lundi 15 septembre 2025

La mer ★★★★☆ de Yoko Ogawa

Des Instantanés.
Des bouts de vies empreints de poésie. 
De délicatesse.
Des nouvelles plus ou moins courtes, plus ou moins intrigantes, autant d'instants volés qui nous amènent à regarder notre monde différemment, à l'habiller d'un soupçon de merveilleux et d'apaisement.

« Au début c'était tout noir et il ne voyait rien, mais petit à petit dans un coin de son champ visuel, le contour de toutes sortes de choses se mettait à ressortir. Les rosiers grimpants le long des pilastres de l'entrée, la bicyclette et le tricycle posés l'un à côté de l'autre, la lune oscillant à la surface du canal d'irrigation, les prunes qui se découpaient d'une teinte plus sombre. Alors qu'il fixait toutes ces choses, les incidents de la journée s'éloignaient, remplacés par le monde de la nuit, et il sentait qu'elle le prenait gentiment dans ses bras. »

« "... Le champion de la parodie de la mort est sans doute l'opossum d'Amérique. Quand il est attaqué, d'abord il contre-attaque. Il pousse des cris de menace, et mord avec ses dents terriblement aiguisées. Il ne feint la mort que si l'adversaire ne recule pas malgré tout. Cela se produit brusquement. C'est même dramatique." »
La mer

« - C'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui peut jouer d'un instrument aussi rare.
- C'est sûr, parce que je suis le seul au monde à jouer du meirinkin, répondit le petit cadet. C'est un instrument que j'ai inventé. J'en suis l'inventeur et le seul interprète.
Mes yeux s'étant habitués à l'obscurité, son visage me paraissait encore plus proche. Le clair de lune qui passait par un interstice entre les rideaux s'infiltrait entre nous comme une fine ceinture. La présence d'Izumi dans la chambre voisine n'était plus du tout perceptible.
- Quand et où est-ce que tu en joues ?
- Le moment n'est pas déterminé. Mais l'endroit, oui, c'est toujours au bord de la mer.
Sans la brise de mer, il n'y a pas de son. Parce que l'instrument n'est fait qu'avec des choses de la mer, hein ?
- Il est là, ton meirinkin ?
- Bien sûr. Tenez, là-bas. Il est rangé dans une boîte en bois.
Il désignait le même tiroir de bureau que celui d'où il avait sorti le soda.
- Je voudrais bien t'entendre jouer, lui dis-je honnêtement.
Le petit cadet m'observa intensément et me répondit après avoir sorti sa main de la couette pour la poser sur son cœur :
- Excusez-moi. Pour l'instant c'est impossible. Sans la brise de mer, le meirinkin ne peut pas chanter, commença-t-il en soupirant comme s'il était profondément désolé. »
La mer

« À partir du lendemain et jusqu'au jour du retour nous étions libres de notre temps, de sorte que je n'avais nullement l'obligation d'entretenir des relations familières avec ma compagne de chambre. Ce n'était pas pour l'entendre parler avec fierté de ses petits-enfants ou médire de sa belle-fille que j'étais venue spécialement à Vienne, et je n'avais pas envie qu'on fouille dans ma vie privée. Pour moi, il s'agissait du voyage souvenir de mes vingt ans que je réalisais enfin après avoir économisé sou à sou sur mes heures de répétitrice.
Ainsi agenouillée, Kotoko ressemblait à un magot bien sage commandé spécialement pour le lit. Avec son visage rond, son double et même triple menton engoncé dans son cou, son ventre rebondi comme un bol sur lequel pesait sa poitrine. La graisse, équitablement répartie sur tout son corps, des paupières aux oreilles en passant par les épaules, le dos, les genoux et les doigts, engendrait des courbes originales. A son chevet, gonflé comme pour mieux rivaliser avec son corps, était abandonné son sac. »
Voyage à Vienne

« Au début c'était tout noir et il ne voyait rien, mais petit à petit dans un coin de son champ visuel, le contour de toutes sortes de choses se mettait à ressortir. Les rosiers grimpants le long des pilastres de l'entrée, la bicyclette et le tricycle posés l'un à côté de l'autre, la lune oscillant à la surface du canal d'irrigation, les prunes qui se découpaient d'une teinte plus sombre. Alors qu'il fixait toutes ces choses, les incidents de la journée s'éloignaient, remplacés par le monde de la nuit, et il sentait qu'elle le prenait gentiment dans ses bras. »
Le camion de poussins

« Le moment que l'homme préférait parmi ceux qu'il passait près de la fenêtre était celui qui précédait l'aube. L'obscurité se dissolvait petit à petit à partir de la bordure est du ciel qui commençait à se teinter d'une sensation lumineuse. Les étoiles s'éteignaient l'une après l'autre, la lune s'éloignait. Alors que le monde s'apprêtait à changer d'une manière aussi audacieuse, il n'y avait pas un bruit. Tout se modifiait dans le calme. »
Le camion de poussins

« Plus il observait chaque dépouille, plus il faisait de nouvelles découvertes. Ce qui l'étonna en premier, fut que la mue gardait la facture délicate de l'animal qui s'en était extrait. Des rides incrustées sur le ventre des cigales jusqu'aux poils serrés à l'extrémité de la tête. Des orbites transparentes des nymphes aux motifs entrelacés qui ressortaient sur les ailes. Elles conservaient dans le détail la forme de la créature qui avait vécu autrefois à l'intérieur. Les nerfs allaient jusqu'aux extrémités. Même si de toute façon elles étaient destinées à être abandonnées, aucun endroit n'était laissé au hasard. »
Le camion de poussins

« - Ne pas enjoliver, ni faire de manières.
C'est dans les mots ordinaires que se trouve la vérité. »
La guide

Quatrième de couverture

Un enfant révèle l'existence d'un instrument de musique unique au monde.
Dans un bureau de dactylographie, une employée s'attache à la portée symbolique des caractères de plomb de sa machine.
Avec discrétion, un jeune garçon se mêle au groupe qui ce jour-là visite sa région. Dans l'autocar, un vieux monsieur très élégant s'intéresse à l'enfant. Cet homme est un ancien poète...
Une petite fille devenue muette retrouve sa voix devant la féerie d'une envolée de poussins multicolores...

Un recueil de nouvelles poétiques et tendres dans lequel le lecteur retrouve l'univers rêveur de Yoko Ogawa, cette proximité entre les différentes générations ; ces héritages spirituels soudainement transmis à un inconnu et ces êtres délicats qui libèrent les souvenirs effacés en offrant un coquillage, une aile de libellule, une mue de papillon...

Yoko Ogawa est née en 1962, elle vit au Japon. Tous ses livres traduits en français sont publiés aux éditions Actes Sud.

Éditions Actes Sud,  mars 2009
149 pages
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire