mardi 9 mars 2021

La bête à sa mère ★★★★☆ de David Goudreault

« Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune en amatrice. » 

J'ai pris une véritable claque dans la figure en lisant ce livre. 

Le narrateur nous confie que plus jeune, il était témoin des suicides de sa mère, et que très tôt dans sa jeunesse, il a été séparée d'elle, sans autre forme de procès, sans réel accompagnement, sans humanité. 
« J'imagine qu'elle a persévéré, mais c'est la dernière fois que je l'ai vue attenter à ses jours. On nous a définitivement séparés. Pour ma sécurité et son équilibre. Cela m'a paru aussi logique que d'interdire la neige en hiver ou la sloche au printemps. Je savais bien, moi, qu'elle ne mourrait jamais et qu'il n'y avait que ses berceuses pour m'apaiser. On était une famille spéciale, mais une famille quand même. On avait besoin l'un de l'autre. On n'a pas déménagé à temps. Les services sociaux nous ont eux, comme elle disait. J'aurais tout donné pour retrouver ma mère, mais les enfants de sept ans ne siègent pas aux tables multidisciplinaires des services de protection de la jeunesse. »
Et c'est avec effroi que l'on devine la détresse de ce jeune enfant, privé de toute affection, qui s'enferme dans sa solitude, avec ses traumatismes et sa rage. Et c'est avec effroi aussi que l'on assiste à l'inévitable descente aux enfers...
« On est salaud dans la mesure où la vie est une salope. » 
Le narrateur, bien équipé niveau cruauté, homophobe, sexiste, manipulateur, violent... est un écorché vif. Il nous embarque dans sa tête, où ça défile à une allure complètement déjantée.  
Pas de répit pour nous lecteur. Le récit est scandé, ponctué de savoureuses expressions québécoises - elles sont expliquées dans un glossaire en fin de livre.
Un récit à la fois drôle et tragique.
Un premier roman vif, percutant, cru, déstabilisant, dérangeant. 

« J'imagine qu'elle a persévéré, mais c'est la dernière fois que je l'ai vue attenter à ses jours. On nous a définitivement séparés. Pour ma sécurité et son équilibre. Cela m'a paru aussi logique que d'interdire la neige en hiver ou la sloche au printemps. Je savais bien, moi, qu'elle ne mourrait jamais et qu'il n'y avait que ses berceuses pour m'apaiser. On était une famille spéciale, mais une famille quand même. On avait besoin l'un de l'autre. On n'a pas déménagé à temps. Les services sociaux nous ont eux, comme elle disait. J'aurais tout donné pour retrouver ma mère, mais les enfants de sept ans ne siègent pas aux tables multidisciplinaires des services de protection de la jeunesse. »

« Mon arrivée à l'école secondaire s'est éclairée d'une prise de conscience : l'essentiel dans les milieux hostiles n'est pas d'être le plus fort mais le plus fou. C'est documenté. »

« Il ne faut pas juger un homme avant d'avoir boité dans ses prothèses. »

« On est salaud dans la mesure où la vie est une salope. »

« L'argent est la mère de tous les vices, c'est une sagesse millénaire. Les hypocrites qui affirment que ce n'est pas la chose la plus importante pour eux en ont juste assez pour faire semblant. Ce sont des résignés, des gagne-petit. Peu importe la devise, peu importe l'endroit sur la planète, on se vend, on se tue, on se prostitue et on accepte d'abandonner son corps, sa force et son temps pour de l'argent. Je ne suis peut-être pas meilleur que les autres, mais je suis plus conscient et ne me laisse pas noyer dans l'hypocrisie générale. Le temps, les amis et les amours passent, l'argent reste. J'en avais plein les poches et je voulais en profiter. »

Quatrième de couverture

Ma mère se suicidait souvent.
Ainsi commence la confession d’un jeune adulte, qui ne se remet pas de la séparation d’avec sa mère, survenue en bas âge. Ses propos vibrent d’une rage contre ceux qui la lui ont arrachée. Sa mère devient sa véritable obsession, il pense l’avoir localisée à Sherbrooke. Mais saura-t-il se faire accepter par celle qu’il a tant idéalisée ?
     D’où vient que le récit de cet homme manipulateur, sans pitié, accro aux jeux et à la pornographie, touche profondément le lecteur ? David Goudreault, grâce à son écriture inventive et colorée d’un humour mordant, sait partager l’empathie poétique qu’il a pour son protagoniste. On s’émeut des observations et pensées bancales du marginal, on rit de ses références littéraires approximatives lorsqu’il cite à tour de bras Platon, Shakespeare ou Coluche...
    Ce magnifique premier roman révèle un monde dur, qui abandonne à lui-même un jeune homme avec lequel il n’a jamais su communiquer. Un anti-héros dont la bruyante solitude nous bouleverse.
« Il me fallait de l'argent. Pour mon automédication et pour acheter des fleurs à ma mère. On ne se pointe pas chez les gens les mains vides. Il faut des fleurs ou une arme, c'est documenté. »
Éditions Philippe Rey, mars 2018
233 pages
Prix des nouvelles voix de la littérature
Grand Prix littéraire Archambault 2016
Présélection du Prix France-Québec
Finaliste du prix Ringuet de l'Académie des lettres du Québec

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