non ... pour moi. 
[...] On ne se sent plus parler la même langue que les autres. Et on comprend que c'est celle de l'amour. »

« Le son de la pluie sur le parapluie lui fit du bien, elle rêva un instant de vivre dans une goutte pleine et  close, sans ailleurs ni autrefois, sans perspectives ni désir. »

« La vie n'est peut-être qu'un tableau qu'on contemple derrière un arbre. Elle s'offre à nous en totalité mais nous ne la percevons qu'au travers de perspectives successives. La dépression rend aveugle aux perspectives. Le tout de la vie vous écrase. »

« Il se trouve à Kyōto un temple populaire dénué de la beauté des grands joyaux de la cité mais qu'on affectionne pour son carré de deux mille pruniers où toute la ville va se promener dans les derniers jours de février. Malgré cela, Issa, le poète magnifique, n'y allait que lorsque les bois des arbres étaient encore noirs et nus, dépourvus des fleurs qui, plus tard, embaumeraient alentour. Dès l'apparition de la première corolle, il quittait le carré cependant que ses pairs venaient admirer le miracle des pétales jetés sur les branches hivernales. Quand, parfois, on s'inquiétait de ce goût qui le privait de la plus belle floraison de l'année, il riait et disait : J'ai attendu longtemps dans le dénuement, à présent la fleur de prunier est en moi. »

« Elle retint son souffle en marchant entre les sépultures, les lanternes et les bambous célestes. Il y avait des pierres en forme de personnages sans visages et de longues tiges de bois qui claquaient dans le vent ; ornées d'écritures serrées, elles entouraient les tombes, simples socles de marbre surmontés d'une stèle plus étroite ; certaines étaient mangées d'années, envahies de lichen. De chaque côté, dans d'étroits vases du même marbre, on avait placé des fleurs de saison. Partout, la mousse ondoyait de reflets tendres et bleutés, partout les chapeaux à ailettes des lanternes jetaient dans l'atmosphère une note malicieuse. Dans le silence des morts, la vie s'étirait et, tout ensemble, pétillait. »

« Mes morts, se répéta-t-elle. Ai-je des morts que je puisse appeler les miens ? »

« Dans la nuit, elle rêva qu'elle se promenait avec son père dans un champ de pruniers près d'un temple de bois sombre. Derrière eux marchaient les démons de ses contes d'enfance. Devant une fleur d'une beauté extrême, les pétales en éclairs de diamant, les étamines comme des traits d'encre claire, Haru lui tendait la main en disant : Tu prendras le risque de la souffrance, du don, de l'inconnu, de l'amour, de l'échec et de la métamorphose. Alors, de même que la fleur de prunier est en moi, ma vie entière passera en toi. »

« Les murs ne sont rien sans le jardin, le temps des hommes sans l'éternité du don. »

« La fraternité de la rosée et de la mousse, la fusion du cristal, de la terre et du bois fit soudain jaillir l'évidence qu'elle n'avait pas cessé de pleurer Paule, qu'elle pleurait depuis des années, depuis des siècles de silence. Elle porta la main à son coeur puis tout passa dans une fragrance de cimetière, dans un psaume de pluie noire. »

« À la fin, on meurt, oui...alors autant laisser la vie improviser sa partition. »

« Nous autres Japonais avons appris de notre archipel tourmenté l'implacabilité du malheur. C'est par cet accablement natif que nous avons su transformer notre contrée de cataclysmes en éden, en quoi les jardins de nos temples sont l'âme de ce pays de désastre et de sacrifice. Par mon sang, tu connais la beauté et la tragédie du monde d'une manière que les Français, nourris de leurs terres clémentes, ne peuvent pas entendre. En cette époque à l'envers qu'on nous vend pour moderne, c'est ton âme japonaise qui possède le pouvoir de transformer le désenchantement et l'enfer en un champ de fleurs. »

« Haru se représentait la vie comme la traversée d'un fleuve d'eau noire à force d'être profonde. Un jour, j'ai entendu Keisuke lui dire : Tu fais bien, la rosée est sur l'autre rive. »

Quatrième de couverture

Rose arrive au Japon pour la première fois. Son père, qu’elle n’a jamais connu, est mort en laissant une lettre à son intention, et l’idée lui semble assez improbable pour qu’elle entreprenne, à l’appel d’un notaire, un si lointain voyage.

Accueillie à Kyōto, elle est conduite dans la demeure de celui qui fut, lui dit-on, un marchand d’art contemporain. Et dans cette proximité soudaine avec un passé confisqué, la jeune femme ressent tout d’abord amertume et colère. Mais Kyōto l’apprivoise et, chaque jour, guidée par Paul, l’assistant de son père, elle est invitée à découvrir une étrange cartographie, un itinéraire imaginé par le défunt, semé de temples et de jardins, d’émotions et de rencontres qui vont l’amener aux confins d’elle-même.
Ce livre est celui de la métamorphose d’une femme placée au cœur du paysage des origines, dans un voyage qui l’emporte jusqu’à cet endroit unique où se produisent parfois les véritables histoires d’amour.

Éditions Actes Sud, août 2020
158 pages

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