mardi 30 mars 2021

Sous le soleil de mes cheveux blonds ★★★☆☆ de Agathe Ruga

Un premier roman intimiste qui couvre une décennie : du lycée à la fac, des premiers amours à la première grossesse, puis la deuxième, d'une amitié forte à une absence insurmontable, des premières fois à un premier mariage, des premières désillusions au grand amour... 
Pas évidente cette période, à la fois grisante, émoustillante mais également remplie de doutes, une période où l'on se découvre, tâtonne, se transforme, rêve d'un bel avenir. Et puis la fac (médecine de surcroît, ici), avec ce temps de travail acharné, dément, titanesque, entrecoupé, fort heureusement, de moments de relâche tout aussi fous parce qu'il faut bien lâcher du lest à un moment donné, parce qu' « Il faut bien que le corps exulte »...

Une autofiction qui tient en haleine une fois les premiers chapitres passés, parce que clairement, on a très envie de savoir qui est ce grand amour, l'amour de sa vie qui lui a donné ce deuxième enfant. 

L'écriture est précise, directe, parfois crue, et la structure du récit, avec ses va-et-vient entre passé et présent et l'utilisation de la deuxième personne du singulier est très intéressante.
La narratrice, Brune, interpelle son amie de lycée et de fac, Brigitte, avec un "tu" qui questionne, cherche à comprendre, réécrit leur amitié pour trouver les raisons de la rupture. J'ai senti beaucoup de tension, d'agressivité parfois derrière ce "tu" derrière lequel il y a du vécu indéniablement, cela se sent. Un "tu"  et un récit très courageux, nécessaire, parce que mettre des mots derrière une déception, c'est aussi panser une blessure.

Je ne me suis pas retrouvée dans cette jeunesse dorée, mais qu'importe, elle a parlé et elle parlera à d'autres lecteurs et lectrices et personnellement, j'ai découvert une plume prometteuse, et par procuration, repensé à ces belles années emplies de promesses que l'on ne tient, certes, pas toujours en effet. Les amitiés ne peuvent toutes durer, c'est la vie, les souvenirs, eux, restent, et nous forgent, nous cimentent, nous accompagnent et c'est déjà là une belle promesse.

« Nous sommes entre deux vies.
Nous ne sommes plus légères, les poids des responsabilités nous a fatiguées. Nos corps exulteraient bien, mais nous ne savons plus danser. Alors nous procréons, et nous achetons bio. Une application scanne les cosmétiques que nous devons utiliser. Nous snobons allègrement notre passé, nous avons enfin fini par nous assumer, nous comprenons nos parents et gardons la psychanalyse pour plus tard. Nous n'envoyons plus de messages à notre premier amour, notre groupe d'amis actuel a rayé l'ancien, tout se passe comme s'il n'y avait jamais rien eu avant, ou bien rien d'important, nous sommes installées dans une routine confortable. Notre métier nous plaît et nous ne savons pas encore que nous en changerons. Nous repensons parfois avec dédain et mélancolie à ces anciennes soirées enivrées où nous laissions notre corps perdre le contrôle, lorsque l'aube nous grisait. Nous sommes vieilles alors que tout commence enfin. »

« Tu m’as quittée, tu nous as toutes quittées. Pas un jour ne passe sans un souvenir de nous et de nos fêtes intérieures. Tu es ma plus belle robe de soirée, mon champagne le plus euphorisant, mon plus long SMS. Mon plus bel amour inachevé. »

« Les gens parfois disparaissent de nos vies sans mourir, sans guerre et sans cris. Nous avons grandi avec eux, certains nous ont tout appris, ils existent au plus profond de nous sans qua jamais nous ne puissions le leur redire. Nous fermons la porte de nos souvenirs, nous serrons les mâchoires lorsqu'une musique nous ramène à eux, nous bâillonnons nos réflexe et nous rendons à l'évidence : nous ne les reverrons plus. »

« L'amour réciproque a été une révélation, jusque-là j'avais toujours rêvé de vivre une histoire pure et sincère. Mon goût pour la littérature est étroitement lié à la découverte du romantisme. Il est apparu vers mes huit ans avec "La Petite Fadette". Le jeune Landry tombe amoureux de Fanchon, une petite fille du village que l'on prend pour une sorcière. Chez George Sand, l'amour inexpliqué est souvent preuve de sorcellerie. Il survient là où on ne l'attend pas, parfois sur le chemin d'un autre comme dans "La Mare au diable". L'attirance est dirigée vers la personne interdite, d'un âge ou d'une classe sociale différente. Un contexte difficile prouve la véracité de l'amour. Je visualiserai toujours le feu follet décrit dans "La Petite Fadette", une chose s'illumine dans la nuit et Landry en perd la tête. L'allégorie s'est inscrite en moi, je n'avais plus qu'à le la reconnaître. J'étais de ce feu-là, celui des histoires d'amour érotiques et majestueuses. »

« Je plissais les yeux, déçue. Les gens bien s'aimaient drôlement mal. J'appréciais cependant leurs bonnes manières, jamais on ne voyait traîner un avant-bras sur la table, un dos affaissé, les repas en famille étaient des moments de liesse et de partage, mais je ne comprenais pas pourquoi on y évitait les sentiments. »

« De tout ce que nous reprochons aux hommes, nous pardonnons plus facilement leurs actes que leur absence d'actes. »

« La déception chez une femme ne s'efface jamais. Elle se superpose seulement à d'autres. L'amour d'une femme se mesure à la quantité que celle-ci a pénétré l'âme, le mépris qui l'accompagne ne peut s'en déloger. Ceux qui me connaissent savent que la déception est la pire chose qu'il puisse m'arriver. Je mets très longtemps à la digérer, elle se transforme lentement, tel un poison, en rancœur. Et un jour la rancœur devient vengeance. Bien trop tard, inadaptée aux circonstances. Je me venge toujours. »

« À cette époque, nous avions un joli petit groupe d'amis. La notion de groupe elle-même était dangereuse. En apparence hermétique et soudé, le groupe en réalité étouffait et s'apparentait à une bombe prête à exploser. Le chaos affleurait à chaque instant, comparable à une moyenne section de maternelle, morsures, vol de jouets, manipulation, coups bas. Les premiers amis seront les derniers, ceux que l'on rencontre en fac ou dans le travail sont déjà beaucoup trop en compétition avec nous. Il est quasiment impossible d'établir des rapports sains avec eux. »

« Aujourd'hui, j'écris encore très souvent des lettres de rupture avec certaines personnes, mais je ne les envoie plus ; j'ai compris que la libération réside dans l'écriture et non dans l'envoi. »

« Quand un homme tremble en vous voyant, prenez garde. Méfiez-vous de ce qu'il va vous dire, à quel point il va bouleverser votre votre vision de l'amour. Méfiez-vous des hommes qui vous aiment autant que Marceau a pu m'aimer. Mais savourez. Souriez et dansez sur terre uniquement pour qu'un homme vous regarde comme ça. Dans ses yeux, je me voyais, j'étais un incendie, je prenais feu et il restait immobile, hypnotisé par les flammes, inquiet et fasciné. Par l'image qu'il me renvoyait, Marceau devenait la plus grande drogue jamais avalée ; et il ne m'avait pas touchée. »

« Je ne méritais pas la vie qu'il m'offrait, je voulais descendre sous terre, enterrer mon âme dans ses circonvolutions. Je voulais me noyer, étouffer, pleurer, regretter, hurler de joie. Je voulais savoir. Je voulais écrire. »

« On nous bassine avec le danger d'internet, le cloud, les vieilles photos compromettantes, alors que tout est infiniment volatil, les traces de nous disparaissent, quoi que l'on fasse. De nouveaux disques durs remplacent les anciens, et nous n'imprimons plus les photos car nous en créons 2500 par seconde dans le monde. Et nous ne sommes toujours pas devenues Kate Middleton, les grands hackers de la planète ne s'amusent pas à conserver nos photos de soirée. Seuls quelques souvenirs - les meilleurs ou les pires, selon le point de vue - subsisteront. Les moments anodins échouent sur les rives de notre mémoire et je me sens vaine. Que me reste-t-il de toi ? Comment sauver notre amitié, puisque nous sommes condamnées à ne plus nous revoir ? Nous écrire était la seule finalité. »

« L’absence est pire que la mort, rien n’arrête le sentiment d’absence, on est condamné à vivre avec tous ces absents qui demeurent quelque part et sans nous. Et quand bien même ils tenteraient de revenir dans nos vies, leur réapparition ne changerait rien. Ils ont été absents, ils seront toujours absents, ils ont créé un immense vide, impossible à combler. Il n’y a pas d’issue. Les absents sont des trous dans nos coeurs. »

Quatrième de couverture

L’une est blonde, secrète et bourgeoise. Au lycée, on la surnomme Brigitte. L’autre, extravertie et instable, répond au nom de Brune. Toutes deux sont encore des jeunes filles pleines d’avenir. Ensemble, elles se le promettent, elles pourront tout vivre.Traversant les années folles de la jeunesse, elles découvrent la joie d’aimer, de danser, de rire et de boire jusqu’au petit matin en rêvant à leurs destins de femmes. Mais un étrange jour d’été, tout s’arrête brusquement. Sans donner aucune explication, Brigitte rompt leur amitié et disparaît.
Les années passent mais n’effacent pas la douleur de l’absence. Lorsque Brune tombe enceinte, le moment est venu de comprendre ce qui s’est joué entre elles, ce qui les a unies puis séparées. D’autant que Brigitte, dont elle n’avait plus la moindre nouvelle, revient la hanter : dans ses rêves, elle aussi attend un enfant… 
Avec brio, Agathe Ruga explore une tranche de vie aussi enivrante que violente, celle des premières fois, de l’éveil de la féminité, du passage à l’âge adulte et des désillusions, jusqu’à la délivrance.

Éditions Stock, collection Arpège, février 2019
300 pages

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