vendredi 22 janvier 2021

Les impatientes ★★★★☆ de Djaïli Amadou Amal

Patience. Silence. Sentence. Violence. 
Il est des sujets qui ne peuvent laisser indifférent et celui de l'effroyable condition des femmes dans certaines parties de l'Afrique en fait partie. 
Une oeuvre importante que ce livre, irréfragablement. Un livre acclamé par les Lycéens, et quel bon choix de lui avoir attribué le Goncourt des Lycéens.
Djaïli Amadou Amal est une écrivaine militante féministe et dans Les Impatientes, c'est le coeur de son combat qu'elle met en avant en nous contant le destin de trois femmes victimes de violences physiques et morales et de discriminations. Nous le savons, certains us et coutumes sont néfastes pour qui est une femme. Le masculin bafoue en toute impunité sous couvert du diktat religieux. Face au désarroi de ces femmes esclaves maritales et impuissantes, la société, complice, préconise le Munyal, la patience. Sois patiente. Même battue, même violée. Sois patiente. Reste digne.  Les droits au masculin, les obligations au féminin. 
« Ma mère, si elle avait conscience de mon désarroi, se disait que tout cela n’était qu’enfantillage et que, dès que je serais mariée, je serais plutôt heureuse de mon sort. Mais il fallait surtout que je comprenne que c’était mon destin et "face au destin, on ne pouvait rien", affirmait-elle. Ne serais-je pas bientôt l’épouse d’un des hommes les plus riches de la ville ? »
Alors prendre la fuite semble être le seul échappatoire, ou se forger un destin en devenant lettrée et tenter d'éviter de se perdre complètement dans ce monde brutal de patriarche, de devenir « à jamais l'une de ces ombres cachées à l'intérieur d'une concession »
« Ô mon père ! Tu as tellement d'enfants mais c'est commode d'avoir des filles. On peut s'en débarrasser si facilement.
Ô mon père ! Tu dis connaître l'islam sur le bout des doigts. Tu nous obliges à être voilées, à accomplir nos prières, à respecter nos traditions, alors, pourquoi ignores-tu délibérément ce précepte du Prophète qui stipule que le consentement d'une fille à son mariage est obligatoire ?
Ô mon père ! Ton orgueil et tes intérêts passeront toujours avant. Tes épouses et tes enfants ne sont que des pions sur l'échiquier de ta vie, au service de tes ambitions personnelles. 
Ô mon père ! Ton respect de la tradition est au-dessus de nos volontés et de nos désirs, peu importe les souffrances que causeront tes décisions ?
Ô mon père, nous as-tu jamais aimées ? Oui, diras-tu, et tu fais tout cela pour notre bien. Car, jeunes filles, que savons-nous de la vie ? Comment pourrions-nous choisir notre époux ? »
L'écriture est simple. C'est un fait et pour être tout à fait honnête, je dois dire que cela m'a déstabilisée par moment, j'avais du mal à rentrer dans l'histoire, à me sentir aux côtés de ces femmes. Mais je me suis vite ressaisie. Les mots sont simples, posés là où il faut, sans chichis ni fioritures, secs, bruts de décoffrage. Un passage sur le viol m'a d'ailleurs glacé le sang. Je me suis dit que la simplicité était justement de mise pour que la portée d'un tel récit soit universelle. Le sujet est déjà assez lourd à porter, assez compliqué à défendre, à véhiculer. Dénoncer l'obscurantisme de son propre peuple est courageux. 
Merci pour ce nécessaire récit/pseudo-témoignage sur lequel on pose un regard douloureux, et bravo pour votre combat chère auteure. 
À quand une rupture avec le patriarcat ? 
À lire aussi sur ce sujet, le livre de  Le silence d'Isra qui m'avait sidérée. 

« La patience cuit la pierre. » Proverbe peul

« La patience d'un coeur est en proportion de sa grandeur. » Proverbe arabe

« L'amour n'existe pas avant le mariage, Ramla. Il est temps que tu redescendes sur terre. On n'est pas chez les Blancs ici. Ni chez les Hindous. Tu comprends pourquoi ton père ne voulait pas que vous regardiez toutes ces chaînes de télé ! Tu feras ce que ton père et tes oncles te diront. D'ailleurs, as-tu le choix ? Épargne-toi des soucis inutiles, ma fille. Épargne-moi  aussi, car ne te leurre pas, la moindre de tes désobéissances retombera invariablement sur ma tête. »

« Tu dois savoir une fois pour toutes que tes décisions n'influencent pas que ta vie. Grandis, nom de Dieu ! Cela s'est passé de la même manière pour moi, pour tes tantes, pour toutes les femmes de la famille. Que veux-tu prouver ? Déjà tes jeunes soeurs risquent de ne plus être inscrites à l'école par ta faute. Tu as réussi à donner une idée négative de l'instruction par ton comportement. Ressaisis-toi, Ramla. Estime-toi heureuse de ton sort et remercie plutôt Allah de ne pas te donner pire destin. Préfères-tu épouser ton cousin Moubarak, ce voyou ?»

« Les conseils d'usage, qu'un père donne à sa fille au moment du mariage et, par ricochet, à toutes les femmes présentes, on les connaissait déjà par coeur. Ils ne se résumaient qu'à une seule et unique recommandation : soyez soumises ! »

« Sauvez-moi, je vous en supplie, on me vole mon bonheur et ma jeunesse ! On me sépare à jamais de l'homme que j'aime. On m'impose une vie dont je ne veux pas. Sauvez-moi, je vous en conjure, je ne suis pas heureuse comme vous voulez le croire ! Sauvez-moi, avant que je ne devienne à jamais l'une de ces ombres cachées à l'intérieur d'une concession »

« Ainsi a-t-on soigné mon corps mais pas mon esprit. Personne n'a pensé qu'il existait en moi des blessures plus profondes et plus douloureuses. On me répéta qu'il ne s'était rien passé de dramatique. Juste un fait banal. Rien d'autre qu'une nuit de noces traumatisante. Mais toutes les nuits de noces ne sont-elles pas traumatisantes ? On me dit aussi que je n'avais rien compris aux conseils de mon père.
Je dois soumission à mon époux !
Je dois épargner mon esprit de la diversion !
Je dois être son esclave afin qu'il me soit captif !
Je dois être sa terre afin qu'il soit mon ciel !
Je dois être son champ afin qu'il soit ma pluie !
Je dois être son lit afin qu'il soit ma case ! »

« - Bien sûr qu'on allait te renvoyer, fit sévèrement Goggo Nenné. Tu n'es ni la première ni la dernière qu'un homme frappe. Ce n'est pas une raison pour disparaître comme cela. On aurait certainement trouvé une solution. Tu n'es pas une feuille morte à la merci du vent. Tu as une famille pour te protéger.
- Mais vous m'auriez juste dit de patienter.
- Ce qui est normal. La patience est une prescription divine. Elle est la première des réponses. Elle est la solution à tout. »

« On confirme que je suis folle. On commence à m'attacher. Il paraît que je cherche à fuir. Ce n'est pas vrai. Je cherche juste à respirer. Pourquoi m'empêche-t-on de respirer ? de voir la lumière du soleil ? Pourquoi me prive-t-on d'air ? Je ne suis pas folle. Si je ne mange pas, c'est à cause de la boule que j'ai au fond de la gorge de mon estomac si noué qu'aucune goutte d'eau ne peut plus y accéder. Je ne suis pas folle. Si j'entends des voix, ce n'est pas celle du djinn. C'est juste la voix de mon père. La voix de mon époux et celle de mon oncle. La voix de tous les hommes de ma famille. Munyal, munyal ! Patience ! Ne les entendez-vous pas aussi ? Je ne suis pas folle ! Si je me déshabille, c'est pour mieux inspirer tout l'oxygène de la terre. C'est pour mieux humer le parfum des fleurs et mieux sentir le souffle d'air frais sur ma peau nue. Trop d'étoffes m'ont déjà étouffée de la tête aux pieds. Des pieds à la tête. Non, je ne suis pas folle. Pourquoi m'empêchez-vous de respirer ? Pourquoi m'empêchez de vivre ? »

« Le coeur d'un homme peut-il vraiment se partager entre deux femmes ? »

« Je ne veux absolument pas de désordre chez moi. Je n'accepterai jamais que mon domicile devienne un champ de bataille et un lieu de discorde comme il en existe tant. J'entends vivre tranquillement sans maux de tête e sans autre souci. J'entends que ma maison reste un endroit de quiétude et de sérénité comme il en a toujours été. Safira, toi, tu me connais bien. Je ne supporte ni les mésententes ni les conflits. Je vous préviens, toutes les deux, vous avez intérêt à vous entendre et à me rendre heureux. Est-ce que c'est clair ? »

« [...] la patience et la ruse. Occupe-toi de ton mari comme d'un enfant. Apprivoise-le comme ce lion que tu as apprivoisé. Sois patiente, rusée, intelligente. Et jamais il ne pourra se séparer de toi. Voilà le secret pour s'attacher un mari. Aucune amulette ne le vaudrait. »

« La patience est un arbre dont la racine est amère mais les fruits très doux. »

Quatrième de couverture

Trois femmes, trois histoires, trois destins liés. Ce roman polyphonique retrace le destin de la jeune Ramla, arrachée à son amour pour être mariée à l'époux de Safira, tandis que Hindou, sa soeur, est contrainte d'épouser son cousin. Patience ! C'est le seul et unique conseil qui leur est donné par leur entourage, puisqu'il est impensable d'aller contre la volonté d'Allah. Comme le dit le proverbe peul : « Au bout de la patience, il y a le ciel. » Mais le ciel peut devenir un enfer. Comment ces trois femmes impatientes parviendront-elles à se libérer ?

Mariage forcé, viol conjugal, consensus et polygamie : ce roman de Djaïli Amadou Amal brise les tabous en dénonçant la condition féminine au Sahel et nous livre un roman bouleversant sur la question universelle des violences faites aux femmes.

Née dans l'extrême nord du Cameroun, Djaïli Amadou Amal est peule et musulmane. Mariée à 17 ans, elle a connu tout ce qui fait la difficulté de la vie des femmes au Sahel. Conteuse hors pair, elle a été lauréate du Prix de la meilleure auteure africaine 2019 et du Prix Orange du livre en Afrique 2019.
Publiée pour la première fois en France, c'est une des valeurs sûres de la littérature française. 
 
Éditions Emmanuelle Collas, septembre 2020
327 pages
Parution originale en 2017 à Yaoundé sous le titre Munyal, les larmes de la patience
Prix Goncourt des Lycéens 2020
Prix Orange du livre en Afrique 2019
Prix de la meilleure auteure africaine 2019
Finaliste du Prix Goncourt 2020

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