mercredi 24 mars 2021

Les Lumières d'Oujda ★★★★★ de Marc Alexandre Oho Bambe

« L'homme libre est celui qui choisit son exil. » 
Mahmoud DARWICH, cité en exergue

"Les Lumières d'Oujda", c'est une traversée littéraire humaine, poignante, multiple par les formes proposées : cri, chant, récit, documentaire, slam, poésie ... pour témoigner de vies tourmentées, ballottées, en fuite, en partance pour un ailleurs pas forcément plus vert et difficilement atteignable. 

Personnellement, je me prends une claque à chaque fois que des mots touchent des vies humaines en difficulté. Ici il est question de nos semblables hommes, femmes, ados, enfants ... « Elles et Ils, Ulysse modernes. / Résistants, résilients magnifiques. » qui rejoignent la route parce que rester dans leur pays n'est plus possible, n'est plus humain, n'est plus vivable, n'est plus. Rester c'est ne plus être libre. Ne plus être soi-même. 
« Se parler.
S'écrire.
S'ouvrir.
Se demander comment on va.
Et où on en est.
De son chemin.
Intérieur.
Son parcours, sa traversée.
De toutes les frontières, qui nous rapprochent ou nous éloignent. De nous. Du monde.
Je crois au pouvoir de la parole. Je crois à la résilience.
Par les mots.
Les nôtres.
Et ceux d'autres, aussi.
Tuteurs.
Professeurs.
D'espérance.
Qui peuvent.
Nous aider, nous soigner, nous accompagner.
Sur la route de nous-mêmes. »
Marc Alexandre Oho Bambe, vos mots n'empruntent pas un chemin facile, ils s'alignent à la ligne souvent d'une manière singulière. J'ai aimé votre sens de la formule, votre déroute des mots, des maux. Sur le fil menaçant, des vies ... s'inventent, se rencontrent, s'aiment, se découvrent, se fracassent aussi.
Et quel témoignage vous nous livrez en postface ! « "On" ne peut rien faire pour les migrants, on ne peut pas aider "ces" gens-là ? » Des petits mots qui restent en travers de la gorge, c'est sûr.

Les Lumières d'Oujda, un roman polyphonique qui nous entraîne sur les routes de l'exil. 
Profondément humain, empreint de poésie, d'amour, de vibrations. Des trajectoires de vies qui ébranlent.
« Bonjour mon frère, comment va ta douleur ? »
« Il y a des phrases comme ça étincelles éternelles.
Des phrases qui font.
Du bien.
Et donnent.
Lumière et force.
Pour continuer.
La marche du monde ....
Même quand.
Rien ne marche. »

« C'est vraiment arrivé, à Oujda j'ai pleuré.
Je pleure encore.
Devant toutes ces grenades dégoupillées.
Le long des routes du monde.
Jeunes gens aux regards hagards.
Adolescents incandescents aux vécus de mèche allumée.
Gamins, gamines.
En quête d'azur.
De vie meilleure.
D'Europe.
D'ailleurs.
D'eldorado, qui chante.
Faux. »

« Et nous passions des heures à rapper Caroline ensemble, à l'heure de nous-mêmes et de notre amour-défonce.
Je me fis arrêter un soir rempli de joie, ivre d'espérance, piégé par les Stups qui me remirent entre les mains de la police des frontières et d'un juge, sosie presque parfait d'il Cavaliere, alors au sommet de sa gloire. Passée.
Extra-communitare, pour certains Italiens une tare. Les mecs de la farce de l'ordre qui me serrèrent n'y allèrent pas de main morte, je m'étais rendu sans faire d'histoires, mais ils me sonnèrent littéralement, m'assommèrent de coups de poing. Républicains sûrement. »

« « À demain. » Elle m'avait dit à demain.
Demain ?
Demain n'existe pas.
Non, demain n'existe pas.
Là où dansent les poètes sans papiers.
Avec les fées.
Avec l'amour, avec la mort, avec la mort de l'amour.
Nous vivions sans nous soucier du lendemain.
Carpe diem. »

« La vie ?
Parfois, une partie d'échecs.
Avec soi-même. »

« L'humanité à laquelle il ne croit plus, parce qu'il l'a vue lui, il l'a vue, lui, il l'a vue crever mille fois, et expirer.
En même temps que sa foi.
Expirée, elle aussi.
Dans un mouroir à ciel ouvert.
Désert traversé.
À la nage.
En solitaire.
En quête de la bonne heure.
L'heure de soi-même. 
L'heure de vivre.
Ou de revivre.
Enfin.
Et ne plus mourir.
Sans cesse ! »

« Partir.
Revenir.
Devenir.
Partir de rien.
Revenir à tout, à soi.
Devenir soi-même, sinon rien.
Refuser toute compromission, toute concession, tout ce qui ne nous convient pas, ne nous convient plus, ne nous a jamais convenu et qu'on a accepté parce qu'on pensait ne pas avoir d'autres choix que celui d'être un ou une autre, qu'on n'était pas, qu'on ne voulait pas, qu'on n'aimait pas.
Pas tellement. Pas du tout. Et pourtant. »

« Revenir 
à la page
pas à pas
à la vie
à l'amour
c'est bien
de cela
qu'il s'agit
pour ne pas perdre
ne jamais perdre
le fil 
de soi »

« Mais comment faire face, entendre l'indicible, même quand c'est notre métier d'écouter ?
Comment accueillir ces paroles de rescapés ?
Comment soutenir les regards d'enfants, d'adolescents, de femmes et d'hommes, réduits en esclavage, puis à néant, brisés par leurs semblables humains. Humains ?
Comment garder la juste distance, avec ses émotions et les leurs, la terreur dans leurs yeux, la solitude de celles et ceux qui ont tant marché, marché la terre tonnerre au coeur ? Comment, oui, comment ne pas penser qu'il est trop tard, trop tard pour arrêter l'hécatombe, entraver la fin du monde, trop tard pour empêcher l'humanité d'exploser ? Comment ? »

« Des fugees.
Comme s'appelaient certains jeunes, entre eux, fugees.
En hommage peut-être, à Lauryn, Wyclef, et Pras.
Fugees.
Hip-hop.
Résistance.
Résilience.
Espérance.
RAP (Réapprendre à parler), c'était bien de cela qu'il s'agissait, aussi.
Réapprendre à parler.
Pour se défaire de l'orage.
Dire, être. Au monde. Présent à soi et à ses rêves.
Déportés.
Dire, être. Au monde.
Se réunir. Se recentrer. Se renouer. Se retrouver.
Après la perte. De tout repère humain.
Chez soi.
Chez l'autre.
L'autre qui nous a marchandisés, esclavagisés, moqués, humiliés, tabassés, volés, emprisonnés, expulsés.
L'autre.
L'enfer c'est, parfois. »

« Se parler.
S'écrire.
S'ouvrir.
Se demander comment on va.
Et où on en est.
De son chemin.
Intérieur.
Son parcours, sa traversée.
De toutes les frontières, qui nous rapprochent ou nous éloignent. De nous. Du monde.
Je crois au pouvoir de la parole. Je crois à la résilience.
Par les mots.
Les nôtres.
Et ceux d'autres, aussi.
Tuteurs.
Professeurs.
D'espérance.
Qui peuvent.
Nous aider, nous soigner, nous accompagner.
Sur la route de nous-mêmes. »
« Est-ce donc ainsi que les Hommes vivent ?
Oui, sous les tropiques amers.
Des hommes sans foi ni loi, peuvent.
Esclavagiser qui bon nègre leur semble.
La traite arabo-musulmane semble avoir laissé des traces.
Et une certaine nostalgie chez certains.
Alors l'occasion est belle de revenir en arrière, de prendre par-derrière les droits de l'Homme qui n'a pas de droits, celui qui en a le moins, toujours pour certains, sur cette Terre.
Le nègre.
Noir.
D'Afrique.
Noir des îles.
Noir désir.
Le nègre.
Noir.
Sur tous les continents.
Reste un nègre.
Dans le regard.
De haine, de méfiance ou d'envie, porté.
Sur lui.
Depuis des générations.
Parfois.
Sans foi ni loi.
Elles non plus. »
« Beyrouth
De terre
De mer
De feu 
Et de rêves brisés

Beyrouth
De guerre
De trêve
Et de dette
De sang versé

Beyrouth
De partage
De dattes
De lumière
Et d'humanité

Beyrouth
De communautés
De doxas et paradoxes
Noyée
Bombardée
Détruite
Ressuscitée
Mille fois »
« Il me faut un peu de temps.
Pour faire le tri.
Dans mes sentiments.
Mes envies.
Ma vie.
Pour me ressembler parfaitement à nouveau.
Rassembler mes morceaux épars.
Débris d'être.
En deuil perpétuel. »

« Ma soeur, mon frère, mon coeur
Les hommes détestent les hommes
Quand ils n'ont pas de raisons
Ils en cherchent et à force
De réflexion et d'autopersuasion
Ils finissent par trouver
Ils finissent
Par trouver
La douleur
Et la mort
La douleur
Et la mort
De l'humanité »
« L'humanité qui se brûle à son essence geint et meurt d'avoir trop marché ressuscite et marche encore même quand rien ne marche pour les femmes les hommes enfants du monde qui marchent à la marge profonde des sommets G7 sans têtes ni coeurs à l'idéal commun humain seul capable de faire advenir les utopies qui manquent tant à l'humanité dépassée qui ne fait que passer...passer sa route égarée passer sa route écumer ses jours ses nuits sur la route passer sa route sortir de route passer sa route tracer sa route sans cesse entre défaites et déroutes passer sa route trépasser sur toutes les routes les routes du monde qui gronde la route les routes la route les routes la route les routes la route les routes la route les routes qui mènent les humains à la fronde aux frontières du réel... Ce n'est pas moi, c'est l'homme qui n'a pas peur pas peur de prendre la route dans tous les sens pour se sauver ou sauver ce qui reste d'humain, d'humanité, en lui...

La route
Quitte la barre
Et repart
Du tribunal
De l'Histoire. »

« L'évidence nous guide, rencontre après rencontre, les visages, les regards, les sourires et les larmes, les voix s'entremêlent, les destins s'entrelacent, les histoires s'enlianent, jusqu'à devenir une seule et même mémoire à trous, mémoire vive, vivante, vibrante, mémoire du monde qui tourne à l'envers de lui-même, à l'endroit des femmes, des hommes et des enfants qui subissent le désordre mondial. »

« L'humanité, qui résiste.
Comme elle peut.
L'humanité qui rime avec solidarité.
L'humanité piétinée aussi, gazée, excommuniée.
Par une République qui arbore fièrement les valeurs liberté, égalité, fraternité sur le fronton de toutes ses administrations, mais n'en est plus à cette contradiction près. »

Quatrième de couverture

« Et la nuit tombe sur Oujda,
enveloppant dans l’épaisseur
de son manteau toutes les détresses
et toutes les espérances. Humaines. »

Après avoir tenté l'aventure à Rome, le héros est rapatrié au Cameroun, son pays natal. En quête de sens, porté par l'amour de Sita, sa grand-mère, il s’engage
dans une association qui lutte pour éviter les départs « vers les cimetières de sable et d’eau ». Au Maroc, il rencontre le père Antoine, qui accueille des réfugiés,
et Imane, dont il ne lâchera plus la main. Au rythme de cette épopée chorale lumineuse, les parcours s’enchevêtrent, les destins s’entremêlent, entre l’Afrique mère fondamentale et l’Europe terre d’exils. La voix et le phrasé uniques de Marc Alexandre Oho Bambe effacent les frontières entre roman, poésie et récit initiatique.

Poète, écrivain et slameur connu sous le nom de Capitaine Alexandre, Marc Alexandre Oho Bambe est pétri d'influences multiples, dont Aimé Césaire et René Char. Après plusieurs ouvrages de poésie, dont Le Chant des possibles (La Cheminante, 2014) et un premier roman remarqué, Diên Biên Phû (Sabine Wespieser, 2018), il signe Les Lumières d'Oujda

Éditions Calmann Levy, août 2020
327 pages

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